Pourquoi la Grèce évoque-t-elle un référendum ?

Par Romaric Godin  |   |  1453  mots
Le ministre hellénique des Finances Yanis Varoufakis a agité la possibilité d'un référendum ou d'lélections anticipées.
Le ministre hellénique des Finances a indiqué être prêt à revenir devant les électeurs si les réformes du gouvernement ne pouvaient être lancées. La preuve que le jeu entre Athènes et les Européens reste très politique.

Alors que les ministres des Finances de la zone euro se retrouvent ce lundi 9 mars pour examiner les premiers détails des réformes proposées par Athènes, il semble désormais évident que l'accord arraché le 20 février dernier pour la poursuite du financement issue du mémorandum de 2012 n'était bien qu'une paix armée. Plus que jamais, le bras de fer entre la Grèce et ses « partenaires européens » semble se poursuivre.

La situation de trésorerie tendue de la Grèce

La raison en est simple. Cet accord n'a en réalité rien réglé. Ni à court terme, ni à long terme. A court terme, d'abord, la situation de la trésorerie de l'Etat grec est particulièrement préoccupante. Athènes a remboursé vendredi 6 mars une première échéance du FMI de 310 millions d'euros, mais il lui reste encore 1,5 milliard d'euros à débourser d'ici à la fin du mois pour payer l'institution de Washington. La prochaine échéance est celle de vendredi 13 mars, puis viendront celles du 16 et du 20 mars. Cette facture n'est pas anecdotique : elle représente un tiers des dépenses normales mensuelles du pays. Bref, les besoins sont énormes, alors même que les revenus s'affaiblissent.

Or, la situation de trésorerie de la Grèce est très tendue. Les recettes ont été en janvier inférieures d'un milliard d'euros à ce qui était prévu. Ceci s'explique certes par les incertitudes politiques et liées aux négociations européennes, mais pas seulement. La conjoncture a commencé à se dégrader dès l'automne et il convient de ne pas oublier que le pays est en proie à une déflation sévère (les prix ont reculé sur un an de 2,8 % en janvier) qui pèsent sur les finances publiques. De fait, il semble délicat pour Athènes de pouvoir faire face à l'ensemble de ses engagements en mars et encore moins en avril.

Car, rappelons-le, l'accord du 20 février ne prévoyait de verser les fonds encore disponibles du Fonds européens de Stabilité Financière (FESF) que contre la mise en place de réformes. Ce sont donc aux « institutions », Eurogroupe et FMI, d'estimer l'avancée de ces réformes et de libérer l'argent. Athènes espérait que la BCE allait autoriser le relèvement du montant des bons à court terme que l'Etat (T-Bills) pouvait émettre afin d'attendre la libération du financement. Les banques grecques auraient ensuite acheté ces bons grâce au maintien de leur accès à la liquidité d'urgence de la BCE (le programme ELA).

Le nœud coulant

Mais, accepter de relever le plafond des T-Bills eût signifié, pour les Européens, donner à la Grèce du temps. Du temps que le gouvernement d'Alexis Tsipras aurait pu mettre à profit pour lancer son programme de lutte d'urgence contre la pauvreté ou d'autres mesures phare du programme de Syriza. Tandis que, tant que le gouvernement doit courir après le moindre centime d'euros pour boucler ses fins de mois, il ne peut rien engager de sérieux pour le pays. Donner du temps à la Grèce, ce serait lui donner de la liberté. Et c'est précisément cela que les Européens cherchent à éviter. Aussi la BCE s'est-elle empressée de refuser tout relèvement du plafond des T-Bills. Et le pouvoir reste-t-il dans les mains de l'Eurogroupe et de la BCE qui, pour libérer l'argent du FESF et de l'ELA au compte-goutte, peuvent dicter ses conditions à un gouvernement hellénique aux abois. On a vu ainsi lundi matin, Jeroen Dijsselbloem, le président de l'Eurogroupe estimer que les propositions de réformes grecques sont "loin d'être complètes."  C'est ce fameux « nœud coulant » dont parle Alexis Tsipras dans son interview au Spiegel.

