La poussée du FN en France interpelle Angela Merkel

Par Romaric Godin  |   |  1602  mots
Angela Merkel doit désormais agir. / Reuters
La forte poussée FN en France trouve ses racines dans un refus d'une Europe fondée sur le modèle allemand. C'est désormais à Angela Merkel de faire preuve de pragmatisme pour réduire le poids du FN en France et sauver l'Europe.

Évidemment, on peut toujours faire comme d'habitude. Pester, se boucher le nez, maugréer et aller à Bruxelles pour fêter la victoire de Jean-Claude Juncker. On peut aussi promettre que plus rien ne sera comme avant, jurer que l'on a compris et aller à Bruxelles fêter la victoire de Jean-Claude Juncker. On peut enfin se dire que tout cela n'est pas très grave, que l'abstention relativise beaucoup la victoire du FN, que les grands équilibres sont maintenus au parlement européen, et aller à Bruxelles fêter la victoire de Jean-Claude Juncker. Mais l'on peut aussi se confronter avec la réalité.

Le FN est bien le premier parti de France

La réalité, c'est que la vie politique française est en lambeaux et qu'elle est le reflet de la société. La réalité, c'est que le FN est bel et bien le premier parti de France, avec une avance appréciable. Et que nul ne sait quelle proportion d'abstentionnistes serait aujourd'hui prête à voter FN. Mais on remarque que le vieux réflexe des analystes politiques selon lequel l'abstention profite au FN est de moins en moins vrai : là où le FN est le plus fort, comme dans le sud-est, l'abstention a reculé…

Le refus de l'austérité

Il est donc urgent d'entendre ce que les Français ont dit ce 25 mai et de prendre au sérieux ce message. Cette tâche ne revient pas seulement aux élus français, mais à tous les dirigeants européens. Ce que le vote français souligne, c'est que la société hexagonale ne supportera pas un traitement des maux du pays par les méthodes employées ailleurs. Certes, nous dira-t-on l'austérité française est plus légère qu'ailleurs. Et alors ? Le vote du 25 mai est un mouvement de recul face à l'idéologie "austéritaire" européenne. La France refuse d'être la Grèce ou l'Espagne de demain. Voilà ce qu'une bonne partie des Français ont affirmé.

Non pas par principe, mais parce que la société française est déjà épuisée par les politiques menées jusqu'ici. Parce que le désengagement de l'Etat des régions rurales, la progression du chômage, l'appauvrissement de certaines classes, le manque de perspectives, tout cela rend insupportable la doctrine des « efforts » et des « réformes » martelés par les politiques traditionnels à une bonne partie des Français. Certes, le vote FN n'est pas majoritaire et les partis pro-européens le sont encore. Mais on ne peut s'empêcher de se dire que si la France continue sa politique récessive, le seul parti qui dispose d'un potentiel d'appréciation sera celui de Marine Le Pen. Il faut donc agir. Et cette action ne peut venir que de l'Europe.

L'austérité, ressort du vote FN

Certes, il convient de relativiser. Le principal terreau du FN est français. Son premier ressort est une forme de xénophobie qui hante le pays depuis quarante ans. Mais ce seul ressort ne suffit pas à faire grimper ce parti à un quart des exprimés. Pour cela, il faut l'exaspération d'une crise qui n'en finit pas. Il faut l'absence d'espoirs qu'offrent les politiques austéritaires. Il faut le refus d'entendre les souffrances actuelles d'une partie du peuple au nom des « efforts nécessaires. » Marine Le Pen ne cesse de jouer de cela, bien plus que de la peur de l'immigré ou de l'insécurité, désormais. Sans cette situation économique, le FN serait encore fort en France, mais il ne dépasserait sans doute pas les 15 % des voix. Or, avoir un parti « antisystème » à 15 % ou à 25 % change entièrement la situation politique d'un pays.

L'Europe est-elle responsable de tout ceci ? Les pro-Européens entonnaient dimanche soir en chœur le chant du « bouc émissaire européen. » Et certes, les erreurs des politiques français durant la première décennie des années 2000, celle du « déclin français » sont évidentes. Mais peu importe. Ce qui a été dit ce dimanche, c'est le refus du fonctionnement actuel de la zone euro. L'Europe est, de par la volonté allemande, devenue synonyme d'ajustement, d'austérité, de déconstruction du "Welfare state". Contrairement à ce que l'on entend souvent dans les milieux parisiens, les Français ne sont pas des ânes guidés par leurs passions. Ils comprennent la signification et les conséquences des politiques qu'on leur promet. Et beaucoup estiment qu'elle est au-dessus des forces du pays. Que ce dernier n'y résistera pas. La France s'est cabrée en se dirigeant vers la guillotine de l'austérité. Si l'Europe ne comprend pas ce sursaut, elle devra en accepter les conséquences.

