Société Générale : après les propos rassurants, les autorités demandent des comptes

Les réactions se poursuivent sur le scandale qui a frappé jeudi la Société Générale après les révélations d'une perte de 4,9 milliards d'euros due à une fraude d'un trader de la banque. Le gouvernement et les institutions financières, qui avaient apporté dans un premier temps leur soutien au groupe, demandent maintenant des explications.

Quelques jours après l'un des plus gros scandales de la finance mondiale qui a touché jeudi la banque française Société Générale, l'onde de choc suscitée par les révélations de la banque peine à se dissiper. Les autorités françaises, aussi bien du côté de l'Elysée que de la Banque de France, qui avaient fait dans un premier temps bloc autour de la Société Générale, demandent maintenant des explications. Les questions restent en effet nombreuses sur comment une telle fraude a pu se dérouler au sein d'un établissement bancaire réputé pour la rigueur de sa gestion.

La stupéfaction a prévalu jeudi matin lorsque la banque présidée par Daniel Bouton a annoncé qu'un trader "fou", Jérome Kerviel, agissant au sein du groupe, avait réussi à déjouer, seul, tous les systèmes de contrôle de risque de la banque pour accumuler des positions cachées de plusieurs dizaines de milliards d'euros. Contrainte de vendre au plus vite ces positions en pleine tourmente boursière, la Société Générale accuse ainsi une perte finale colossale de 4,9 milliards d'euros, à laquelle s'ajoutent 2 milliards de dépréciations d'actifs liées à la crise du "subprime".

La banque, qui devait annoncer un bénéfice net de 5,5 milliards d'euros pour 2007, ne devrait finalement dégager qu'un bénéfice compris entre 600 et 800 millions d'euros. Elle doit, en outre, se recapitaliser à hauteur de 5,5 milliards d'euros.

Dès l'annonce, la banque a tout de suite tenu à rassurer, suivie par le gouvernement et la Banque de France. Mais aux déclarations rassurantes, ont succédé ce week-end des critiques émanant même du sommet de l'Etat. Le président français Nicolas Sarkozy a ainsi estimé samedi qu'il fallait en finir avec un système financier "qui marche sur la tête" et peut subir des "pertes gigantesques en quelques heures."

"La finalité d'un système financier c'est de prêter de l'argent pour des activités économiques qui, à terme, génèreront du profit, c'est de savoir avant les autres pourquoi il faut investir pour créer des richesses et développer ces richesses", a déclaré le chef de l'Etat. "Ce n'est pas d'aller spéculer sur différentes activités qui font des flux énormes, des profits en quelques heures. Si on peut faire des profits en quelques heures, on peut faire des pertes gigantesques en quelques heures aussi. Et il serait temps de se rendre compte (qu'il faut) mettre un peu de sagesse dans tous ces systèmes", a poursuivi le président de la République dans une allusion à peine voilée à la Société Générale.

"Il est temps maintenant de mettre de la transparence, de nouvelles règles prudentielles dans le système financier mondial, et d'ailleurs national, et de préférer prêter de l'argent à celui qui entreprend et crée de la richesse plutôt qu'à celui qui veut acheter pour dépecer et spéculer", a-t-il conclu.

Samedi, la ministre de l'Economie, Christine Lagarde, a de son côté confirmé qu'elle remettrait d'ici quelques jours un rapport au Premier ministre François Fillon sur l'affaire de la Société générale. "Je dois préparer rapidement un rapport pour mon Premier ministre (...) qui sera sans doute rendu public", a-t-elle déclaré en marge du forum économique de Davos, en Suisse.

Ce rapport devrait expliquer "comment et pourquoi les contrôles n'ont pas fonctionné, et quels nouveaux contrôles sont nécessaires, y compris au niveau législatif, pour que (cela) ne se reproduise pas", a-t-elle ajouté. Le chef du gouvernement avait demandé vendredi à Christine Lagarde de lui remettre "sous huit jours" un rapport pour connaître les circonstances ayant conduit la Société générale à être victime d'une fraude d'une ampleur colossale.

De plus, la commission des Finances du Sénat devrait auditionner mercredi prochain Christian Noyer, Michel Prada, le président de l'Autorité des marchés financiers, ainsi qu'un représentant de la Fédération bancaire française. Une audition du patron de la Société Générale Daniel Bouton pourrait être aussi prévue.

