Elections européennes : ce que va provoquer l'onde de choc Front National

Par Jean-Christophe Chanut et Romaric Godin  |   |  1455  mots
La présidente du Front National compte bien tirer avantage du succès attendu de son parti aux élections européennes
Le FN pourrait, le 25 mai, arriver en tête des élections européennes, une première pour la France. Un séisme politique dont voici les conséquences, plus ou moins importantes...

Les sondages se suivent et se ressemblent : le Front National est en passe d'arriver en tête en France lors du scrutin européen du 25 mai. Vendredi 16 mai, par exemple, un sondage LH2/ Nouvel Observeur lui accordait 21% des suffrages, devant l'UMP (20%) et le PS (18%). Ce 19 mai, un autre sondage BVA-Orange pour l'Express, la Presse régionale et France Inter, donne 23% pour le parti de Marine Le Pen, devant l'UMP (21%) et le PS (17%).

Si ces prédictions se confirment, ce serait la première fois que le parti fondé il y a plus de quarante ans par Jean-Marie Le Pen arrive en première position lors d'un scrutin national. Mieux que ce fameux 21 avril 2002 quand le père de Marine Le Pen était arrivé en deuxième position - derrière Jacques Chirac - du premier tour de l'élection présidentielle avec 16,86% des voix, éliminant le candidat PS Lionel Jospin. Quelles seraient à compter du lundi 26 mai les conséquences de ce séisme sur les scènes politique française et européenne ? La donne serait-elle réellement modifiée ?

Pas d'inflexion de la politique économique française

Au niveau national, sur le terrain économique, il ne faut s'attendre à aucune inflexion. Le gouvernement a déjà utilisé ses cartouches pour tenter de reconquérir le vote populaire, celui qui est le plus sensible aux sirènes du Front National. Manuel Valls a en effet déjà annoncé avant le scrutin la réduction d'impôts sur le revenu pour quelque 3 millions de français, dont 1,8 million ne seront plus imposés. Et le ministre des Finances Michel Sapin a précisé que la mesure était pérenne au moins jusqu'en 2017. A l'exception de la baisse des cotisations sociales salariales pour les salariés percevant moins de 1,3 Smic, mesure prévue dans le pacte de responsabilité, Il ne faut plus s'attendre à grand-chose d'autre, tant il y a un manque de grain à moudre. Au contraire, Front national ou pas, le gouvernement va être maintenant entièrement tourné vers sa politique de l'offre basée sur la baisse du coût du travail et de la fiscalité des entreprises. Sans parler des 50 milliards d'euros d'économies à trouver dans les dépenses. Il pourra arguer de son patriotisme économique - le récent décret Valls/ Montebourg élargissant les domaines où l'Etat a son mot à dire en cas de risque de reprise d'une entreprise française à un groupe étranger - pour marcher sur les plates bandes du FN.

Ca va tanguer à l'UMP...

Au niveau purement politique, en revanche, le coup de tonnerre FN va propager une onde de choc à gauche comme à droite. Au sein de l'UMP, les différences entre les tendances pourraient bien s'exacerber. D'autant plus que le président du mouvement, Jean-François Copé se trouve affaibli par plusieurs « affaires » le concernant. Nombreux vont être les députés, notamment dans le Sud, se sentant menacés par un candidat frontiste lors des futures législatives de 2017, à enjoindre leurs dirigeants de passer un accord avec l'entourage de Marine Le Pen. L'idée étant de faire sauter les digues qui tiennent encore entre l'UMP et le parti d'extrême droite. Vieille antienne qui resurgit régulièrement. C'est le rêve Marine Le Pen, tout à sa stratégie de dé-diabolisation du Front National. Son modèle, c'est l'italien Gianfranco Fini qui a transformé au milieu des années 1990 le vieux parti fasciste italien, le MSI, en un parti plus présentable, l'Alliance Nationale, pour devenir vice-président du conseil du gouvernement de Silvio Berlusconi (avant de rompre avec ce dernier et de retomber dans l'oubli).

