Grèce : la guerre des deux troïkas

Par Romaric Godin  |   |  1269  mots
La troïka reviendra dans les prochains jours à Athènes. Un retour ?
BCE, Commission et FMI vont revenir à Athènes. Mais derrière ce "retour de la troïka" se cache une réalité plus complexe.

La « troïka » serait donc de retour. C'est du moins ce que l'on peut lire un peu partout après l'annonce de l'ouverture de discussions « au niveau technique » entre la Grèce et les « institutions » qui composent cette troïka. Les premières discussions devraient avoir lieu à Bruxelles, puis à Athènes. Ce serait donc la renaissance de cette « commission branlante » pour reprendre le terme de Yanis Varoufakis, le ministre hellénique des Finances, et dont la mort avait été annoncée dès le soir des élections par Alexis Tsipras.

Une nouvelle troïka

Mais, à y regarder de plus près, la situation est plus complexe. En réalité, il s'agit là de la conséquence normale de l'accord passé entre la Grèce et la zone euro lors de la réunion de l'Eurogroupe du 20 février dernier. Cet accord prévoyait la mise en place d'un programme de réformes à l'initiative de la Grèce et qui devait être finalisé d'ici à la mi-avril mais aussi l'établissement de nouveaux objectifs d'excédents primaires (hors service de la dette) « en conformité avec la situation économique. » Ces discussions techniques visent donc à mettre en place ce programme et à définir ces nouveaux objectifs. A priori, ces deux éléments sont plutôt favorables à la logique du gouvernement hellénique puisque la base de discussion devrait être le plan de réforme proposé par Athènes et que les précédents objectifs d'excédents primaires (3 % du PIB en 2015, 4,5 % du PIB en 2016) pourraient être revus à la baisse. Il n'y a pas là de « Waterloo » du gouvernement Tsipras, comme on essaie de nous le faire croire.

En réalité, il y a troïka et troïka. Si la troïka est uniquement la réunion des créanciers de la Grèce, il est évident que cette réalité n'a jamais disparu. Lorsque, le 25 janvier, Alexis Tsipras a proclamé la « mort de la troïka », il n'a pas, pour autant, annoncé le défaut de paiement de la Grèce. Le pays restait donc face à ses créanciers, donc face aux pays de la zone euro et au FMI. Ce qu'Alexis Tsipras a voulu faire disparaître, c'est bien plutôt la logique du mémorandum de 2012 : une commission de créanciers venant dicter des politiques économiques et budgétaires au gouvernement grec. Or, qu'on le veuille ou non, cette logique a bel et bien disparu. Athènes négocie avec ses créanciers, ce qui est logique, mais, pour le moment, elle refuse de se faire dicter sa politique de réformes. Les discussions avec la troïka ne seront donc pas de la même nature que celles menées précédemment. Il n'y a pas de simple retour à la réalité de l'avant 25 janvier. Et c'est précisément là que le bât blesse pour les Européens.

L'objectif de l'Eurogroupe : faire renaître la troïka ancienne version

Ces derniers n'ont en effet pas abandonné l'idée de faire survivre la troïka ancienne formule. On le sait, le ministre allemand des Finances, et beaucoup dans son sillage, souhaitaient avant le 20 février la poursuite du « programme » de 2012. L'accord du 20 février était suffisamment flou pour leur laisser un espoir : les « institutions » doivent juger les réformes grecques dans le cadre des « accords actuels. » Or, depuis cette date, les Européens s'échinent à faire revivre la logique du mémorandum en voulant imposer les réformes promues par la troïka ancienne formule, celle de 2012, notamment dans le domaine du marché du travail ou des retraites. D'où cette volonté marquée lundi 9 mars de Wolfgang Schäuble de prononcer plusieurs fois le mot « troïka. » D'où aussi cette formule assez étonnante du président de l'Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem le 9 mars : « on a perdu deux semaines. » Pourtant, au cours de ces deux semaines, la Grèce a proposé une liste de réformes qu'elle a précisée entretemps. Aucun temps n'a réellement été perdu, mais, du point de vue de Jeroen Dijsselbloem, tout ce qui ne débouche pas sur une reprise des « réformes » prévues par la troïka version 2012 est une perte de temps.

Au-delà de la troïka, quelles réformes ?

Le vrai problème n'est donc pas de savoir si la Grèce va discuter ou non avec ses créanciers et si elle va ou non le faire à Bruxelles ou à Athènes. Le vrai problème est de savoir sur quelles bases vont se réaliser les discussions. Si les « institutions » imposent la logique qui a présidé aux destinées de la Grèce avant le 25 janvier, autrement dit si elles imposent leurs « réformes » et la poursuite de l'austérité par la mise en place de nouvelles coupes dans les dépenses, alors le gouvernement grec aura perdu définitivement la partie et, dans ce cas, la troïka ancienne version sera toujours bel et bien vivante. Si, en revanche, la discussion part des propositions grecques qui insistent particulièrement sur la justice sociale et le rééquilibrage de l'effort, alors la troïka aura clairement changé de visage.

La pression financière

Très clairement, la situation financière de la Grèce joue en faveur des Européens. Lundi, Jeroen Dijsselbloem a prévenu qu'il n'y aurait pas de versement de fonds sans une approbation des « réformes » et une mise en place de celles-ci. Or, on le sait, Athènes est à court d'argent. Certaines rumeurs estiment que le pays n'a que trois semaines de liquidités devant lui. Pris à la gorge, le gouvernement Tsipras pourrait être tenté de tout céder et de faire revivre l'ancienne troïka. C'est le calcul que font ceux qui veulent effacer l'expérience à leurs yeux désagréables du 25 janvier. Mais le nouveau premier ministre peut-il se permettre de devenir comme ses prédécesseurs le simple commissionnaire des créanciers du pays en renonçant à tout son programme ? Pour trancher la question, l'hypothèse exprimée par Yanis Varoufakis dimanche d'un référendum ou d'élections anticipées paraît la plus évidente. Elle permettrait de clarifier le mandat du gouvernement et de comprendre ce que le peuple grec est prêt ou non à accepter.

Campagne de communication

Voici pourquoi, malgré tout, rien n'est joué. L'hypothèse d'un nouveau processus démocratique ne peut qu'effrayer des créanciers qui, depuis un mois et demi, s'efforcent de minimiser les conséquences des élections du 25 janvier. De même, nul n'a réellement intérêt à voir la Grèce faire défaut malgré l'accord du 20 février. Il est donc vraisemblable que la « nouvelle » troïka se montre plus coopérative et moins maximaliste que l'ancienne. Bruxelles a tout intérêt à éviter la rupture. Son jeu est donc, en réalité, plus délicat qu'il n'y paraît. Il s'agit de gagner le plus de terrain possible en profitant de la mauvaise position financière du pays, sans aller néanmoins trop loin. D'où cette volonté, au moins, de l'emporter sur le terrain de la communication en laissant l'impression dans les opinions publiques que le vote Syriza a été vain. D'où cette campagne de communication majeure à coup de mots comme la « troïka » et de mise en scène de concessions d'Athènes. Mais en réalité, il est trop tôt pour déterminer qui a ou n'a pas gagné dans cette affaire. Le seul critère devra être la poursuite ou non des mesures d'austérité. Sur ce point, tout semble encore ouvert.