Restaurant : pourquoi les Français dînent de plus en plus tôt

Par François Simon  |   |  613  mots
Au Sybaris, rue des Archives, à Paris. (Crédits : © JEANNE FRANK/ DIVERGENCE)
Mondialisation faisant, diététique aidant, l’heure des repas se met à glisser, consacrant une nouvelle tendance à dîner de plus en plus tôt...

Lorsque je suis complet, témoigne le patron d'un bistrot parisien à la mode, jusqu'alors je ne proposais pas de tables en tout début de service. C'était un refus catégorique du style "dîner avec les touristes, jamais". Maintenant, on me répond "pourquoi pas". Pour nous, ces réservations sont délicates. Si par exemple cette tablée arrivée à 19 heures commande une bouteille à 300 euros, comment voulez-vous que je leur demande de libérer la table à 21 heures ? Dans ces cas-là, c'est touchy. On peut faire patienter au bar avec l'apéro, mais si jamais vous manœuvrez mal, c'est illico un commentaire ravageur sur les réseaux sociaux dans le taxi du retour. On a tous peur de l'article incendiaire. »

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La clientèle des early dinners était bien souvent une clientèle d'avant-opéra ou d'avant-théâtre. Les « anciens » aussi ont cette préférence pour cet instant apaisé dans le restaurant. Dorénavant, il y a un véritable attrait pour ce créneau. Il offre non seulement la possibilité d'avoir une table plus facilement, mais surtout, vers 19 heures, le restaurant est dans sa phase calme. Il n'y a pas trop de bruit, les commandes partent immédiatement, le service est encore frais et disponible. C'est alors que le restaurant entre dans sa phase ascensionnelle, la plus passionnante. Vous allez le découvrir comme une fleur s'ouvrant. Alors que vous en êtes au plat principal, le monde commence à arriver, à bruire, à se rapprocher de votre table, le coup de feu est en vue, genre 20 h 30-21 heures, quand la clientèle afflue. Grand moment du restaurant: les femmes se libèrent de leur manteau pendant que leur compagnon joue à l'homme. Savourons. À eux les tables moins en vue, les commandes plus lentes, le dessert manquant, le plat du jour épuisé, le brouhaha sans doute recherché, et la fin du dîner vers 23 heures. C'est aussi une heure magique, les « early dîneurs » vertueux sont partis, bon débarras, arrive une clientèle de nuit plus festive, habillée, joyeuse. Les premiers peuvent se mordre l'intérieur des joues, ils ont loupé le sel du restaurant, celui des noctambules gagnant leur adrénaline.

Ce créneau offre la possibilité d'avoir une table plus facilement, mais surtout, vers 19 heures, le restaurant est dans sa phase calme

Depuis longtemps alors, les « early dîneurs » sont sous la couette, le sourire en banane. Les revues leur ont suffisamment bassiné qu'il faut dîner tôt pour une bonne raison : il nous faut deux-trois heures pour digérer. Sinon, c'est Hellzappopin (ohé, les boomers) toute la nuit: la digestion fait un bazar sans nom et lorsqu'elle se termine, c'est comme un système de clapet qui logiquement vous réveille vaguement hagard, maugréant la saucisse-purée + saint-joseph avalés vers 22 h 45... De surcroît, manger tôt n'est pas si incongru. Aux Pays-Bas, les Néerlandais dînent généralement entre 17 heures et 18 heures Ce serait plutôt entre 18 heures et 19 heures en Allemagne, tout comme en Russie, alors que les Espagnols s'accordent plutôt la tranche horaire de 21 heures-23 heures.

Autre avantage de dîner tôt, la deuxième partie de la soirée est grande ouverte : un dernier verre, pourquoi pas ; un spectacle, se taper une série, la lecture d'un livre. Marcher dans la ville le soir, digérer admirablement. Autre volupté : converser sur un banc public, entrer dans un bar et faire connaissance, rêver devant une vitrine, flâner, l'érotisme de l'œil. Passer devant un restaurant bondé, sa clientèle en ébullition, et savourer avec un doux sourire.