A quoi sert la classe politique ?

Par Jean-Charles Simon  |   |  1165  mots
Dans son livre, Cécile Duflot s'indigne d'avoir été considérée comme une novice... Mais s'est-elle demandé si elle avait la capacité à occuper la responsabilité qui était la sienne ?
Et si les ministres étaient jugés d’abord à leur capacités à gérer leur administration et pas à faire de la communication ou à gérer des rapports de forces ?

La tragicomédie du grand remue-ménage gouvernemental et son lot de déclarations plus définitives et solennelles les unes que les autres contrastent sèchement avec des réalités économiques aussi rudes qu'imperturbables. Ainsi la formation du nouveau gouvernement aura-t-elle été saluée le 27 août par une nouvelle hausse du chômage et la dégradation du climat des affaires...

Mais ce qui frappe surtout dans cette « séquence », comme après tant d'autres, c'est le peu de cas qui semble être fait des compétences pour occuper les fonctions concernées. C'est même presque le contraire, avec un soupçon en connivence quand il y a compétence supposée, à l'instar du passé de banquier d'affaires reproché à Emmanuel Macron. Un métier en effet pas si éloigné d'un ministère de l'économie concentré notamment sur les meccanos industriels et autres restructurations.

Des équilibres superficiels

Lors de ces remaniements ou changements de gouvernement, on assiste d'abord à des jeux de chaise musicale sans bien saisir les rapports entre les nouveaux ministères occupés et les précédents. Des nommés confessent sans gêne leur ignorance de leur portefeuille, quand ce n'est pas leur déception de ne pas en avoir eu un autre.

Les équilibres principaux paraissent être le genre, l'âge, les origines géographiques et les sensibilités partisanes. Mais en aucun cas l'aptitude professionnelle des nommés appuyée sur leur parcours, leur goût et leur motivation pour les sujets dont ils héritent, comme ce serait pourtant la règle dans toute autre activité.

L'objectif : le meilleur service au citoyen

Or, plus que de grandes réformes souvent infaisables politiquement ou socialement, voire inutiles et dangereuses, le plus indispensable est une gestion efficace et en profondeur du secteur public. Que chacun, dans son ministère, se donne pour objectif un meilleur service rendu aux citoyens et aux entreprises tout en réalisant des économies. En sachant qu'il faut parfois mieux arrêter certains services car ils n'ont plus d'utilité, ou pire, car ils enquiquinent tout le monde.

Ou encore qu'il est préférable de déléguer à des prestataires l'exécution de certaines missions. S'atteler à ce labeur et réaliser par exemple 5% d'économies chaque année sur l'ensemble de la sphère publique hors protection sociale, ce serait gagner 25 milliards d'euros par an... A redéployer ou à utiliser pour diminuer déficit et impôts.

La recherche de la visibilité

Seulement voilà, bien gérer au quotidien est un travail de fourmi, une ascèse beaucoup moins séduisante et gratifiante qu'une bonne grosse loi médiatique. Seule démocratie au monde ou presque où l'exécutif passe son temps à faire du législatif, personne en France ne paraît en effet remplir la vraie tâche managériale qui devrait être le cœur du pouvoir exécutif.

Car dans leur parcours d'hommes et femmes politiques à vie, depuis l'âge tendre du premier militantisme jusqu'à une retraite qui semble ne jamais vraiment venir, notre classe politique paraît préoccupée par tout autre chose que la bonne gestion. Les ressources humaines de leur administration, les circulaires ou règlements qui peuvent changer les pratiques des services publics, la gestion des achats et des investissements publics... : tout ceci leur semble peu de chose. En tout cas rien de très digne d'intérêt dans leur carrière. Consacrée bien sûr à la prise du pouvoir, beaucoup plus qu'à son exercice, et à défaut à la survie dans l'opposition. Dès lors, est recherchée la visibilité maximale de toute action. D'où le culte de la petite phrase ou encore du geste spectaculaire. Avec l'espoir d'un rendement médiatique maximal, le véritable graal, que ne saurait assurer une quelconque rigueur managériale laborieuse.

Maîtrise de la communication

Pourquoi dès lors s'embarrasser de la compétence technique ? Ce qui est finalement l'essentiel du « travail » de la classe politique se concentre dans la maîtrise de la communication et l'art des rapports de force - au sein d'un parti, d'un gouvernement, etc. Soit une part d'inné et plus encore l'expérience du terrain. Pour le reste, il y aura bien une flopée d'énarques et autres conseillers pour « faire le job »... Le plus désarmant est peut-être que certains s'étonnent ou même s'indignent d'être regardés comme novices en leurs fonctions, ainsi que l'exprime benoîtement Cécile Duflot dans son livre consacré à son expérience ministérielle. Elle qui, en revanche, ne semble pas portée à l'introspection sur ses propres capacités à occuper la responsabilité qui fut la sienne...

Le statut « d'élus », au sens propre comme dans une perception plus symbolique, ne leur confère-t-il pas pleine légitimité à occuper de telles fonctions ? C'est là où fait défaut la distinction entre fonctions purement électives et responsabilités exécutives. S'il est plutôt naturel que des parlementaires se présentent devant le suffrage universel sans que leurs qualifications soient au cœur de leur sélection - après tout, à leurs électeurs d'en décider (ce qui serait bien plus effectif, d'ailleurs, sans le jeu perturbant des investitures des partis qui peuvent imposer des candidats  « obligés » à l'électorat) -, un tout autre processus devrait prévaloir pour les fonctions exécutives. Comme, par exemple, pour les « ministres » d'un président américain, qui passent un rude examen (le « vetting ») devant le Congrès, instruisant à la fois leur passé et leurs compétences, pendant que la presse se charge en parallèle d'investigations sans concession... C'est aussi, d'une certaine manière, ce à quoi l'on va assister au Parlement européen pour les commissaires, l'incompétence flagrante ayant déjà donné lieu dans le passé à des passes d'armes pour valider une nomination.

Plus de Macron, moins de Montebourg !

Un tel processus appliqué à la nomination du gouvernement français serait plein de vertus. Il aurait pour vocation d'éviter les nominations complaisantes ou politiciennes si l'impétrant ne fait pas montre de solides compétences. Il placerait les mandats confiés sous le sceau du sérieux et de l'exercice effectif des responsabilités plutôt qu'en privilégiant la geste communicante. Et il permettrait de scruter les ombres et les réputations, ce qui aurait par exemple dû suffire à se prémunir d'une nomination comme celle de Jérôme Cahuzac.

Dans l'une de ses premières prises de parole après son entrée au gouvernement, Emmanuel Macron a déclaré : « je suis aujourd'hui en responsabilité, mais je ne me vois pas comme un homme politique. Je ne sais pas ce que je ferai demain. » Si le nouveau ministre de l'économie devait effectivement incarner la compétence technique et la rigueur gestionnaire sans être, comme tant d'autres, dans la stratégie d'une pure carrière politique au long cours, alors on pourrait revendiquer : plus de Macron, moins de Montebourg !