Mais, à l'inverse, d'autres tendances de l'UMP, regroupées derrière Alain Juppé ou Jean-Pierre Raffarin, vont se battre pour que les parois restent étanches avec le FN. Marine Le Pen, là aussi, s'en délecte d'avance, tablant sur un éclatement de l'UMP qui lui serait favorable et pourrait lui ouvrir un boulevard pour la présidentielle de 2017 où elle se voit au deuxième tour…. Comme son père en 2002. Pour éviter cela, Nicolas Sarkozy pourrait définitivement décider de son retour - si toutefois les hypothèques judiciaires sont levées - et "faire don de sa personne" à l'UMP pour faire barrage au FN…

... Et le FN va faire pression sur François Hollande pour obtenir la dissolution

Un scénario plausible qui inquiète énormément dans les rangs du PS où le bon score prévisible du Front National dimanche prochain est attendu. Avec un président au plus bas dans les sondages de popularité, le PS sait que la pression du Front National va devenir terrible en faveur d'une dissolution de l'Assemblée nationale. Marine Le Pen va marteler ce message en permanence, espérant surfer sur son bon score à l'élection européenne. Comme elle ne se gênera pas de rappeler que le candidat François Hollande avait promis d'instituer une dose de proportionnelle dans l'élection des députés. Un mode de scrutin qui serait favorable au Front National. Quant à François Hollande, au-delà de sa satisfaction de voir l'UMP tiraillée par des mouvements contraires, il va avoir, plus que jamais, l'élection de 2017 en ligne de mire. Il sait que l'un des deux candidats « traditionnels » de gauche et de droite risque d'être absent au deuxième tour. Et sans résultats économiques probants, il sait qu'il pourrait bien être l'éliminé.

Les conséquences au niveau européen

Avec le score attendu du FN, il est certain que François Hollande va être un peu mal à l'aise lorsqu'il se présentera devant les autres dirigeants européens lors du premier Conseil européen post élections, les 26 et 27 juin prochains. Certes, l'image de la France, co-fondatrice de l'idée européenne, en pâtira. Mais il ne faut pas exagérer cet effet, car François Hollande ne sera pas seul dans ce cas. Les chefs de gouvernement britannique, grec et danois vont sans doute aussi arriver après une lourde défaite de leur camp et un parti eurosceptique en tête. En Italie, le parti de Matteo Renzi devrait arriver en tête, mais les Eurosceptiques de Beppe Grillo feront un score sans doute supérieur ou proche de celui du FN en France. Exactement, comme les nationalistes de gauche irlandais du Sinn Fein en Irlande ou le FPÖ autrichien.

Le renforcement de la "grande coalition"

En réalité, l'élection d'une quinzaine de députés FN au Parlement de Strasbourg ne changera pas grand-chose au fonctionnement de cette institution. Au contraire. Avec la poussée des Eurosceptiques, la seule majorité possible semble être la "grande coalition" entre le PPE (conservateur) et le PSE (socialiste). Jusqu'ici, l'un ou l'autre de ces partis pouvaient s'appuyer sur une alliance "de rechange" avec les Conservateurs britanniques, les Libéraux et les Verts. Désormais, cette alternative n'existera plus. C'est donc une grande alliance PSE-PPE qui dominera le parlement et devrait décider du prochain président de la Commission.

Un groupe d'extrême droite au Parlement européen

En revanche, au-lieu de siéger chez les non-inscrits comme actuellement, les députés européens du parti de Marine Le Pen auront sans doute la possibilité de créer un groupe (il faut au moins 25 députés dans 7 pays ) en s'alliant avec PVV néerlandais, le Vlaams Belang (Belgique), le FPÖ autrichien, les Démocrates de Suède, la Ligue du Nord et Fratelli d'Italia en Italie, le parti national slovaque (SNS), voire, s'ils ont des élus, le Parti populaire Roumain, et le Savez za Hrvatsku (Croatie). Le scénario de rêve pour marine Le Pen, ce serait que, malgré leur victoire annoncée, le UKIP britannique ne puisse maintenir son groupe politique en raison de la défection de la Ligue italienne et de la disparition de certains de ses alliés est-européens. Pour le moment, le leader de l'UKIP Nigel Farage s'y refuse. Mais, nécessité peut faire loi... Le scénario noir serait que le FN doive s'allier pour former un groupe avec des "infréquentables" comme les néo-nazis hongrois du Jobbik ou grecs comme Aube Dorée.

La formation d'un groupe n'est pas anecdotique : elle garantit un financement, des places dans les commissions et un temps de parole plus important. Le pouvoir de nuisance du FN au parlement sera donc plus fort. Mais il ne dépassera pas celui du désagrément. En revanche, le FN pourrait bien utiliser le parlement européen comme une tribune permanente contre l'alliance entre conservateurs et socialistes et contre les politiques européennes. Une tribune qui sera utilisée dans le cadre national par la suite...

______