La balle dans le camp d'Angela Merkel

Désormais, donc, la balle est dans le camp européen, et, disons-le tout net, dans celui d'Angela Merkel qui, avec Jean-Claude Juncker à la Commission (ou un autre qu'elle aura choisi) disposera de tous les leviers sur la politique européenne. La chancelière doit accepter un fait qu'elle a, jusqu'ici, refusé d'admettre : la zone euro est diverse. Certains pays peuvent accepter un ajustement par les coûts et en profiter. D'autres, non. L'Irlande n'est pas la Grèce. L'Allemagne n'est pas la France. Jusqu'ici, l'ensemble des politiques européennes, de la troïka au Six-Pack et au pacte budgétaire, a été construite autour du « modèle allemand. » Le prétexte en était que l'Allemagne avait réussi son redressement grâce à ces méthodes austéritaires.

En finir avec le « modèle allemand »

Mais ce qu'on refusait de voir, c'est que ce qui avait été possible en Allemagne ne l'était pas en Grèce ou en France. Qu'en 2003, l'économie mondiale repartait et que l'Allemagne n'était pas désindustrialisée. Que le tissu économique allemand et le contexte historique allemand n'étaient pas les mêmes qu'ailleurs. Imposer une recette « allemande » au reste de l'Europe ne pouvait que réveiller les souverainismes, monter les pays les uns contre les autres par la compétition sociale et détruire les structures économiques existantes. Cela ne pouvait qu'échouer économiquement et politiquement. On en est là aujourd'hui : l'économie de la zone euro - Allemagne exceptée - ne parvient pas à se redresser et reste engluée dans le risque déflationniste et les structures politiques de plusieurs pays sont en pleine dissolution.

L'aveuglement idéologique de l'Allemagne doit donc cesser. Angela Merkel doit abandonner cette idée que le modèle allemand est universel. Si elle veut sauver l'euro et l'UE, elle doit désormais prendre en compte les réalités du terrain et abandonner sa défense unilatérale de sa sainteté le contribuable allemand. C'est ce que les Français lui ont demandé. Si elle n'agit pas rapidement, la France risque de sombrer politiquement et économiquement. Et le contribuable allemand en paiera alors aussi les pots cassés. Le gouvernement allemand doit accepter sa responsabilité dans la situation actuelle de la France et elle doit participer à sa correction.

Changer l'Europe ?

On sait qu'en Europe, ce qu'Angela Merkel veut fait loi. Alors la chancelière doit accepter de faire preuve de flexibilité dans l'application de critères budgétaires stupides, parce que figés dans l'absolu. Elle doit utiliser sa marge de manœuvre budgétaire pour investir là où ses partenaires européens pourront en profiter. Elle doit favoriser de vrais projets industriels européens dans un esprit de coopération. Elle doit demander à la Banque européenne d'investissement (BEI) d'être plus agressive et à la Commission de se pencher réellement sur les situations économiques et sociales propres à chaque pays pour adapter ses recommandations. Il faut enfin refuser par de la vraie solidarité la compétition interne à la zone euro sur la seule base des coûts. Compétition qui alimente naturellement le souverainisme. Bref, il faut faire preuve de pragmatisme et d'ambition.

Une Europe dans le déni

Ce message peut-il être entendu ? Malheureusement, on peut en douter. La structure institutionnelle a jeté un carcan sur toute marge de manœuvre budgétaire. La future commission ne prend pas le chemin de devoir être très différente de la précédente. Et Berlin restait, jusqu'à ces derniers jours, inflexible et aveugle. Angela Merkel affirmait que son pays ne disposait pas de « marges de manœuvre budgétaire » et samedi encore le ministre des Finances fédéral Wolfgang Schäuble pouvait affirmer tranquillement que « l'austérité n'est pas à l'origine de la montée des extrêmes. » Même le gouvernement français ne semble guère prêt à changer. Manuel Valls, dimanche, a annoncé le maintien de la ligne.

L'Europe en danger

Sans doute aura-t-on quelques ajustements, quelques « gestes. » Mais qu'on n'y prenne garde : à force de ne pas considérer les électeurs comme des adultes rationnels, mais comme des enfants devant qui on agite des hochets et à qui l'on se contente de faire peur, on joue avec le feu. Car devant un tel déni, l'Europe est désormais en grand danger. Si elle est incapable de ramener la prospérité, les partis qui la dénoncent, eux, prospèreront. Et ce n'est là que logique : si une politique ne fonctionne pas, les électeurs souhaiteront en essayer une autre. Comme l'Europe s'est identifiée à l'austérité sous l'impulsion allemande, ceux qui ne voudront pas de l'austérité n'auront pas d'autres choix que de sortir de l'Europe. C'est là le message de ce 25 mai. Il est étrange qu'on ne l'entende guère.

 

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