« Je n’ai aucun sens de l’humour » (Thierry Marx, chef cuisinier)

ENTRETIEN - C’est l’un des chefs les plus talentueux de sa génération, des plus engagés aussi. Malgré sa discrétion sur sa vie privée, il a joué le jeu de la confidence.
Le 22 novembre dans son restaurant Onor, à Paris.
Le 22 novembre dans son restaurant Onor, à Paris. (Crédits : © CORENTIN FOHLEN POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Ce n'est pas une toque blanche mais un bonnet rouge qu'il porte. Avec son casque et son gilet jaune fluorescent, il sifflote Marie-Dominique, un chant militaire qui lui rappelle ses années Casque bleu pendant la guerre du Liban. Thierry Marx ne circule qu'à vélo malgré les vols répétitifs dont il a été victime ces derniers mois. Mais le chef n'est pas du genre à rendre le tablier par impulsivité. Malgré une jeunesse chaotique qui aurait pu - très, très - mal finir, il a choisi la rectitude et la loyauté pour s'en sortir. Avec pour ambition indéfectible de « devenir grand » et d'aider ceux qui, contrairement à lui, n'ont pas eu la chance de croiser la route d'anges gardiens.

Formé par Joël Robuchon, Claude Deligne ou Alain Chapel, ce double étoilé engagé qui ne fait pas toujours l'unanimité auprès de ses confrères est une sorte d'ovni de la gastronomie. Et de la générosité aussi. Il s'assoit sur la banquette de son restaurant Onor*, passe son téléphone en mode avion, avec un chat en fond d'écran. Tiens, on m'avait pourtant dit que sa nouvelle passion s'appelait Ginger, une chienne qui lui avait fait changer d'avis sur ses a priori canins.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous qui n'aimiez pas les chiens, vous avez fini par craquer !

THIERRY MARX - Les chats correspondent davantage à mon rythme de vie, à mon caractère jusqu'au jour où j'ai croisé la route de ma chienne très agile et très dure à dresser... Elle m'a donné envie de créer de la nourriture pour chiens, ce qui a suscité de grandes moqueries de certains de ma corporation et du syndicat opposé au mien. Ce que j'aime par-dessus tout dans la vie, c'est la loyauté. Et les animaux me le rendent bien.

Parce que vous avez déjà été déçu par le manque de loyauté ?

Non, car l'âme humaine est inconstante. Certaines ont appris à se verticaliser très tôt et dans la rectitude de leur choix. Je fais plutôt partie de ces communautés-là. Les chemins de la loyauté, il faut les avoir arpentés pour savoir le prix que ça vaut.

Vous comptez vos ennemis ?

Je ne m'attache pas à ce que l'on dit de moi. Je dérange probablement des cercles mais je ne nuis à personne et ne cherche à nuire à personne. Je ne compte pas mes ennemis, ni mes amis !

Votre femme, la designer Mathilde de l'Écotais, m'a confié : « Il a beaucoup d'amis mais est intime avec très peu. » Par pudeur ?

J'ai appris très jeune, y compris dans mon écosystème familial, à ne compter que sur moi.

Votre enfance a conditionné l'homme que vous êtes aujourd'hui ?

Je pense que ça fait partie de la construction d'un caractère.

Quels souvenirs marquants gardez-vous de votre enfance ?

C'est le souvenir de la camaraderie. Dans mon quartier, il fallait être autonome très jeune, et surtout ne jamais pleurer. Je traînais avec ma bande dans le 20e arrondissement jusqu'à mon entrée au collège.

Ça veut dire que vous étiez déjà dans la rue à 8 ans ?

Ce n'était pas la rue mais le 140 ! Le 140, c'était un groupe d'immeubles en brique rouge, les cités ouvrières à Ménilmontant. Moi, j'appartenais à la cour du bas, escalier 15. Il y avait toujours un copain de mon grand-père qui savait où les mômes traînaient. C'est seulement à 10 ans que j'ai pu sortir du 140.

Vous parliez de quoi entre vous ?

