Médée : la descente aux enfers des sentiments vue par trois compositeurs

Le Théâtre des Champs Elysées se plonge cette année dans l'interprétation musicale du mythe de la mère infanticide. il a ainsi programmé un triptyque. Après l'opéra de Charpentier, c'est au tour de Dusapin et de Cherubini de livrer leur vision de cette sorcière amoureuse.
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Donné le 4 décembre 1693 pour la première fois à Paris, Médée de Marc-Antoine Charpentier, d'après un livret de Thomas Corneille, le petit frère de l'autre, fut très apprécié du public. La musique de ce digne successeur de Lully plaisait bien et s'accordait parfaitement aux canons de l'époque. Surtout, le thème de cet opéra, à savoir l'amour plus fort que tout, l'amour dévastateur, venait pimenter un genre littéraire en vogue beaucoup plus courtois. Le mythe de Médée, est effectivement l'un des plus questionnant de la mythologie : comment une femme, même bafouée par l'homme quelle aime le plus au monde, peut-elle tuer ses enfants pour se venger de cet homme ? Aujourd'hui encore, la question laisse perplexe. Cette femme a trahi son père et sa patrie pour Jason qu'elle va suivre en exil. Et lui, attiré par les ors d'une nouvelle contrée va trahir Médée en acceptant d'épouser la fille du roi qui lui promet son trône. Surtout, Jason va se comporter comme le plus vil des terriens, en niant ses futurs desseins à Médée. Celle-ci ne pourra accepter cette issue et va concocter la pire des vengeances. Elle va commencer par tuer la fille du roi (Créuse) et le roi lui même (Créon). Elle aurait pu aussi s'en prendre directement à Jason. Mais sans doute la vengeance n'aurait pas été totale. Surtout Médée ne peut quand même se résoudre à supprimer l'Amour qu'elle lui porte. Ne reste donc plus que la solution de tuer ses enfants, les enfants que Jason adore. En tuant sa propre progéniture, Médée fait certes preuve d'un égoïsme sans nom. mais n'est-ce pas aussi un geste d'automutilation ?
Très inspirée par les mystères de ce mythe, la direction du Théâtre des Champs Elysées a organisé cette année un triptyque autour de cette femme monstrueuse. Le premier volet vient de se terminer. Il était justement consacré à l'oeuvre écrite par Charpentier. Emmanuelle Haïm était à la direction avec son orchestre, le Concert d'Astrée. L'occasion pour elle de nous livrer sa version de ce drame musical, le dynamisme harmonique le disputant à l'éloquence des arias. La musique de cet opéra ressemble à un long fleuve où les récitatifs ne coupent absolument pas le rythme de la trame narrative. Son courant nous amène tout naturellement au dénouement tragique. Sans que l'émotion ne culmine à la fin du spectacle, puisqu'elle nous a touché tout au long de l'histoire. La mezzo-soprano Michèle Losier dans le rôle de Médée campe parfaitement son personnage. Sa voix profonde et dure nous fait partager les affres de cette femme mi sorcière mi démon. Mention spéciale aussi pour Stéphane Degout, dans le rôle du fiancé éconduit de Créuse. Ce baryton a la voix lumineuse des ténèbres. On l'avait tout autant remarqué dans le rôle de Thésée dans Hippolyte et Aricie en juin dernier au Palais Garnier, là aussi dirigé par Emmanuelle Haïm.
Mais que dire de la mise en scène de Pierre Audi, sinon qu'elle n'apporte absolument rien à l'intrigue ni à la dimension symbolique de ce mythe mis en musique. Sans doute pour apporter une note intemporelle, celle-ci se veut décalée avec des connotations surréalistes ou des décors plutôt surprenants, comme ces rochers qui ressemblent à des lingots d'or mouvants. De même, a-t-on droit, comme d'habitude pourrait-on dire, à des effets lumineux à base de néons tournés vers le public et nous éblouissant une bonne partie de la deuxième partie du spectacle. Loin d'accompagner le mouvement et de nous faire participer au voyage et à l'explosion finale des éléments et des humains, ce décor est figé et hors de propos. Sans parler des danseurs déguisés en petits martiens tout droit sortis de la série Star Trek.
Mais heureusement la force du mythe et la puissance de la musique l'emportent aisément.



Le deuxième volet du triptyque est prévu les 9 et 10 novembre. Il s'agira là du Medéa de Pascal Dusapin dirigé par Marcus Creed avec l'orchestre Akademie für alte musik Berlin. L'occasion d'assister à une version musicale contemporaine chorégraphiée par Sasha Waltz.
Le troisième et dernier volet est programmé les 10,12, 14 et 16 décembre. Retour en arrière cette fois puisque c'est Luigi Cherubini le compositeur de cette nouvelle plongée dans les méandres de la personnalité humaine. A la direction, un autre habitué de musique baroque : Christophe Rousset, à la tête des Talens Lyriques.

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