"La position de l'Europe décline dans le domaine de l'espace", selon François Auque, PDG d'Astrium

Dans un entretien à La Tribune, François Auque, le PDG d'Astrium, filiale d'EADS regroupant la totalité des activités spatiales du groupe, regrette le manque d'ambition européenne dans le domaine de l'espace. "Rien n'est fait pour défricher les pistes technologiques qui feront que, dans vingt ans, l'Europe aura un nouveau lanceur", explique-t-il notamment. Par ailleurs, il donne le coup d'envoi la semaine prochaine aux négociations pour le contrat du prochain lot de 30 lanceurs Ariane 5, dont le montant devrait s'élever à 3 milliards d'euros. Enfin, François Auque n'est pas demandeur d'une augmentation de la participation d'EADS dans le tour de table d'Arianespace.

La Tribune.- L'Espace est-il une activité d'avenir pour un industriel comme EADS?

François Auque.- Nous avons une activité traditionnelle de satellites et de transport spatial, en gros, qui croît comme l'inflation et qui, par rapport au reste du monde est en décroissance relative. Et puis nous cherchons notre croissance ailleurs, c'est-à-dire dans les services. On est à la limite du spatial: ce n'est plus tout à fait du spatial, c'est du service. En 2006, le chiffre d'affaires service a été un peu inférieur à 300 millions d'euros. Il pourra monter jusqu'à 600 millions d'euros en 2008-2009 avec des marges qui sont bien meilleures que notre activité traditionnelle. Notre avenir se dessine aux frontières du spatial, puisqu'il n'y a précisément pas d'ambition spatiale en Europe. Chez Astrium, nous en avons tiré les conséquences.

En tant qu'industriel, comment comptez-vous lutter contre ce manque d'ambition?

Le point noir réside dans l'atonie du marché commercial spatial et au manque d'ambition de l'Europe. Pourquoi notre activité services est-elle aussi vitale? Parce que précisément c'est le seul moyen d'y échapper. Le marché commercial mondial est étroit. Qu'il soit bon ou mauvais, il restera tout petit: en 2006, il y a eu 25 satellites (marché commercial mondial), donc 25 services de lancement. Cela fait 6 milliards de dollars au maximum. Ce n'est rien du tout. En outre, le budget de l'Europe dans le domaine civil représente 5 milliards et 1 milliard d'euros dans le militaire. En comparaison aux Etats-Unis, les budgets institutionnels sont infiniment plus importants: 17 milliards de dollars pour la NASA, 17 milliards pour le Pentagone dédiés à l'Espace stricto sensu. Si vous rajoutez une bonne partie des 10 milliards pour la défense antimissiles, cela fait 44 milliards de dollars environ pour le spatial aux Etats-Unis.

Faut-il en déduire que l'Europe est en train de perdre son rang?

Outre les Etats-Unis qui sont largement devant, toute une série de pays, encore derrière nous, ont une ambition extrêmement forte dans le domaine spatial et sont en phase de croissance très forte. La Chine, le Japon, l'Inde, et, après-demain la Corée, le Brésil ont des ambitions dans le spatial. En Europe, le niveau de ressources est stable alors que, partout ailleurs, tous les autres accélèrent. Donc, la position relative de l'Europe décline. Rien n'est fait pour défricher les pistes technologiques qui feront que, dans vingt ans, l'Europe aura un nouveau lanceur. Rien n'est fait de façon significative dans le domaine de l'exploration spatiale. Dans le même temps, la Chine va envoyer des Chinois sur la lune, les Américains repartent à la conquête de la lune, une étape dans leur volonté de conquête de Mars. L'Europe se contente d'envoyer de temps en temps une mission robotisée, certes parfaitement intéressante. Mais elle ne joue plus du tout dans la même catégorie.

EADS est-il toujours demandeur d'un nouveau tour de table dans Arianespace?

Je ne suis pas demandeur d'augmenter ma participation dans Arianespace. Je n'ai pas le sentiment que d'autres actionnaires majeurs, en particulier l'Etat français, soient dans une optique d'augmentation de capital, de retrait ou autre. Il n'y a aucun processus en cours pour modifier le capital ou l'actionnariat d'Arianespace. Ce sujet est totalement au point mort. En ce qui me concerne, je ne demande pas qu'on le rouvre. Arianespace va bien.

Sur le prochain lot de commande Ariane 5, quels sont les desiderata d'EADS? Pouvez-vous suivre une réduction du prix de 12 % comme convenu?

Je vais donner le coup d'envoi mi-janvier. On réunit tous nos fournisseurs pour leur expliquer les enjeux. EADS a tenu ses engagements vis-à-vis d'Arianespace sur le dernier lot des 30 lanceurs. Mais nous avons clairement un retard très significatif en matière de profitabilité puisque nous avons consenti des réductions supérieures à celles que nos fournisseurs nous ont consenties. Il va donc falloir traiter ce problème. Cela crée une difficulté supplémentaire.

Que voulez-vous dire?

Cela veut dire qu'il faut qu'il va y avoir un rattrapage pour les fournisseurs qui n'ont pas fourni des efforts du même ordre que les miens vis-à-vis d'Arianespace. C'est Astrium qui a absorbé la différence. L'objectif de réduction du prix global du deuxième lot est assez pervers, compte tenu de l'effondrement du dollar.

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