On s'inventait des mondes. On aspirait à avoir des sous pour ne pas rester dans ce quartier. Vers 12 ans, on allait sur un terrain vague au Pré-Saint-Gervais. C'était notre lieu de vacances ! Nous ne sommes que deux survivants parmi la bande. Ils ont tous été décimés par la délinquance, la dope, le sida... Et puis je me suis retrouvé dans une cité à Champigny-sur-Marne. C'est là que le combat a commencé. Terminée, la poésie. Exclusion totale. Je ne foutais rien à l'école car je ne comprenais pas le système. Je faisais connerie sur connerie. Et, coup de chance, j'ai croisé la route d'un judoka et celle d'un boxeur. Le sport m'a sauvé de tout et m'a appris quelque chose d'essentiel : on peut faire pour apprendre, contrairement au collège qui attendait de nous d'apprendre pour faire.

J'ai appris très jeune, y compris dans mon écosystème familial, à ne compter que sur moi

Vous vous considérez comme un survivant ?

Toujours un petit peu, même si je n'ai jamais pensé à la mort. Comme l'impression d'être immortel, de réussir à me sortir de tout, tout le temps.

Vos enfants vous ressemblent-ils ?

Je ne le souhaite pas vraiment, mais probablement que oui. L'une est très engagée et très scolaire, une autre a fait Saint-Cyr et le dernier est plus artisan, passionné par la pâtisserie et la boulangerie. Si maintenant ils sont tous autonomes, je reconnais que ça n'a pas toujours été facile d'élever trois enfants sur un modèle que je m'étais imposé.

Quel modèle ?

Le « bien sous tout rapports », les inscrire dans les meilleures écoles, les élever dans des beaux quartiers... Pour qu'ils ne reproduisent pas les mêmes conneries que leur père.

Vous êtes si posé, serein... Quelle est votre part de fantaisie ?

Alors là, je n'ai aucun sens de l'humour. Je suis le dernier mec que l'on invite dans une soirée pour mettre l'ambiance parce que je fais chier tout le monde. [Rires.] Le festif pour le festif, ce n'est pas mon truc. Je n'ai pas été éduqué comme ça. En revanche, c'est moi qui ramène tous les invités en voiture !

Il paraît que vous récitez les dialogues d'Audiard « à la Jean Gabin »...

Mes grands-parents parlaient un peu façon Audiard. Ils utilisaient toujours des phrases pleines de métaphores. Alors il m'arrive souvent de m'en inspirer dans la vie, même si ça agace mes proches. Avec ma fille aînée on s'engueulait au travers de dialogues de films. Je dois avouer que l'on continue aujourd'hui.

Quand Thierry Marx s'énerve, c'est tous aux abris ?

Je suis rarement énervé. Je suis dur avec les faits mais bienveillant avec les gens. Rien ne vous impose d'être un bourreau. Certains ont fait beaucoup plus d'études que moi et il me reste toujours le complexe du cancre. C'est pour ça que je travaille beaucoup avec les gens qui souffrent d'illettrisme, par exemple.

C'est comment, le dimanche de Thierry Marx ?

Je file aux puces de Saint-Ouen. J'y allais avec mon père et mon grand-père pour y vendre de vieux métaux tels que du cuivre, du zinc. Ça nous permettait de récupérer du cash. Ensuite, nous allions manger des moules-frites chez Louisette. J'ai toujours rêvé de racheter l'affaire, mais ça n'a jamais pu se concrétiser. Le patron est décédé et ça me manque de ne plus dévorer mes moules-frites du dimanche...

* Onor soufflera sa première bougie en février. Le restaurant participe à l'insertion et à l'inclusion de personnes éloignées de l'emploi. Onor est également en compagnonnage avec le monde agricole. 258, rue du Faubourg-Saint-Honoré (Paris 8e).

COUP DE CŒUR

Bleu Blanc Cœur, l'une des préoccupations majeures de cette association est le bien manger pour tous. Cette démarche de qualité vertueuse coche un certain nombre d'attentes : la santé des hommes et des animaux, le climat, la juste rémunération des éleveurs, le lien au sol, du local, et surtout un prix modéré accessible à tous.

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