Assurance-chômage : le gouvernement dévoile son plan de bataille

Par Grégoire Normand  |   |  1563  mots
"Les effectifs de Pôle emploi ne seront pas réduits alors que la numérisation permet d'augmenter la productivité et l'efficacité. Nous avons décidé de consacrer tous ces gains, non pas à des économies sur pôle emploi, mais à un renforcement de l'accompagnement", a expliqué le Premier ministre pendant la conférence de presse organisée ce mardi 18 juin. (Crédits : Reuters)
Limitation des contrats courts, durcissement des règles d'indemnités, accompagnement des demandeurs d'emploi... Le Premier ministre Édouard Philippe et la ministre du Travail Muriel Pénicaud ont présenté une série de mesures destinées à réaliser 3,4 milliards d'euros d'économies et baisser le nombre de chômeurs de 150.000 à 250.000 d'ici trois ans.

Dans son discours de politique générale mercredi 12 juin, le Premier ministre avait esquissé plusieurs pistes explosives pour réformer l'assurance-chômage après l'échec des négociations entre les partenaires sociaux au mois de février. Et les annonces dévoilées ce mardi matin n'ont pas manqué de faire réagir les syndicats. Après la refonte du code du travail, la réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle,  Édouard Philippe et Muriel Pénicaud ont multiplié les annonces en faveur d'un durcissement des règles d'indemnisation des chômeurs, des pénalités pour les entreprises qui abusent de contrats courts et un meilleur accompagnement des demandeurs d'emploi.

Avec cette reprise en main par le gouvernement, les règles de l'assurance-chômage sont profondément transformées. Il avait cependant préparé le terrain en supprimant les cotisations chômage des travailleurs et en modifiant ainsi les règles de financement de ce système assurantiel. Ce qui permet à l'État de reprendre le contrôle sur ce système mis en place en 1958 et basé sur le paritarisme. Dans son allocution à la presse organisée à l'hôtel de Matignon, le chef du gouvernement a expliqué :

« L'ambition de cette réforme, c'est d'aboutir au plein emploi. Je pense à l'emploi durable qui permet d'envisager le long terme avec confiance. [...] Rien ne condamne la France au chômage de masse. Dans toutes les régions et tous les secteurs, il existe des offres d'emploi qui ne trouvent pas preneur. Ce qui constitue une absurdité et un appauvrissement collectif [...] Avec cette réforme, nous visons une baisse du nombre de chômeurs de 150.000 à 250.000 chômeurs sur les trois ans à venir».

Toutes ces nouvelles mesures doivent faire l'objet « d'un décret publié avant la fin de l'été a précisé le Premier ministre. En attendant, le texte doit être soumis à des consultations nombreuses. »

Durcissement de l'accès aux indemnités chômage

L'exécutif prévoit de durcir les conditions d'accès aux indemnités de l'assurance chômage. À partir du premier novembre prochain, il faudra avoir travaillé l'équivalent de six mois durant les 24 mois avant la fin de son contrat pour bénéficier des allocations chômage, et non plus quatre mois pendant 28 mois. Le régime se rapprocherait de celui en vigueur au Royaume-Uni.

Outre les conditions d'accès, le gouvernement prévoit le maintien du principe de rechargement mais le seuil minimum pour recharger ses droits sera ramené à six mois, au lieu d'un mois aujourd'hui. Ainsi, que l'on soit salarié ou demandeur d'emploi en situation de cumul emploi-chômage, il faudra demain avoir travaillé six mois pour ouvrir un nouveau droit à l'assurance chômage.

Pour Edouard Philippe, « les règles actuelles datent de 2009, c'est-à-dire d'une époque où il fallait amortir le choc de la crise économique et financière. Aujourd'hui, la conjoncture est meilleure. Les offres d'emploi sont plus nombreuses. Les projets de créations sont bien plus nombreux, il est donc normal que les règles d'accès changent. Pour autant, je tiens à préciser que la France conservera un des régimes les plus favorables de l'OCDE».

L'équipe du gouvernement veut également modifier les règles de calcul des indemnités. Muriel Pénicaud a ainsi précisé que « techniquement, cela signifie que les allocations ne seront plus calculées en fonction du salaire journalier de référence mais en fonction du revenu mensuel moyen. Personne ne verra son capital de droits diminué. Il sera juste réparti différemment dans la durée. Les indemnités chômage ne pourront jamais être inférieures à 65% du salaire mensuel moyen des personnes, ni supérieures à 96% alors qu'aujourd'hui même, elles peuvent être supérieures à 200% ».

Dégressivité des allocations versées aux cadres

Cette mesure risque de provoquer des mécontentements chez les salariés cadres. En effet, le gouvernement prévoit une dégressivité au bout du septième mois d'indemnisation pour les salariés qui ont un revenu brut supérieur à 4.500 euros bruts. Leurs indemnités doivent être réduites de 30% avec un niveau plancher, précise le gouvernement dans sa plaquette de présentation. Le plancher est fixé à 2.261 euros nets. Muriel Pénicaud a précisé que tous les salariés âgés de 57 ans et plus ne seront pas concernés par cette mesure qui doit être effective à partir du premier novembre prochain.

