François Hollande "veut" une Europe qu'il a renoncé à construire

Par Romaric Godin  |   |  1540  mots
François Hollande se lance dans la campagne électorale.
Le chef de l'Etat est entré dans la campagne des Européennes ce 8 mai avec une tribune dans Le Monde. Mais ses arguments sont bien faibles.

François Hollande a donc décidé d'entrer dans la campagne des Européennes avec une tribune dans Le Monde. Passons sur l'efficacité contestable de la méthode et sur les effets attendus de cette entrée en lice du président de la république le plus impopulaire de la 5ème république, l'essentiel est  de s'interroger sur « l'Europe que veut » le chef de l'Etat, pour reprendre le titre de cette tribune (« l'Europe que je veux »).

Une tribune « défensive »

Première remarque : la définition de cette Europe voulue occupe une part fort modeste dans le texte de l'hôte de l'Elysée. Seules deux demi-colonnes y sont consacrées, le reste est réservé aux traditionnels arguments anti-eurosceptiques (« l'Europe, c'est la paix ») qui, il faut bien le reconnaître, aurait pu être laissés à la charge du premier militant venu. Ceci en dit assez sur la vraie stratégie de l'Elysée et du PS : c'est une stratégie défensive, visant surtout à repousser l'euroscepticisme comme un « mal absolu » plutôt qu'une vraie stratégie offensive, visant à promouvoir une vision « positive » de l'Europe.

Ce que veut François Hollande

Car, si l'on en vient précisément à l'Europe « que veut » François Hollande, on est bien plus dans la rhétorique que dans le réalisme. François Hollande veut une Europe qui, «  à partir de la zone euro redonne de la force à l'économie, met fin à l'austérité aveugle, encadre la finance avec la supervision des banques, fait de son grand marché un atout dans la mondialisation et défend sa monnaie contre les mouvements irrationnels. » Vaste projet dans lequel on sent pointer quelques réminiscences du fameux discours du Bourget (celui de « mon adversaire, c'est la finance »), mais qui semble en réalité à des lieus de l'Europe qui est effectivement en construction.

Redonner de la force à l'économie ?

On peut évidemment considérer que la politique menée en zone euro qui vise à améliorer la compétitivité externe de tous les pays de la zone euro vise à « redonner de la force à son économie. » C'est une vision respectable, mais il ne faut pas oublier que cette politique commence par un affaiblissement économique. Les pays qui ont connu les politiques de dévaluation interne le savent bien. Et il faut bien admettre que, malgré la légère reprise de l'économie de la zone euro, les forces acquises par cette politique peinent encore à convaincre réellement. En réalité, l'économie de la zone euro, si on exclut l'Allemagne, n'est pas « plus forte » qu'avant 2010. Bien au contraire. Lorsqu'un pays a connu un recul de son PIB de 23 % comme la Grèce, il est certain qu'une stabilisation finit par se produire, mais regagner le terrain perdu est une tâche ardue.

Encadrer la finance ?

« L'encadrement de la finance » par l'UE ferait plutôt sourire dans la bouche de n'importe qui d'autre que celui qui, après avoir renoncé à une vraie loi de séparation des activités bancaires en France a promis d'enterrer le projet un peu plus ambitieux de Michel Barnier sur le sujet. Chacun sait que l'union bancaire n'évite pas « tout risque pour les épargnants et les contribuables » comme le prétend plus loin dans cette tribune le chef de l'Etat. Il est même pris là en flagrant délit de mensonge puisque les épargnants de plus de 100.000 euros seront mis à contribution et que, en cas de crise grave, on sait que les 55 milliards d'euros du fonds de résolution unique bancaire seront insuffisants et qu'il faudra alors réclamer la garantie des contribuables. Chacun sait aussi que la taxe sur les transactions financières adoptées cette semaine est inefficace et indolore et qu'elle ne gênera guère dans la réalité la finance mondiale. La réalité de ce qu'a fait François Hollande au Conseil européen est donc l'exact opposé de ce qu'il prétend vouloir.

Défense contre la mondialisation ?

Le renforcement du marché unique pour faire face à la mondialisation semble surtout une figure de rhétorique creuse puisque l'on ne voit guère de renforcement des entreprises de la zone euro, là encore Allemagne exceptée, sur les marchés internationaux depuis des années. Bien au contraire, les entreprises des pays frappés par l'austérité ont souffert, l'Italie est dans ce domaine un bon exemple. La France, qui cumule les déficits commerciaux, aurait bien du mal à apparaître ici comme un exemple contraire…

La fin de « l'austérité aveugle » ?

