Les tensions irano-américaines, la France et le "chas de l'aiguille"

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Les tensions irano-americaines, la france et le chas de l'aiguille[reuters.com]
(Crédits : Carlos Barria)

par Marine Pennetier

PARIS (Reuters) - "C'est un chas d'aiguille à travers lequel il faut passer" : déterminée à faire baisser la tension entre l'Iran et les Etats-Unis et à préserver l'accord sur le nucléaire de 2015, la France multiplie les contacts afin d'obtenir une "pause" entre les deux belligérants mais la voie est étroite.

Dépêché mercredi à Téhéran pour la deuxième fois en un mois, le conseiller diplomatique d'Emmanuel Macron, Emmanuel Bonne, a rencontré les hauts responsables de la République islamique, du président Hassan Rohani au secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale Ali Shamkhani, en passant par le chef de la diplomatie Mohammad Javad Zarif et son adjoint Abbas Araghchi.

L'objectif affiché par la présidence française pour cette visite en début de semaine était clair, il s'agissait pour le "sherpa" du chef de l'Etat - conseiller à l'ambassade de France à Téhéran entre 2003 et 2006 - de faire baisser la pression et d'"oeuvrer à la désescalade" entre Téhéran et Washington.

De retour à Paris, l'heure est au bilan - mince -, à la modestie et à une certaine forme de lucidité dans un contexte "extrêmement contraint".

"Les autorités iraniennes auxquelles nous avons présenté les éléments de ce qui pourrait constituer une pause n'ont dit ni oui ni non compte tenu du fait que la décision était prise au plus haut niveau d'opposer une politique de résistance maximale à la pression maximale" exercée par Washington, rapporte une source à l'Elysée. "Mais elles ont dit être intéressées à poursuivre la démarche et à continuer le dialogue."

La France a de son côté réaffirmé son opposition à la démarche "less for less" (moins de bénéfices du JCPOA donc moins de respect des engagements de l'accord sur le nucléaire iranien de 2015-NDLR) adoptée par Téhéran.

"L'objet de la mission n'était pas de tout régler, tout cela est évidemment très sensible", relativise cette source. "C'est un fil ténu qu'il faut tirer, c'est un chas d'aiguille à travers lequel il faut passer, ce n'est pas simple parce les incidents se multiplient".

"RIEN N'EST SIMPLE DANS CETTE AFFAIRE"

Signe de la difficulté de la tâche, au moment même où Emmanuel Bonne rencontrait à Téhéran le président iranien, le président américain Donald Trump annonçait sur Twitter que les sanctions américaines contre l'Iran seraient "bientôt durcies, considérablement" et accusait Téhéran d'enrichir de l'uranium "depuis longtemps en secret".

Le même jour, trois navires de guerre iraniens tentaient, selon le gouvernement britannique, de bloquer le passage d'un pétrolier britannique par le détroit d'Ormuz, à l'entrée du Golfe, avant de se retirer à la suite d'avertissements lancés par un bâtiment de la Royal Navy.

Déjà vives depuis l'annonce en mai 2018 du retrait américain de l'accord sur le nucléaire iranien de 2015 et du rétablissement de certaines sanctions, les tensions sont montées d'un cran ces derniers mois entre Téhéran et Washington.

Comme redouté par les autres pays signataires, l'Iran a riposté en s'affranchissant de certaines de ses obligations contenues dans le JCPOA et a exclu toute négociation directe avec les Etats-Unis tant que les sanctions ne seraient pas levées.

"Rien n'est simple dans cette affaire", le "contexte est extrêmement volatil et dangereux" et "il faut tenir compte du fait que les Iraniens ont 40 ans d'expérience de la pression maximale" américaine, note la source à l'Elysée. "Néanmoins, le potentiel d'aggravation de la crise est tel qu'il faut bien que quelqu'un trouve les voies du dialogue, c'est ce que nous faisons et nous le faisons en concertation avec nos partenaires européens."

"C'est un effort que nous poursuivrons, c'est un effort qui reste valable, les Iraniens nous l'ont dit, les Américains nous le disent", ajoute cette source.

"MESURES DE CONFORT" CONTRE "COMPLIANCE"

Pour Paris, il s'agit avant tout d'éviter une saisie de la commission de résolution des différends du JCPOA qui, en cas d'absence d'accord, serait suivie d'une saisine du Conseil de sécurité de l'Onu et d'une activation du mécanisme du "snap back", ouvrant la voie au rétablissement des sanctions contre l'Iran.

Pour éloigner ce spectre, la France tente de convaincre Donald Trump d'adopter des "mesures intermédiaires" ou "mesures de confort" à même de convaincre Téhéran de revenir dans le cadre du JCPOA et d'en respecter les termes. Compte tenu de la sensibilité du sujet, l'Elysée se refuse à commenter ou préciser les paramètres de la négociation. Mais l'une des pistes pourrait être de convaincre Washington de lâcher du lest sur les exportations de pétrole iranien.

"Nous avons dit au président Rohani quels pouvaient être les paramètres d'une pause et nous attendons la réponse des Iraniens mais leur point de départ est assez lointain puisqu'ils demandent la levée immédiate de toutes les sanctions américaines", rapporte la source à l'Elysée.

Pour Michel Duclos, conseiller spécial à l'Institut Montaigne, "dans l'immédiat, l'objectif se limite à obtenir une désescalade, indispensable pour créer les conditions d'une reprise du dialogue."

"Il est probable que même pour atteindre cet objectif limité, le président français devra être en mesure de garantir la possibilité pour l'Iran d'exporter une partie de son pétrole", a-t-il écrit dans une note publiée mercredi. "C'est pourquoi tout autant que le dialogue de M. Macron avec M. Rohani et les visites de son conseiller diplomatique à Téhéran, ce sont les conversations entre le président de la République et son homologue américain qui sont décisives."

(Edité par Yves Clarisse)