"La qualité d'une place, c'est sa capacité à créer des emplois. Notre bilan est insuffisant"

Alors que l'Association française des marchés financiers tient ce jour son assemblée générale, Philippe Tibi revient sur le rôle des marchés dans le financement de l'économie et la nécessité de réguler dans la sérénité. Il commente également pour La Tribune le projet de fusion Nyse Euronext-Deutsche Börse.
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La crise a-t-elle changé la donne pour les marchés, pour vos membres ? On parle désormais d'utilité sociale...

 

L'utilité sociale et économique des marchés est incontestable, mais elle rencontre une grande incompréhension. Les marchés contribuent pour au moins 20% du financement de l'économie en Europe, 50% aux Etats-Unis. Et leur rôle est appelé à croître du fait de la croissance mondiale et de la nécessité de mettre activement en rapport demandeurs et offreurs de capitaux. Mais aussi parce que les banques seront davantage contraintes dans leur offre de crédit avec les nouvelles règles prudentielles de Bale III, transposition du principe de précaution à la finance. Rappelons par ailleurs que durant la crise, les marchés ont répondu au besoin en cash des entreprises, se substituant partiellement aux banques confrontées à un choc violent de liquidité. Ces réalités sont toutefois aujourd'hui occultées par l'ampleur de la crise et les sentiments d'injustice qu'elle suscite.

Il est inévitable qu'après un tel événement les remèdes mis en ?uvre comportent une dimension punitive. Celle-ci ne doit cependant pas dissimuler les questions structurantes auxquelles la société française est confrontée : vieillissement de la population, financement des PME, actionnariat de nos grandes entreprises, localisation des centres de décision...

Voyez-vous malgré tout des pratiques à changer ?

Bien sûr. Mon propos n'est pas de dire que rien ne doit changer, et encore moins que rien n'a changé comme certains veulent l'accréditer. Mais le sujet est complexe et d'une ampleur considérable : financement des états et des entreprises, allocation efficace de l'épargne. Dégager les solutions optimales et acceptables n'est pas facile. Le temps requis pour cela n'est pas nécessairement celui de l'opinion.

L'Amafi travaille avec d'autres pour tenter de faire émerger une compréhension du sujet aussi complète que possible. Nous débattrons de nos idées avec les investisseurs, les émetteurs et les régulateurs. Le marché, sa place, son rôle, doit en effet faire l'objet d'un débat public et ouvert, car cette question concerne l'ensemble des citoyens français. Il est de notre responsabilité d'en faciliter la compréhension.

Fallait-il encadrer les ventes à découvert ?

La vente à découvert est utile, car elle contribue à la liquidité des échanges et à l'émission d'un signal prix efficace. Le non-respect de l'obligation de livraison est en revanche inacceptable et doit être réprimé. Par ailleurs en situation de très forte perturbation de marché, il peut être nécessaire de "refroidir" le système en limitant la vente à découvert. Le projet européen nous semble aller dans le bon sens. Relevons toutefois que s'agissant de la dette souveraine, les Etats se laissent la possibilité de se soustraire au dispositif dont ils prônent la nécessité...

Quid de la régulation des matières premières ?

Le marché des matières premières étant volatil par nature, les intervenants agricoles et industriels ont créé des marchés dérivés afin d'échanger les risques. Qu'il faille les encadrer ne fait pas débat. La question est comment, compte tenu de leurs particularités. Un premier pas est de donner aux régulateurs les moyens de mieux comprendre et analyser ces marchés pour déterminer les règles à mettre en place. S'agissant spécifiquement de l'effet de la spéculation sur les prix, j'observe qu'aucune démonstration définitive n'a été apportée à cet égard. L'alimentation est un besoin essentiel, les images des émeutes de la faim choquent l'opinion. C'est précisément pour cette raison que ce sujet important doit être traité rigoureusement.

Et le trading à haute fréquence ?

Les avis restent divisés sur ce sujet parmi nos adhérents. La nanoseconde semble plus impressionner que la microseconde... Je ne pense pas que la donne soit fondamentalement différente. La révolution a été probablement plus importante lors du passage de la criée à l'électronique. Le vrai sujet, c'est la capacité de détenir une information non partagée par tous les acteurs grâce à une meilleure appréhension du carnet d'ordres. Là encore, nous manquons de données pour objectiver l'analyse. Le trading à haute fréquence participe-t-il à la liquidité ? Est-ce une liquidité réelle ? Il est important que le marché demeure crédible. Une étude scientifique doit être menée pour ne pas énoncer des jugements fondés sur de fausses apparences ou céder à des intérêts particuliers. Cela fait plusieurs mois que nous appelons à réunir les données nécessaires.

Quel regard portez-vous sur la fusion Nyse Euronext-Deutsche Börse ?

Il y a un paradoxe certain à ce que le principe même de la directive Marchés d'instruments financiers (MIF), qui était d'instaurer davantage de concurrence, aboutisse à des fusions. Au moment de réformer cette directive, nous devons réfléchir collectivement au modèle de concurrence souhaité. En tant qu'acteurs de marché, nous voulons fonctionner avec des infrastructures offrant des services innovants, au meilleur coût et de manière sécurisée. Le risque aujourd'hui est de permettre l'émergence d'un monopole ou d'un oligopole privé, non régulé comme tel, ce qui serait inacceptable.

Quel impact anticipez-vous pour la place financière ?

Place financière et entreprise de marché sont des notions très différentes. Le maintien d'un écosystème de Place cohérent (financement sous toutes ses formes, gestion, intermédiation, entreprise de marché) est toutefois important. Notamment en ce qui concerne le financement des PME. La qualité d'une place, c'est sa capacité à créer de la valeur ajoutée, des emplois. Or, aujourd'hui, notre bilan est insuffisant. L'une des raisons est une activation insuffisante de l'épargne longue. Beaucoup de retombées en découleraient.

En termes par exemple de capacité à attirer l'épargne internationale, qui est une force de Londres. De ce point de vue, le repositionnement du Fonds de Réserve des Retraites est une occasion manquée. Au-delà de sa vocation première de répondre au défi des retraites, il est en mesure d'avoir un effet d'entrainement sur les différents maillons de la chaîne de valeur de Place.

Quid de la fiscalité ?

Nous savons que la fiscalité est un puissant outil d'orientation des comportements de placement. Clairement, la volonté collective fait défaut pour qu'elle puisse renforcer l'épargne longue. Il faut aussi dire que les règles prudentielles européennes, Solvabilité 2 en particulier, jouent un rôle très néfaste à cet égard.

 

 

 

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Commentaire 1
à écrit le 21/06/2011 à 11:43
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Pour retrouver son utilité sociale, le marché financier devrait commencer par revenir à ses fondamentaux: le prêt d'argent contre un dividende symbole de création de valeur, et non tenter de gagner de l'argent par des achats/ventes de papier virtuel.

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