Quelques livres récents...

Parmi les ouvrages à retenir, un roman affûté consacré aux ménagères anglaises désespérées ("Arlington Park"), un extraordinaire roman historique ("Le dernier frère") venu de l'île Maurice, des nouvelles signées Charles Aznavour ("Mon père ce géant") et les mémoires de Simone Veil ("Une vie").

"Arlington Park" de Rachel Cusk
Une banlieue proprette sur laquelle planent des "nuages pareils à de sombres cathédrales". Ici, les pavillons sont meublés de canapés blancs que les enfants des voisins prennent un malin plaisir à saloper avant que leurs mères ne s'en aillent passer le temps au centre commercial. Dès le premier chapitre, conçu comme un long travelling au-dessus de cette petite ville imaginaire des environs de Londres, Rachel Cusk plante le décor de son roman choral. Remarquablement construit et traduit, mené avec dextérité, "Arlington Park" brosse le portrait de bourgeoises ménagères, jadis femmes actives et brillantes, désormais réduites à jacasser avec leurs congénères et à s'occuper de leurs enfants. A l'abri du regard des voisins pourtant, l'hystérie guette. Et plus encore lorsque les frustrations percent au grand jour. L'auteure ausculte tout ce petit monde de manière aigue, presque anthropologique. Chez elle, les pneus sont "gargantuesques", les dents grises "pareille à un bouquet de pierres tombales", et les gorgées de vin "belliqueuses". Un roman férocement britannique. Diablement jubilatoire.

Editions de l'Olivier, 300 pages, 21 euros

"Le dernier frère" de Nathacha Appanah
Le 26 décembre 1940, un bateau refoulé de Haïfa par les autorités anglaises de Palestine accostait à l'île Maurice, également colonie britannique. A son bord, 1.500 juifs Tchèques, Autrichiens et Polonais décidés à fuir la barbarie nazie. Plutôt que de les accueillir à bras ouverts, les Anglais ont préféré les interner dans une sordide prison de l'île. Partant de cette histoire vraie, la Mauricienne Nathacha Appanah a imaginé un superbe récit d'amitié. Celle de deux enfants. Deux survivants. Le premier, David Stein, né à Prague, est orphelin. Le second, Raj, fils d'une famille extrêmement pauvre, a vu ses deux frères adorés emportés par un cyclone. Il est beaucoup question d'amour dans ce roman à l'écriture souple, parfois lyrique, dont la charge émotive emporte le lecteur dès les premières phrases. Amour fraternel tout d'abord. Amour maternel ensuite. L'auteure signe des pages superbes sur la relation entre Raj et sa mère. Ce faisant, elle brosse un portrait magnifique de son île. Car Appanah sait, comme nulle autre, dire la lumière, la densité d'une forêt, la couleur éclatante d'un oiseau, l'eau boueuse d'une rivière. Au fil des pages, la nature -tour à tour protectrice ou assassine- apparaît comme un double du narrateur, révélant ses sentiments les plus profonds. L'un des plus beaux romans de la saison.

Editions de l'Olivier, 214 pages, 18 euros

"Mon père ce géant" de Charles Anavour
Vous adorez le chanteur? Alors l'écrivain devrait vous plaire. Non content d'avoir déroulé le fil de sa vie dans une autobiographie parue aux éditions Flammarion en 2003, Charles Aznavour s'essaye aujourd'hui à un nouveau genre littéraire, la nouvelle. Regroupées au sein d'un recueil baptisé "Mon père ce géant", ces quinze petites histoires ne sont pas sans rappeler ses chansons. Par leur forme, tout d'abord. Des textes courts, écrits dans des mots simples, portés par une gouaille et un rythme aznavouriens en diable. Au point où le lecteur semble parfois entendre la voix du chanteur jaillir de ces lignes. Charles Aznavour renoue également ici avec les thèmes qui lui sont chers. L'Arménie, son pays d'origine, évoqué dans "Le roman d'Armen Mehmed". L'histoire d'un orphelin arménien sauvé par un Turc musulman après que toute sa famille ait été massacrée. "Un père seul", rappelle pour sa part, "comme ils disent", célèbre chanson sur l'homosexualité. Un thème domine cependant. Celui de la paternité, évoqué dans la plupart des nouvelles. Géniteurs imparfaits, paternels délaissés, papas orphelins de leurs gamins... Une véritable fête des pères.

Editions Flammarion, 156 pages, 15euros

"Une vie" de Simone Veil
Elle est la femme politique préférée des Français. Peut-être parce que Simone Veil reste viscéralement rebelle, à jamais insaisissable, déroutant ses partisans comme ses détracteurs. En témoigne ces mémoires. Pour la première fois, l'ancienne présidente du parlement européen évoque longuement son enfance, ramenant à la vie un monde et une famille disparue dans les camps nazis, ceux-là mêmes auprès desquels elle a puisé sa force et ses convictions. Elle raconte cette histoire avec simplicité, offrant au lecteur une proximité rare avant de se lancer dans le récit -plus distancié- de sa vie depuis le retour des camps. Ces pages-là n'en sont pas moins passionnantes, voire éclairantes au regard de l'actualité. Lorsqu'elle évoque son travail au sein de la direction de l'administration pénitentiaire, par exemple, alors que de nombreux débats agitent aujourd'hui le pays. Au fil des chapitres, Simone Veil continue de surprendre, encore et toujours, reconnaissant ici la nécessité de Mai 68, livrant là une vision beaucoup plus nuancée de la guerre en ex-Yougoslavie, se félicitant de l'élargissement à l'Europe à l'heure où la plupart des hommes et des femmes politiques la dénoncent. Sans parler de son soutien à Nicolas Sarkozy alors qu'on l'attendait auprès de François Bayrou, qu'elle voue aux gémonies.

Editions Stock, 402 pages, 22,50 euros

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