Cinq ans après 2013, la France prête à agir face à Damas

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La france prete a agir face a damas[reuters.com]
(Crédits : Bassam Khabieh)

par Marine Pennetier

PARIS (Reuters) - Cinq ans après l'"occasion manquée" de l'été 2013, la France se prépare à répondre aux côtés des Etats-Unis à l'attaque chimique présumée de Douma imputée au régime syrien de Bachar al Assad au nom de la "ligne rouge" édictée par Emmanuel Macron.

"Dans les prochains jours nous annoncerons notre décision", a dit le chef de l'Etat français mardi soir, précisant que les décisions coordonnées avec Washington, si elles étaient prises, "auraient vocation à s'attaquer aux capacités chimiques détenues par le régime" syrien.

Pour Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, "une opération militaire" impliquant la France et les Etats-Unis paraît "inéluctable" quatre jours après l'attaque de Douma qui a une nouvelle fois testé la "ligne rouge" présidentielle sur les armes chimiques.

Paris semble souhaiter "que cette action soit la plus large possible et ne soit pas uniquement le fait de pays occidentaux, donc il est possible que des pays arabes soient associés", souligne-t-il, au lendemain de la visite à Paris du prince héritier saoudien Mohamed ben Salman qui a fait savoir que Ryad répondrait "présent" si ses partenaires le demandaient.

Une manière pour Emmanuel Macron de ne pas trop s'éloigner de la ligne "multilatéraliste" qu'il prône depuis le début de son quinquennat en matière de diplomatie et de défense, en opposition à des opérations unilatérales non concertées.

Concernant le modus operandi, il serait très difficile de se limiter à une frappe symbolique comme celle qui avait suivi l'attaque chimique de Khan Cheikhoun du 4 avril 2017, cela risquerait d'être perçu comme un aveu de faiblesse puisque cette riposte américaine n'avait pas dissuadé le régime syrien, juge Bruno Tertrais.

"Dans le même temps, Paris s'opposerait à une opération qui pourrait apparaître comme celle d'un changement de régime, donc le curseur sera quelque part entre les deux".

LES "ESPOIRS ONT CHANGÉ" DEPUIS 2013

Parmi les options militaires possibles pour la France - si cette hypothèse se confirmait -, des frappes aériennes via la mobilisation de Rafale basés en Jordanie et à Abou Dhabi ou en France et des tirs de missiles de croisière depuis une frégate Fremm qui fait partie du dispositif Chammal au Levant et qui croise actuellement en Méditerranée orientale.

Ces deux scénarios, qui donneraient lieu à des frappes à distance, permettraient d'éviter l'espace aérien syrien et le puissant système anti-aérien S400 des Russes, alliés indéfectibles de Damas. Moscou a d'ores et déjà prévenu que tout missile américain tiré sur la Syrie serait abattu et que les sites d'où ils auraient décollé seraient pris pour cibles.

Des frappes aériennes contre des sites militaires du régime syrien de la part de la France - engagée en Syrie dans le cadre de la coalition de lutte contre l'Etat islamique - seraient une première depuis le début du conflit en 2011.

Paris était prêt à intervenir à l'été 2013 après les informations faisant état de bombardements chimiques dans la Ghouta orientale, avant d'être contraint de renoncer à la dernière minute en raison de la volte-face américaine.

Ce "lâchage" en plein vol de Barack Obama avait été mal vécu par François Hollande, alors président, qui estimait qu'une intervention aurait pu changer le cours du conflit. Invité sur TF1 mardi soir, l'ancien chef de l'Etat a estimé qu'une "frappe ou des frappes" était la "seule réaction possible" aujourd'hui.

"On est dans une situation très différente de 2013 : contrairement à ce qui était le cas à l'époque, la France n'espère pas changer aujourd'hui la donne politique ni la donne militaire par ce signal alors qu'elle espérait en 2013 qu'une frappe même symbolique puisse faire bouger les lignes", note Bruno Tertrais.

LIGNE ROUGE CONTRE MULTILATÉRALISME

"Ce qui a changé, c'est la présence russe et iranienne et Emmanuel Macron a été très clair hier : la France ne souhaite pas prendre de risques et fera tout pour éviter que des militaires russes ou iraniens soient victimes des frappes annoncées", ajoute-t-il.

Sur le plan diplomatique aussi, l'objectif a changé et l'enjeu dépasse désormais la Syrie, selon le chercheur, qui estime qu'il s'agit "d'éviter que le 'gazage' devienne un mode normal de gestion des rébellions au XXIe siècle".

Depuis l'attaque du 7 avril à Douma, la France s'est toutefois montrée prudente sur la nature de la réponse à apporter - contrairement au président américain qui a évoqué clairement des frappes militaires.

Mardi soir, Emmanuel Macron a prôné une "réponse forte et commune" mais a également insisté sur l'option humanitaire et sur l'action diplomatique menée par Paris au Conseil de sécurité de l'Onu pour renforcer le contrôle des armes chimiques.

La France souhaite notamment la réactivation du mécanisme conjoint d'enquête ONU-OIAC sur l'utilisation présumée d'armes chimiques en Syrie (JIM), désactivé depuis 2017 en raison d'un veto de la Russie.

(avec Sophie Louet, édité par Yves Clarisse)