Leonora Hamill, l'artiste, le cerf, l'église

Avec le soutien de Rubis Mécénat, l'artiste franco-britannique Leonora Hamill a conçu une œuvre pour l'église Saint-Eustache à Paris, une installation vidéo intitulée Furtherance, visible du du 4 décembre 2014 au 18 janvier 2015. Art Media Agency a rencontré l'artiste, qui nous présente son nouveau projet.
Le site www.leonorahamill.com présente les travaux multiples de l'artiste.

Art Media Agency - Pouvez-vous nous présenter cette œuvre ?

Leonora Hamill - L'œuvre s'appelle Furtherance, ce qui veut dire « cheminement », c'est l'idée d'aller plus loin. Cette installation vidéo est une commande de Rubis mécénat qui l'a financé et produit pour l'église Saint-Eustache.

Le fonds de dotation, qui est celui de la société Rubis, est dédié à des projets socio-culturels et de soutien aux artistes émergents. L'église Saint-Eustache souhaitait de son côté interpeller les passants avec un projet artistique. La seule directive était de réaliser une œuvre qui associe l'intérieur et l'extérieur du lieu. La vidéo sera projetée sur les huit fenêtres de la Porte Sud, et donc visible des deux côtés.

J'étais consciente que l'œuvre serait vue par un public différent de celui traditionnel du monde de l'art, je voulais donc quelque chose de plus immédiat, de plus brut.

Saint Eustache était un général romain sous l'empereur Trajan qui a eu la eu la vision d'un cerf doré (Lucifer) pendant qu'il était à la chasse. Il s'est par la suite converti au christianisme. J'ai donc voulu avoir un cerf dans l'église. Le tournage a d'ailleurs été compliqué avec celui-ci, qui n'était pas très à l'aise !

À travers Furtherance, j'ai souhaité révéler l'architecture du lieu de manière inhabituelle, avec beaucoup de plongés-contre-plongés, de mouvements de camera très précis, avec des angles auxquels le grand public n'a pas accès. Présenter cet espace avec un vocabulaire cinématographique, des détails et des expressions peu reproductibles dans cet environnement, un regard inédit.

Une idée qui était aussi importante pour moi était de recréer l'idée d'un vitrail en mouvement, avec des séparations bien définies. Le vitrail est pour moi synonyme d'artisanat, de temps. Cela rejoint le besoin d'exigence, de qualité, et d'une certaine lenteur, du temps nécessaire à cette maturation.

J'ai commencé la vidéo au Royal College of Art, au département photographie. J'ai débuté mon travail en 16 mm, mais pour cette œuvre j'ai pu travailler avec du 35 mm qui nécessite une exigence toute particulière.

Comment s'est passé ce tournage ?

Avant même le tournage j'ai passé une semaine à la Soupe Saint-Eustache en participant et aidant les bénévoles le soir. Je voulais voir la manière dont les prêtres, paroissiens, visiteurs et bénévoles évoluaient dans l'église.

Pour le tournage, j'ai pu faire appel à une vingtaine de danseurs afin d'élaborer une chorégraphie sophistiquée. Je voulais que chaque danseur ait un rôle précis sans que celui-ci ne soit directement reconnaissable.

Nous avons tourné pendant trois jours. Un jour de prelight, avec une grue avec un bras de 50 pieds, afin de faire des prises de vue architecturales. Puis la grue est partie et le lendemain nous avons réalisé les images avec le cerf. Nous avons travaillé de 6h du matin à 6h du soir pendant deux jours. Pour la lumière nous avons utilisé des HMA, des lumières de cinéma. J'avais envie de rester sur une esthétique relativement naturelle. En elle-même, Saint-Eustache est déjà une église relativement lumineuse — les vitraux sont incroyables, je crois qu'ils datent de 1634.

La vidéo dure environ 8 minutes. Je voulais travailler sur l'idée de mosaïque, jouer avec le passage d'un écran à l'autre. J'ai beaucoup travaillé le rythme, le temps. Il n'y a d'ailleurs pas de bande son. C'est un lieu de culte et nous souhaitions limiter le dérangement, minimiser l'impact de l'œuvre.

C'est une œuvre ambitieuse pour vous ?

Oui ! C'est un gros tournant dans ma pratique artistique. Déjà, être soutenu par un mécène comme Rubis mécénat est un rêve pour tout jeune artiste. De plus, j'ai pu bénéficier de superbes collaborations sur ce projet, dont le directeur de la photographie Ghasem Ebrahimian qui collabore régulièrement avec Shirin Neshat ou encore le monteur Erwan Huon qui travaille avec Nan Goldin. J'ai pu enfin recréer les images que j'avais dans ma tête.

