Banlieues : Borloo fustige "la désinvolture et la bureaucratisation de Bercy"

Par César Armand  |   |  693  mots
Initiateur de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) en 2003, Jean-Louis Borloo dénonce aujourd'hui « un gros scandale » : « C'est 40.000 emplois par an, ça n'emmerde personne, et pourtant l'État met seulement trois balles. C'est le plus grand chantier civil de l'histoire... et on a réussi à l'arrêter ! » (Photo : Jean-Louis Borloo ce matin à son arrivée à Matignon) (Crédits : DR)
En marge de la remise au Premier ministre de son rapport sur les quartiers prioritaires « Vivre ensemble, vivre en grand » , Jean-Louis Borloo a communiqué, ce 26 avril, à quelques journaux, dont "La Tribune", ses trois grandes priorités : créer une grande fondation d'intérêt national, une "Cour d'équité territoriale", et une Académie des leaders.

Drôle de scène à Matignon ce matin du 26 avril 2018. Jean-Louis Borloo, missionné en novembre dernier par le ministre de la Cohésion des territoires Jacques Mézard et son secrétaire d'Etat Julien Denormandie, arrive à pied à Matignon pour remettre au Premier ministre Édouard Philippe son rapport sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ni accueilli ni raccompagné, l'ancien ministre de Jacques Chirac, tour à tour chargé de la Ville et de la Cohésion sociale entre 2002 et 2007, se livre en toute simplicité et sans langue de bois :

« Je n'ai aucune espèce d'inquiétude. A chaque fois que quelque chose est robuste et pertinent, il n'y a pas de problème. »

"Désinvolture et bureaucratisation de Bercy"


Initiateur de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) en 2003, Jean-Louis Borloo dénonce aujourd'hui « un gros scandale » :

« C'est 40.000 emplois par an, ça n'emmerde personne, et pourtant l'État met seulement trois balles. C'est le plus grand chantier civil de l'histoire... et on a réussi à l'arrêter ! »

Relancé sur les responsables d'une telle situation, l'éphémère ministre de l'Économie, des Finances et de l'Emploi de Nicolas Sarkozy, du 18 mai au 19 juin 2007, renvoie la balle à ses anciens services, toujours sur le ton de la colère froide :

« Je l'impute à la désinvolture et à la bureaucratisation de Bercy. Ils ont pris le pouvoir. C'est fou ! Ils ont même fait croire qu'on avait mis beaucoup d'argent, alors que ça s'est arrêté sans que personne ne s'en rende compte. Pas une grue n'est arrivée ! »

48 milliards d'euros au programme

Passé le temps de l'amertume, Jean-Louis Borloo dévoile enfin ses pistes pour « Vivre ensemble, vivre en grand » (le titre de son rapport) :

« Je propose une grande fondation d'intérêt national. Les zones rurales et nos quartiers rencontrent les mêmes problématiques. Les "génies parisiens" - et, soit dit en passant, quelques-uns de vos confrères - ont réussi à les opposer, alors que notre sujet, ce sont les quartiers prioritaires et délaissés, tout comme les DOM. »

Et l'ancien ministre de reprendre :

« C'est comme les entreprises qui ne respectent pas les quotas d'apprentissage ! Pareil avec l'agence de services à la personne [créée en 2005, dissoute en 2014, Ndlr]. Il y avait 38 personnes et on l'a aussi arrêtée ! »

Aussi recommande-t-il la création d'une "Cour d'équité territoriale", une nouvelle juridiction qui vérifierait si les politiques publiques donnent des résultats probants, et les sanctionnerait le cas échéant.

Alors que le montant de 48 milliards d'euros commence déjà à circuler dans la presse sans que son étude ne soit encore rendue publique, Jean-Louis Borloo tient à mettre le point sur les "i" :

« Tout est chiffré ! Tu vas regarder ça dans le détail, et tu verras qu'on doit avoir une obligation de moyens ! »

500 élèves par semestre dans les grandes écoles

Avant même une prise de parole, plus officielle, devant l'association d'élus Ville et Banlieue, en fin de journée, l'ancien ministre, en référence à la démission récente de l'édile de Sevran, Stéphane Gatignon, salue « ces maires, ces héros » :

« On parle quand même de 10 millions d'habitants et de la jeunesse disponible », sortant de son sac à idées l'"Académie des leaders".

Le concept de cette Académie : créer « la plus grande école de France », c'est-à-dire une promotion de 500 élèves par semestre sans condition de diplômes, qui serait réservée aux "quartiers" puis à tous les Français qui « bénéficieront des meilleures modules européens » : Sciences-Po, Epitech, HEC ou la Sorbonne.

« Quand de Gaulle lance l'ENA, c'est l'étape de la méritocratie, mais ils sont devenus trop consanguins, trop formatés. Là, les jeunes pourront être stagiaires de l'ENA, ils seront payés 1.700 euros par mois dès qu'ils seront admis, et ils serviront l'État pendant au moins dix ans. »

Ne reste plus qu'à attendre le discours du président de la République, prévu pour fin mai, qui permettra de tirer les conclusions à donner à ce rapport, en apparence fourre-tout, mais à l'image de Jean-Louis Borloo : économique, social et territorial.