Karlsruhe change la règle du jeu en Allemagne pour les Européennes

Par Romaric Godin  |   |  792  mots
Karlsruhe a jugé inconstitutionnelle la loi électorale pour les européeenes
La Cour constitutionnelle allemande a estimé que le seuil de 3 % n'était pas justifié pour les Européennes outre-Rhin. La répartition des sièges se fera donc sans seuil, ce qui réservera des surprises.

A trois mois des élections européennes, la Cour constitutionnelle allemande rebat les cartes. Dans une décision publiée ce mercredi 26 février, les juges de Karlsruhe ont considéré que la loi électorale pour les élections européennes, qui prévoyait en Allemagne un seuil minimum de 3 % des suffrages exprimés pour obtenir des élus, était inconstitutionnelle.

La justification de la Cour

La Cour a estimé que cette loi brisait deux principes de la Loi Fondamentale allemande : l'égalité des citoyens devant le droit de vote et l'égalité des chances entre partis. " La voix de chaque électeur doit en principe avoir le même pouvoir " ont indiqué les juges. Certes, des exceptions sont possibles, comme lors des élections fédérales où un seuil de 5 % est appliqué, mais dans ce cas, l'exception doit être justifiée. Dans le cas des élections au Bundestag, ce seuil est ainsi justifié par la « capacité de fonctionnement du parlement » allemand. Evidemment, cette justification ne saurait tenir pour l'élection de 96 députés sur 751 au parlement européen.

La plainte

En 2011, Karlsruhe avait déjà jugé inconstitutionnel le seuil de 5 % pour les européennes. Berlin avait alors « bricolé » cette nouvelle loi, abaissant le seuil. 19 partis avaient déposé une plainte à la cour, dont le parti conservateur surtout fort en Bavière "Freie Wähler " (Electeurs libres)et les néo-nazis de la NPD. Les juges ont donc rappelé que le problème n'était pas quantitatif, mais qualitatif : comme les élections en Allemagne ne déterminent pas à elles seules la majorité au parlement européen, le seuil ne se justifie pas et créé une surreprésentation artificielle des grands partis.

Le mode de scrutin du 25 mai en Allemagne

L'élection du 25 mai se déroulera donc en Allemagne sans autre seuil que celui du système de calcul des sièges, dans ce cas c'est le système dit « de Saint-Laguë », du nom d'un mathématicien français, modifié par un physicien allemand, Schepers. Un système qui est appliqué depuis cinq ans progressivement pour tous les scrutins outre-Rhin. Le nombre de sièges est attribué en divisant le nombre de voix obtenu par un diviseur (lui-même issu du rapport entre le nombre de voix exprimés et le nombre de sièges à pourvoir) avec un arrondi standard. Le diviseur est modifié à la baisse ou à la hausse jusqu'à ce que le nombre exact de sièges soit attribué. Autrement dit, un parti n'est pas représenté lorsque ce rapport tombe sous 0,5. C'est la seule limite et elle est faible.

Ce qu'aurait été en 2009 la délégation allemande.

Concrètement, selon ce système, la représentation allemande en 2009 au parlement européen en eût été profondément changée. Tous les partis ayant obtenu plus de 5 % auraient perdu des sièges : 30 au lieu de 34 pour la CDU, 21 au lieu de 23 pour la SPD. Par ailleurs, on aurait vu arriver au parlement européen neuf nouveaux partis ayant obtenu entre 0,4 % et 1,7 % des voix (pour un total de 8,1 % des suffrages exprimés). Les Freie Wähler aurait eu deux sièges, les autres, un seul. Parmi ces partis, deux peuvent être clairement classées à l'extrême-droite : les Républicains (1,3 %) et la DVU (0,4 %). On compte aussi deux partis de défense des retraités, le parti de défense des animaux, le parti écologiste démocratique (ÖDP), le parti de la « Famille » et les Pirates.

Les partis désormais assurés de disposer d'un siège

La délégation allemande au parlement risque donc d'être très éclatée pour la prochaine législature. Cette décision est clairement une mauvaise nouvelle pour les grands partis allemands qui seront naturellement affaiblis, c'est en revanche une bénédiction pour certains d'entre eux, à commencer par les Libéraux de la FDP qui n'étaient pas certains de pouvoir franchir le seuil de 3 %, les Pirates, les Eurosceptiques d'Alternative für Deutschland (AfD), les Freie Wähler et les néo-nazis de la NPD. Autant de partis qui devraient envoyer au moins un député à Bruxelles.

Une bonne nouvelle pour le FN ?

Cette décision renforcera donc sans doute le camp eurosceptique. C'est aussi du reste une bonne nouvelle pour l'alliance dirigée par le FN français, la FPÖ autrichienne et le PVV néerlandais qui cherchent à constituer un groupe au futur parlement. La difficulté de ces partis sera en effet de trouver des élus de sept pays membres. Jusqu'ici, un élu allemand semblait exclu car AfD refuse toute union avec ces partis. Ce n'est plus le cas à présent. Un élu NPD ou républicain allemand permettra d'apporter un Etat supplémentaire au calcul, ce qui pourrait être déterminant in fine.