Pour sa part, le patron de la Société Générale, Daniel Bouton, s'est de nouveau défendu samedi dans un entretien accordé au Figaro. Alors que certains mettent en doute la thèse d'une fraude par un trader unique, le patron français a réfuté toute dissimulation: "Ce qui est arrivé à la Société Générale n'a rien à voir avec une catastrophe qui aurait été le fait de notre stratégie. Cela s'apparente à un incendie volontaire, qui aurait détruit une grosse usine d'un groupe industriel".

Il a rejeté également l'hypothèse d'avoir "transféré dans un trou nouveau des pertes provenant d'un autre trou", en l'occurrence celui généré par la crise financière internationale et en particulier par le fameux "subprime, qui a quand même coûté 2 milliards d'euros à la Société Générale. "Cela, a-t-il souligné, ne tient pas debout, ni techniquement ni comptablement."

Face aux critiques qui accusait la banque d'avoir précipité la chute des marchés lundi alors que celle-ci écoulait les positions prises par son trader, Daneil Bouton a démenti la responsabilité de son groupe.

Vendredi, la patron de la banque a publié dans la presse une lettre d'excuse aux actionnaires, assurant que "la capacité de la banque à rebondir et à reprendre la croissance rentable qui la caractérise depuis longtemps est absolument intacte". Sauf que le pdg, en évoquant encore dans sa lettre la "vie courante de l'entreprise", a passé sous silence les 2 milliards d'euros liés aux dépréciations de la crise du "subprime".

"Aucun client ne perd quoi que ce soit, le contribuable n'est pas appelé en quoi que ce soit, les emprunteurs ne verront aucun changement", avait renchéri de son côté le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, sur les ondes de RTL. "Les emprunteurs pourront continuer à emprunter" à la Société Générale, a-t-il insisté.

Mais cette histoire digne d'un film catastrophe a suscité beaucoup de doutes et d'interrogations sur la validité du "scénario officiel" décrit par la banque. Comment en effet un seul homme a-t-il pu déjouer toutes les procédures de contrôle de la banque, réputée pour la rigueur de sa gestion financière, sur des montants d'une telle ampleur? Dès le lendemain même des révélations, la presse française et étrangère se faisait l'écho du scepticisme qui règne sur les places financières.

Le Financial Times jugeait ainsi "incroyable qu'une perte aussi importante puisse avoir été dissimulée pendant si longtemps. Il va sans dire que les cadres auraient dû savoir ce qui se passaient sous leur nez". Le quotidien Le Télégramme allait quant à lui plus loin: "tout se passe comme si les six jours qui se sont écoulés entre la découverte de la fraude en interne et sa révélation hier avaient été utilisés pour scénariser une histoire plausible", écrivait ainsi l'éditorialiste Alain Joannès.

Surtout, le "timing parfait" entre l'annonce de la fraude et les craintes qui pèsent sur l'exposition des banques au "subprime" ont été pointé du doigt par de nombreux observateurs. Dans le quotidien L'Alsace, Patrick Flugier s'interrogeait: "la banque n'a-t-elle pas trouvée un lampiste bien commode pour masquer une partie de ses pertes sur les crédits à risque américains ?" Un bouc émissaire dont l'identité a été très vite révélée et dont les journaux ont vite fait de l'étaler en Une.

Lors d'une conférence de presse, la banque expliquait sa déconfiture par "l'extraordinaire talent de de dissimulation" de Jérôme Kerviel, 31 ans, et désormais connu comme "le trader qui a fait sauter la banque". Selon le patron de la Société Générale, Jérôme Kerviel connaissait les procédures de contrôle sur le bout des doigts et aurait créé une "entreprise dissimulée à l'intérieur de nos salles de marché".

Reste que si une procédure judicaire est désormais en cours à l'encontre de Jérôme Kerviel (voir article par ailleurs), la fraude géante au sein de la Société Générale a porté un coup certain à la crédibilité du système bancaire français. Le fait que la banque française, numéro deux dans l'Hexagone derrière sa rivale BNP-Paribas et réputé pour sa solidité, ait pu voir tous ses systèmes de contrôle déjoués, a ruiné la confiance dans les banques.

Ainsi, le quotidien "The Independent" estimait-t-il vendredi que ce scandale "est le symbole de l'effondrement des normes bancaires traditionnelles", ajoutant que le départ de Daniel Bouton n'était qu'"une question de temps". Plus sévère, le Daily Telegraph soulignait que l'affaire avait effacé "le peu de foi qui restait dans les banques occidentales".

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