Motivations politiques

Mais l'intérêt de ce nœud coulant est, en réalité, politique. Athènes ne cesse en effet de proposer des réformes et les Européens ne cessent de faire les bégueules face à ces propositions, demandant davantage ou demandant à voir. C'est qu'en réalité l'essentiel n'est pas là : il réside dans le refus de définir une nouvelle voie pour la Grèce. Depuis le 25 janvier, la politique européenne ne vise en effet qu'à discréditer l'option Syriza, pour prouver aux Européens l'inutilité de tels votes pour faire un exemple. Il s'agit de prouver par les faits qu'aucune alternative n'est possible.

Or, l'asphyxie par la trésorerie est une méthode sûre. D'abord, elle paralyse le gouvernement et l'empêche d'agir. Ceci sape progressivement sa popularité, puisqu'il est incapable de réaliser ses promesses, ni même de les engager et que la situation économique se dégrade. Ceci sape ensuite l'unité de la coalition en renforçant l'aile gauche de Syriza qui est évidemment légitime pour dénoncer cette paralysie et le pouvoir donné aux Européens. Enfin, en ne délivrant les fonds qu'à ses conditions, l'Eurogroupe peut espérer imposer la poursuite de « son » programme de réformes afin de pouvoir proclamer sur pièce la « conversion au bon sens » de Syriza. Bref, derrière l'apparente querelle de trésorerie se cache de véritables buts politiques.

Clarifier le mandat de Syriza

On ne s'étonnera guère alors de voir la Grèce répondre par des moyens politiques. C'est le sens principal des propos de Yanis Varoufakis dimanche 8 mars dans son interview à la Corriere della Sera : si l'Europe serre trop le nœud, alors le gouvernement devra le faire trancher par un choix démocratique, référendum ou élections anticipées. Autrement dit, ce sera au peuple grec de décider s'il entérine ou non la volonté européenne de « faire comme auparavant », stratégie qui domine le jeu des pays de la zone euro depuis les élections du 25 janvier. L'enjeu n'est donc pas, en soi, la sortie de la zone euro de la Grèce, mais bien la capacité du nouveau gouvernement grec à modifier la logique de la politique économique de la Grèce dans la zone euro face à des Européens qui refusent ce changement. D'où le correctif de Yanis Varoufakis qui a précisé que le référendum ne porterait pas sur l'euro, mais sur les réformes.

Reste que, au final, ceci risque bien de revenir au même. L'objet d'un tel scrutin sera de préciser le mandat de Syriza. Celui que le parti a reçu le 25 janvier est en effet ambigu : demeurer dans la zone euro tout en changeant de logique économique. A partir du moment où la zone euro indique qu'il n'est pas possible de modifier cette logique, ce mandat tombe de lui-même et il est naturel que le gouvernement grec recherche les moyens de disposer d'un nouveau mandat. Quel sera ce mandat ? Il semble évident que si la question est posée, Syriza ne pourra pas faire l'économie d'une clarification sur la question du Grexit. Dès lors que l'on ne peut appliquer un programme dans le cadre de la zone euro, le choix démocratique devra permettre de trancher entre l'obéissance et la rupture.

Jeu d'équilibriste

Pour les Européens, ce jeu est dangereux. Certes, ils pourraient tenter le diable et se dire que les Grecs refusant, quoi qu'il arrive, de sortir de l'euro, pourraient accepter l'obéissance et ainsi validée leur stratégie. Mais si Syriza dispose in fine d'un mandat clair sur le Grexit, sa position dans la négociation, et notamment dans celle qui finira inévitablement par s'ouvrir concernant la restructuration de la dette sera renforcée. L'accord du 20 février a montré aussi que le Grexit n'était pas une option souhaitée par les Européens et c'est pourquoi Wolfgang Schäuble, le ministre fédéral allemand des Finances, a dû adoucir un discours qui visait, jusqu'alors, au rejet de la Grèce de l'Union monétaire.

Comme au cours du mois de février, on risque donc d'assister à un jeu d'équilibriste entre des Européens soucieux d'imposer leur logique sans entraîner la rupture et des Grecs soucieux d'imposer leur programme en évitant la faillite. Mais ce jeu ne sera que temporaire. Avec l'approche de l'échéance du mois de juin et les remboursements de près de 10 milliards d'euros dus cet été, va se dresser un nouveau choix : celui d'une restructuration de la dette ou d'un nouveau mémorandum. C'est sans doute aussi dans cette perspective que Yanis Varoufakis a tenu à présenter l'option du référendum. Car c'est alors que se prendront les décisions les plus durables et les plus décisives.