La Corbeille sans papiers

Violon d'Ingres de quelques nostalgiques de la grande époque de la Corbeille, la scripophilie est un hobby tendance outre-Atlantique. Les collectionneurs s'arrachent les titres de Bourse en papier avant la dématérialisation des marchés américains.

Mickey Mouse, l'ogre Shrek, la pomme croquée d'Apple, le logo Harley Davidson, tous ces symboles du génie américain font rêver les investisseurs... Une catégorie d'entre eux plus que d'autres: les adeptes de la scripophilie. Si la collection des vieux titres de Bourse en papier apparaît en France comme un violon d'Ingres d'un autre âge, réservé à quelques nostalgiques de la Corbeille et d'un Palais-Brongniart transformé depuis en salle de bal ou de défilé, elle est un passe-temps beaucoup plus répandu et même tendance outre-Atlantique.

Au pays du capitalisme décomplexé, où jouer en Bourse n'est pas un tabou, rien n'est plus chic que de posséder quelques actions des fleurons de Corporate America et même de les exposer, sous cadre, dans son salon ou son bureau. Certes, les "stock certificate" made in USA n'ont rien à voir avec le charme désuet des emprunts russes ou des gravures Art Nouveau signées Alphonse Mucha: ils ressemblent plus à un diplôme aux couleurs criardes souhaitant la bienvenue dans le monde moderne du capitalisme roi.

Dernier must en date: les actions Pixar. Le studio d'animation de Steve Jobs va en effet se faire racheter par Disney, dont le patron d'Apple deviendra au passage le premier actionnaire. En attendant, les titres Pixar s'arrachent, non pas sur le Nasdaq mais sur les sites spécialisés Oneshare.com, Singleshare.com, StockShareGift, où l'on peut acquérir un précieux certificat à l'unité, déjà mis sous verre. "Il ne reste plus que 25 jours avant la disparition de l'action Pixar!" met ainsi en garde le site OneShare.

Coloré, orné des fameux personnages du premier grand succès du studio, le film Toy Story, le certificat Pixar fait la joie des fans de dessin animé, petits ou grands enfants: il est ainsi proposé en version spéciale "ma première action" pour les plus jeunes. C'est un cadeau indémodable de la part des grands-parents et jugé plus durable et productif qu'une peluche ou même un ticket de loto. La légende dit même que Rockefeller en personne aurait eu envie d'en savoir plus sur les actions après en avoir reçu une étant enfant! Une action ne constitue cependant pas le début de la fortune, même en achetant la plus chère de Wall Street, Berkshire Hathaway, à 90.000 dollars...

L'engouement pour la scripophilie créé autour de Pixar ne devrait pas se démentir après la disparition du studio de la cote du Nasdaq. Curieusement, les Américains, peut-être plus sentimentaux avec l'argent et la Bourse que les Français, n'ont pas encore franchi le pas du tout-électronique et abandonné les titres physiques. La France, pour une fois en avance en matière de modernisation et de progrès technique, a adopté la dématérialisation des valeurs mobilières en 1984, accordant un délai de cinq ans aux actionnaires pour retrouver les titres oubliés aux greniers...

Mais la transition est en marche outre-Atlantique. La société chargée des dépôts et de la compensation aux Etats-Unis n'a plus que 3,4 millions de certificats dans ses coffres aujourd'hui, contre 30 millions environ dans les années 1990! Dans l'Etat du Delaware, où sont immatriculées la moitié des sociétés cotées américaines, une loi libère les firmes de l'obligation d'émettre des titres en papier depuis l'an dernier. La Bourse de New York, qui a conservé son mode de négociation archaïque à la criée, pourrait bien ainsi devenir à son tour une Corbeille sans papiers...

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