Selon Edouard Philippe, le but est « d'adapter les règles d'indemnisation pour prendre en compte les capacités des personnes les plus qualifiées à retrouver un emploi. »

« Les personnes les plus qualifiées ayant un plus haut revenu bénéficient du plus faible taux de chômage à un niveau proche du plein emploi. Ils ont des indemnisations largement supérieures à la moyenne européenne et aux grandes démocraties sociales-démocrates qui nous inspirent. Le plafond a atteint en France 7.500 euros bruts contre moins de 2.500 euros en Allemagne ».

Élargissement des droits aux indépendants et aux démissionnaires

C'était une promesse d'Emmanuel Macron pendant la campagne pour la présidentielle de 2017. Les salariés démissionnaires et les travailleurs indépendants pourront bénéficier de l'assurance chômage à partir du premier novembre 2019. « Notre objectif, c'est de créer des droits nouveaux qui permettent aux actifs de choisir leurs activités », a précisé la ministre de la rue de Grenelle.

« Le système collectif de solidarité doit permettre à chacun d'avoir les moyens de ne pas subir et de choisir son avenir professionnel », a-t-elle ajouté.

Les règles pour pouvoir toucher les indemnités risquent de restreindre le nombre de bénéficiaires. En effet, le gouvernement prévoit que « tous les salariés ayant au moins cinq ans d'ancienneté dans leurs entreprises auront droit à l'assurance-chômage quand ils démissionnent pour réaliser un projet professionnel. Ce droit sera renouvelé tous les cinq ans. » L'indemnisation sera de 800 euros par mois pendant six mois et « l'activité professionnelle devra avoir générer un revenu moyen de 10.000 euros sur les deux dernières années », selon la ministre.

Limiter les abus de contrats courts

L'autre point à retenir de cette présentation est la volonté de lutter contre la multiplication des contrats courts. Un système de bonus-malus doit être mis en place à partir du premier janvier 2020 pour les entreprises de plus de 11 salariés. Sept secteurs sont dans le viseur du gouvernement. Il s'agit de l'industrie agroalimentaire avec la fabrication des denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac, l'hébergement et restauration, la production et distribution d'eau-assainissement, gestion des déchets et dé-pollution, les transports et entreposage, la fabrication de produits en caoutchouc et en plastique, et d'autres produits non métalliques, le travail du bois, l'industrie du papier et l'imprimerie.

« Dans ces secteurs, on compte trois contrats précaires pour deux contrats stables, c'est-à-dire par exemple 15 CDD pour 10 CDI. Il ne s'agit pas d'un surpoids marginal [...] Les contrats d'apprentissage, de professionnalisation et d'insertion ne seront pas concernés », a précisé la ministre

Un taux de cotisation entre 3% et 5% de la masse salariale doit être fixé en fonction des pratiques de l'entreprise. L'autre nouveauté est que les CDD d'usage devrait faire l'objet d'une nouvelle taxe forfaitaire de 10 euros « pour inciter les entreprises qui en abusent à proposer des contrats d'une semaine ou d'un mois plutôt que de quelque heures chaque jour ».

Renforcer l'accompagnement des chômeurs

À partir du 1er janvier 2020, tous les demandeurs d'emploi qui le souhaitent auront droit, dans les quatre premières semaines qui suivent leur inscription à Pôle emploi, à deux demi-journées d'accompagnement intensif avec Pôle emploi.

Selon Muriel Pénicaud, « un demandeur d'emploi a un rendez-vous de 45 minutes dans les deux premiers mois [...] Nous l'avons vu dans d'autres pays. L'accompagnement précoce et intensif permet un meilleur taux de reprise d'emploi ».

Pour renforcer cet accompagnement, la ministre a annoncé que 4.000 agents seront mobilisés pour mettre en oeuvre cette réforme. Par ailleurs, des opérateurs privés se verront confier des missions spécifiques pour les personnes qui cumulent emploi et chômage.

3,4 milliards d'euros d'économies attendues

Le gouvernement n'a pas oublié de rappeler que son objectif est également de réaliser des économies même si le locataire de Matignon veut relativiser cette ambition.

« Loin d'une approche comptable budgétaire, loin d'une logique du rabot, cette transformation devrait nous permettre de faire des économies de l'ordre de 3,4 milliards sur la période 2019-2021. La dette globale de l'Unedic est de l'ordre de 35 milliards pour un volume annuel de dépenses de l'ordre de 40 milliards », a quand même assuré Édouard Philippe.

Pour le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, « le gouvernement parle de justice sociale mais propose une réforme assurance chômage qui produit le contraire ! Une logique budgétaire et une ignorance des réalités vécues par les femmes et hommes victimes du chômage conduiront à des baisses drastiques de leurs droits ».

Du côté du patronat, les déceptions sont également également très présentes. « Mesure à caractère politique, l'instauration d'un bonus-malus sur les contrats courts aura, dans les secteurs concernés, avant tout pour effet d'augmenter les charges des entreprises ciblées. Un mauvais coup porté à la création d'emplois », a indiqué la CPME dans un communiqué.