Une loi « micron », très en deçà des enjeux français

Par Jean-Charles Simon, économiste  |   |  1069  mots
La loi Macron sur l'activité et l'égalité des chances économiques présentée ce mercredi fait déjà beaucoup de bruit. Beaucoup de bruit pour rien ? Pour pas grand chose, hélas, quand on fait l'inventaire de ce qu'il y aurait à faire pour vraiment libérer l'économie !

Le projet de loi Macron n'est pas encore arrivé au Parlement qu'il suscite depuis plusieurs semaines bien des débats et des réactions. Ce qui est bon signe, tant les corporatismes sont aiguisés dans notre pays, et tant les secouer est nécessaire. Pour autant, à y regarder de près, les mesures envisagées restent très limitées ou cosmétiques. Rien qui soit de nature transformative à l'horizon.

Sur les professions réglementées, pour commencer, la France aurait au contraire besoin d'un grand soir. Bien des encadrements sont injustifiés et brident l'activité, soit des professions concernées, soit d'acteurs qui devraient justement pouvoir leur faire concurrence. Et ainsi réduire les rentes existantes et redonner du pouvoir d'achat au consommateur.

Inventaire des rentes intouchables

Quelle justification, en 2014, à devoir acheter des médicaments sans ordonnance en pharmacie, là où ils sont accessibles en supermarché dans de nombreux pays ? Pourquoi encadrer l'implantation de pharmacies ? A quel titre doit-on obligatoirement passer chez un notaire pour établir un acte authentique, ce que font aussi bien des avocats dans beaucoup de pays? Et pourquoi, hors de la collecte des taxes, les tarifs de ces prestations ne sont-ils pas libres et négociables ? Qu'est-ce qui justifie le monopole des auto-écoles alors que l'apprentissage accompagné existe dans bien des pays où il n'y a pas plus d'accidents qu'en France ? Pour quelle raison conserver des tribunaux de prud'hommes alors qu'ils sont les moins efficaces de tous, et que l'élection de leur conseiller intéressait tellement peu qu'il a fallu se résoudre à supprimer ce scrutin ? Pourquoi y a-t-il encore un monopole des avocats au conseil ? Faut-il vraiment une carte professionnelle et / ou des diplômes spécifiques pour être agent immobilier, conseiller en investissement financier, courtier en assurances ou coiffeur ? Pourquoi ne pas laisser la réputation et le savoir-faire de chacun à l'appréciation des clients dans ces professions ? Les tribunaux de commerce et leurs greffiers ont-ils une raison d'être au XXIème siècle, alors que le système judiciaire ordinaire pourrait très bien les remplacer ? Que penser des chambres de commerce et d'industrie, qui interviennent le plus souvent dans des domaines qui pourraient être complètement du ressort du marché ? Est-il indispensable d'avoir un système de licence et un numerus clausus pour les taxis, alors que la concurrence devrait conduire à faire se rencontrer au mieux offre et demande ? Là aussi, qu'est-ce qui justifie de réglementer les tarifs de ces services ?

On pourrait continuer longtemps cet inventaire des dispositifs qui entravent l'économie française, avec leurs ordres professionnels - souvent hérités de Vichy ! -, leurs codes et leurs paquets de textes législatifs et réglementaires qui sont autant de barrières à l'entrée dans une activité ou d'obstacles à son fonctionnement concurrentiel. Sur tous ces sujets, la loi Macron ne laisse envisager au mieux que des micro-ajustements, et le plus souvent rien du tout.

La réforme du marché du travail en retard d'une guerre

S'agissant du travail le dimanche, on a également l'impression d'être en retard d'au moins une guerre. Il est donc question de passer au mieux à 12 jours d'ouverture hors « zones touristiques internationales »... Alors que là aussi, nombre de nos voisins ont totalement libéralisé le travail dominical et en soirée. D'autant que si l'on maintient un encadrement en matière de droit du travail de la même nature qu'aujourd'hui (volontariat et majoration de la rémunération), il est assez incompréhensible de continuer à empêcher l'ouverture des volontaires.

Pour ce qui concerne le droit du travail, il est particulièrement décevant que cette loi ne contienne finalement rien sur les 35 heures. Or, si elle voulait vraiment mériter son appellation de loi « activité et croissance », elle aurait dû s'attaquer aux grands verrous de notre économie, dont la législation sur le temps de travail. Un programme autrement plus consistant que le droit d'installation des notaires ou le transport en autocar. Et pas insurmontable pour autant. Ne rien changer aux dispositions existantes mais permettre d'y déroger par entreprise en fixant le temps de travail habituel et donc le déclenchement du temps de travail supplémentaire à d'autres niveaux, serait une manière douce d'en finir progressivement avec l'uniformité des 35 heures. Ainsi qu'une occasion de faire diminuer peu à peu le montant des allégements de charges sur les bas salaires grâce à l'augmentation des rémunérations mensuelles, y compris si le Smic reste la référence horaire, en aménageant la formule de calcul de ces allégements.

Beaucoup d'autres sujets du droit du travail auraient pu être abordés, à commencer par l'encadrement du licenciement (bien au-delà du seul sujet traité, l'ordre des licenciements économiques), les seuils sociaux, la représentation des salariés... Rien de la sorte dans ce projet de loi « micron. »

Provocation sur l'épargne salariale

Quant à l'évolution de l'épargne salariale, c'est presque une provocation : le gouvernement reconnaît de fait que le forfait social, qui n'existait pas il y a seulement six ans et qui depuis son instauration a vu son taux décupler au sens propre, ne la favorise pas... D'où sa proposition d'abaisser ce forfait social là où la participation n'est pas obligatoire, sous les 50 salariés ! Alors qu'il faudrait évidemment réduire massivement ce prélèvement pour tous, la situation d'exonération de cotisations qui prévalait avant 2008 ayant pour contrepartie l'aléa et le blocage des montants pour au moins cinq ans dans le cas de la participation et des PEE.

Au final, la loi Macron ne va certes pas dans le mauvais sens. Mais elle y va à si petits pas, et pour une si forte dépense d'énergie collective autour des lobbies mobilisés, qu'on peut s'interroger sur les bénéfices réels de cette opération. Car les lobbies ne doivent être pris de front que pour de bon, et si possible en une seule fois, quand les enjeux le justifient vraiment. Sauf à les « victimiser » et à empêcher toute autre réforme pour longtemps.

Parce qu'il est d'abord conçu comme un numéro de politique, à savoir un geste dans le sens de la réforme donné à Bruxelles tout en restant dans les limites de ce qui est tolérable pour le groupe socialiste, ce projet de loi risque de mécontenter ou décevoir tout le monde.