Mais, François Hollande prétend aussi en finir avec « l'austérité aveugle. » Là encore, il est difficile à croire. Le plan Valls qui a cherché 50 milliards d'économies par des gels quasi généraux des rémunérations des fonctionnaires et des retraités semble contredire ce vœu. Mais la poursuite des politiques d'austérité en Grèce, au Portugal, en Espagne, aux Pays-Bas semble devoir encore affaiblir cet argument. En réalité, les institutions européennes mises en place avec le Semestre européen, le TwoPack, le Six Pack et le pacte budgétaire rendent peu crédible cette volonté.

Tout comme cette volonté affichée par le chef de l'Etat de voir naître « une Europe qui investit grâce à de nouveaux projets. » Ces fameux Project Bonds, promus avec le non moins fameux « pacte de croissance » lors du conseil européen de juin 2012, sont restés lettre morte. L'Europe s'est montrée incapable de les mettre en place, tout comme la Banque européenne d'investissement, la BEI, dirigée par un libéral allemand et obsédée par sa notation par les agences, a été incapable de soutenir la conjoncture européenne. La vérité, c'est que la gouvernance de la zone euro échappe au politique et est fondée sur une vision unilatérale de l'économie : l'amélioration de la compétitivité externe par la compression de la demande interne. Cette gouvernance ne laisse pas la place à une politique de relance qui la freine. C'est pourquoi l'Allemagne, fidèle à sa logique, a toujours refusé ces projets. François Hollande, qui a exigé que la France vote le pacte budgétaire et n'a pas imposé de véritable et concret volet de croissance à ce pacte comme il l'avait explicitement promis, a participé à la mise en place de cette architecture.

Défendre l'euro contre l'irrationalité ?

Sur le plan monétaire, le chef de l'Etat se paie de mots. La zone euro « défendrait-elle sa monnaie contre les mouvements irrationnels » ? Mais de quels « mouvements irrationnels » parle-t-il ? L'euro est fort parce qu'il doit l'être. Parce que la politique de compétitivité externe renforce la demande et la rareté de l'euro. Il n'y a là rien d'irrationnel. L'euro n'est pas victime de hedge funds avides, mais des conséquences de la politique soutenue par François Hollande. Et si la BCE ne fait rien, c'est aussi parce qu'elle ne peut guère lutter efficacement contre les effets de cette politique. En ce domaine, l'irrationalité réside d'abord dans les politiques menées.

La fin de la concurrence fiscale et sociale ?

Enfin, François Hollande « veut » une Europe qui mette fin à la « concurrence sociale et fiscale. » Rendons justice à ce fait que, depuis 2008, la lutte contre les paradis fiscaux s'est intensifiée et que l'UE et le couple franco-allemand n'y est pas pour rien. La Suisse, le Luxembourg, Singapour et l'Autriche sont revenus sur leurs secrets bancaires. Mais évidemment les effets réels de cette politique restent encore à prouver. En revanche, au sein de la zone euro, les pays sont en concurrence sociale et fiscale les uns avec les autres et la crise a renforcé cette concurrence. Pressés par la commission et par les politiques d'austérité menées par leurs « partenaires », les pays de la zone euro entendent toujours plus réduire la charge pesant sur les entreprises, tant sur le plan fiscal que sur le plan social, pour « améliorer leur compétitivité. » Ce sont les fameuses « réformes structurelles » qui en appellent toujours d'autres, puisque les « partenaires » répondent par d'autres baisses du coût du travail. Cette concurrence sociale et fiscale, loin de disparaître est là aussi un des moteurs de la zone euro de l'après-crise. Là encore, François Hollande veut une Europe qu'il n'a pas défendue dans les faits. Le plan Valls a même marqué l'entrée de la France dans cette logique.

Un président aux abois

Sur le plan économique, il faut donc reconnaître que les arguments de François Hollande sont fort contestables. Ils sont souvent mensongers. En réalité, il existe un gouffre béant entre l'Europe « que veut » le président de la République et celle qu'il a contribuée à mettre en œuvre. On comprend mieux alors pourquoi l'essentiel de cette tribune dans le Monde est « défensive. » Avec de tels arguments, il ne reste plus à François Hollande qu'a utiliser l'arme qu'il condamne lui-même chez ses adversaires eurosceptiques : celle de la peur du déclin, de la guerre, de l'inconnu. Qu'un chef de l'Etat en soit réduit à ces méthodes en dit long sur son impuissance réel au sein de l'Europe.