Le dialogue entre l'Eurogroupe et la Grèce est rompu

Par Romaric Godin  |   |  1135  mots
Jeroen Dijsselbloem, président de l'Eurogroupe
A Bruxelles, Grecs et Européens n'ont pu se mettre d'accord. L'Eurogroupe demande la poursuite de l'ancien programme, ne veut plus négocier et donne une semaine aux Grecs pour accepter. Athènes refuse de renouveler les conditions et les buts de ce programme.

Bloquées. Les « négociations » entre les ministres des finances européens, regroupés au sein de l'Eurogroupe, et la Grèce ont tourné court ce lundi 16 février. Un peu après 19 heures, la réunion s'est achevée sur un constat d'échec. Le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, a refusé de signer la « déclaration commune » que lui avaient préparée ses homologues européens. Comme mercredi dernier, mais cette fois, il n'y aura pas eu besoin de coup de fil à Athènes. Le refus a été immédiat.

Ce que disait le texte rejeté

Pourquoi ? La déclaration proposait que la Grèce demande « une extension de six mois de l'actuel programme. » Autrement dit, il s'agissait de demeurer dans le même cadre que celui existant depuis 2012. Les Européens promettaient d'appliquer ce programme « avec la flexibilité prévue. » En retour, la Grèce devait s'engager à ne pas prendre de « décisions unilatérales » et à financer toutes les exceptions au programme qu'elle prévoyait d'engager. Enfin, Athènes devait dégager les « excédents primaires appropriés. » Yanis Varoufakis a d'emblée rejeté ce projet comme « absurde et inacceptable. » « Ceux qui formulent de telles propositions perdent leurs temps », a-t-il ajouté.

Pourquoi la proposition n'était pas acceptable pour Athènes

Pourquoi un tel rejet ? En réalité, l'Eurogroupe n'a pas bougé d'un pouce par rapport à mercredi. Pire, en entrant dans le détail, son discours s'est durci. En imposant une poursuite de l'actuel programme, les Européens ne cherchent en effet rien d'autres que le renouvellement des « engagements » pris en mars 2012 lors de la signature du mémorandum. En interdisant « tout mouvement unilatéral », ils obligeaient les Grecs à se déclarer vaincus, puisque toute décision, y compris celles issues du programme électoral de Syriza devait désormais faire l'objet d'un accord des « institutions », autrement dit de la « troïka. » Dès lors, signer une telle déclaration, c'était accepter inévitablement pour Alexis Tsipras de maintenir l'emprise de la troïka (ou de ce que son équivalent dans les faits) dans la définition de la politique économique grecque. C'était accepter « d'aménager » le régime d'austérité et c'était accepter implicitement les objectifs fixés en 2012.

Habituelle stratégie européenne

La proposition était donc, du point de vue grec, inacceptable. Elle était une manœuvre assez commune des institutions européennes consistant à promettre de la « flexibilité », donc une des aménagements à l'appréciation de la troïka, autrement dit du possible, contre du « dur », du « réel », des objectifs fixés et, surtout, une cage de fer institutionnelle : celui de refuser « toute acte unilatéral », donc de refuser la souveraineté économique de la Grèce. Ces manœuvres ont jadis assez bien fonctionné, notamment dans le cadre de l'application du pacte de stabilité ou, en 2012, lors du fameux « pacte de croissance » de François Hollande ou encore, lorsque l'on a promis une renégociation sur la dette à Antonis Samaras en 2012. Mais elles sont inacceptables pour un gouvernement fraîchement élu, voulant rompre avec la politique d'austérité et bénéficiant d'un fort soutien populaire.

Accepter pour gagner du temps ?

Le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, tout comme Pierre Moscovici, commissaire européen à l'économie, ont expliqué que cette extension était la seule façon de pouvoir bénéficier de temps pour pouvoir « discuter d'un autre programme. » Mais là aussi, c'était un leurre, puisque l'acceptation de cette décision faisait perdre à Syriza une partie de sa crédibilité et que, ne pouvant plus bénéficier d'une indépendance dans sa politique économique, le gouvernement grec aurait négocié en position de faiblesse. Pourquoi refuserait-il en effet dans six mois ce qu'il a accepté aujourd'hui ? Alexis Tsipras ne peut se comporter comme Antonis Samaras qui a cru les promesses des Européens sur la restructuration de la dette en mars 2012 et qui en a été pour ses frais. En Grèce, on se souvient qu'on ne négocie pas avec la troïka en position de faiblesse. D'où cette fermeté du gouvernement grec.

Ce que veut Athènes

Que va-t-il se passer à présent ? Rappelons ce que veut Athènes : un « programme pont », basé sur des objectifs différents et laissant une marge de manœuvre importante au gouvernement grec permettant à Athènes de faire face à ses obligations pour 2015, notamment le remboursement des dettes détenues par la BCE (6,8 milliards d'euros à payer cet été), mais en permettant l'application de mesures promises dans le cadre d'un excédent budgétaire primaire raisonnable. On voit que le différend n'est pas qu'une question de vocabulaire.

L'Eurogroupe ne négocie plus

L'Eurogroupe ne veut pas en entendre parler. Jeroen Dijsselbloem a même de facto mis fin aux négociations officielles. La seule chose que peut faire Athènes désormais, c'est demander une extension du programme existant.  Donc accepter le texte qu'elle vient de refuser. C'est seulement à cette condition que l'Eurogroupe se réunira à nouveau vendredi. Le ministre néerlandais ferme donc le rideau : il faut accepter le programme ou assumer les conséquences d'un refus. Et sinon ? Evidemment, nul ne veut en parler.

Victoire de Wolfgang Schäuble

Cette attitude montre que le camp allemand l'a emporté. Et au sein du camp allemand, celui de Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances partisan de la méthode forte contre la Grèce. Encore une fois, ni la France, ni l'Italie qui, voici encore une semaine, appelait à la négociation, n'ont bronché. Mercredi, la BCE va décider de la prolongation ou non de l'aide à la liquidité pour le secteur financier grec. Toutes les conditions d'une sortie de la Grèce de la zone euro (« Grexit ») semblent se dessiner.

Options pour l'avenir

Si réellement le camp de Wolfgang Schäuble a pris le pouvoir au sein de l'Eurogroupe, autrement dit si Angela Merkel, convaincue qu'une « éjection » de la Grèce est surmontable pour la zone euro, a donné son feu vert à un « Grexit », alors ce scénario semble difficilement évitable. Car, de son côté, Alexis Tsipras ne peut céder. Il se condamnerait à endosser les habits de ses prédécesseurs. Ce serait un suicide politique et idéologique, car n'oublions pas que Syriza et son allié, l'Anel, ont promis de mettre fin au pouvoir de la troïka et à l'austérité. Mais si Angela Merkel n'a voulu qu'impressionner Athènes pour tenter de faire céder le nouveau gouvernement grec par une attitude de fermeté, alors, plus l'on s'approchera de l'inévitable issue du Grexit, plus les Européens tenteront de ramener la Grèce dans le jeu de la discussion en modérant leur approche. Reste que ce soir, les positions semblent de plus en plus irréconciliables.