Je suis aussi assez curieuse de voir la réaction des « invités » à la Soupe. Ce qui m'intéresse beaucoup c'est l'idée de l'autre. Le geste et l'empathie. Dans Furtherance, la figure humaine est présente, mais de manière abstraite. Un philosophe que j'aime beaucoup, Emmanuel Levinas, parle de la responsabilité éthique que nous avons envers l'autre. L'idée d'un élan sans avoir d'information sur l'identité de l'autre. Ce qui rejoint pour moi les valeurs de l'église catholique. C'est ce que j'ai essayé d'incorporer dans Furtherance.

La religion est-elle importante pour vous ?

Culturellement je suis catholique, donc je suis très à l'aise avec ces lieux. J'adore aller dans les églises que je trouve particulièrement inspirantes. Par contre, je ne pratique que peu. Au fond, j'ai un respect assez profond pour les institutions. J'ai toujours eu besoin de la stature qu'elles vous apportent. C'est aussi pour cela que j'ai fait des études d'Histoire de l'art.

Dans cette œuvre, je veux jeter une lumière très positive sur l'église Saint-Eustache. Ce n'est pas à la mode car tout le monde a besoin de critiquer, mais dans mon œuvre je choisis de travailler sur des thèmes que je veux esthétiser plutôt que critiquer. L'église m'intéresse beaucoup, les hôpitaux psychiatriques aussi, les écoles d'art. Je travaille toujours sur des thèmes qui me sont chers.

Art Media Agency - En photographie, vous travaillez à l'analogique, n'est-ce pas antinomique avec la notion de contrôle qui vous est chère ?

Tout d'abord, je trouve qu'à la chambre l'on a tout de même un grand contrôle. Il faut une grande rigueur, mais il n'y a finalement pas tant de surprises que cela. Il y en a quelque fois, alors c'est vrai que l'on ressent une certaine angoisse lorsqu'on envoie nos planches au labo.

Mais le matériau analogique force à être très rigoureux dans la préparation du travail. Ce que j'aime particulièrement. Je fais beaucoup de recherches avant de travailler. Et je prends le temps d'être prête avant de me lancer.

Vous produisez beaucoup ?

Non, j'ai besoin d'un long temps de réflexion avant de me lancer. Je lis beaucoup, j'étudie, je regarde, et je travaille avec des paramètres relativement stricts. Je passe certainement plus de temps à lire et à étudier qu'à créer !

N'est-il du coup pas plus compliqué pour vous de travailler sur une carte complètement blanche ?

Il y a des thèmes récurrents dans mon travail : j'adore la figure dans l'espace, l'idée de l'autre. J'ai aussi une obsession pour les lignes droites. Cela rend cette page blanche moins blanche. Cela réduit les options. J'ai besoin d'une frontalité, que l'on retrouve dans toutes mes œuvres. Cela dicte ma manière d'aborder cette carte blanche. Je m'adapte ensuite au lieu, au projet.

Quels autres médiums vous intéressent ?

La photographie est un medium que j'aime beaucoup et que je connais très bien. Mais qui pour moi a certaines limites. Je suis sûrement à ce niveau-là dans une phase de transition.

Je suis allée vers la pratique de l'art très tard. Je pensais devenir éditrice de livres d'art, ou curatrice. J'adore l'histoire, j'adore les fresques, j'ai passé beaucoup de temps dans les églises. J'aime la peinture ancienne. Lorsque j'étais à l'Institut Courtauld, je n'ai pas reçu un seul cours d'art contemporain ou d'art du XXe siècle. Ma mère a été marchande d'art du XIXe siècle, elle m'a traîné dans tous les musées de la terre. À 9 ans, nous allions déjà à Florence visiter les églises.

C'est donc un univers qui m'est très familier, alors que le cinéma ne l'était pas, et que lorsque j'ai découvert cela, j'ai trouvé là un médium vraiment incroyable. Je me suis mis à prendre beaucoup de photos en noir et blanc et, en allant dans une école de photo à New York quand j'avais 22 ans, je suis passée à la chambre et la couleur. J'ai découvert toute l'école américaine de Yale, Philip-Lorca diCorcia, toute cette école américaine, cette photo très cinématographie.

Par ailleurs, la peinture d'aujourd'hui n'est pas quelque chose qui m'émeut. Je suis plus proche de la photographie, que je comprends très bien, tandis que la vidéo me séduit parce qu'elle peut me faire rêver. Le problème du film, c'est son coût. Je réfléchis aussi à l'opportunité de créer des objets, mais il faut pour cela le bon sujet...

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