Climat social : 50 ans après...vers un "mai 2018" ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1111  mots
Pour la très sérieuse Association Entreprise & Personnel, qui regroupe des dirigeants d'entreprises, en cas d'échec de la politique de Macron, se traduisant par de très faibles créations d'emploi et peu de gain de pouvoir d'achat, combiné à des maladresses dans diverses annonces, un fort mouvement social ne serait pas à exclure en 2018... 50 ans après mai 68.
Dans sa note de conjoncture sociale annuelle, l'association Entreprise & Personnel souligne la profonde mutation du système social en cours. Les auteurs imaginent deux scénarios alternatifs pour 2018: l'un où la grogne sociale se tait devant les premiers résultats économiques concrets; l'autre, à l'inverse, où l’absence de créations d'emplois tangibles, combinée à d'autres déceptions, conduisent à une convergence des mécontentements... 50 ans après mai 68.

« L'ambition est sans précédent : à l'objectif de réformer pour adapter l'économie française à la mondialisation ,qui était celui des précédentes mandatures, s'est substituée une logique de transformation de la société. » C'est cette ambiance de mutation sans réel blocage... pour l'instant, qui caractériserait le climat social actuel selon la dernière note de conjoncture sociale réalisée annuellement par Entreprise &Personnel (E&P), une association qui regroupe plus d'une centaine de DRH et de dirigeants d'entreprise afin d'échanger sur les problématiques liées aux ressources humaines et aux relations du travail.

Ce n'est donc pas pour rien que E&P a intitulé sa note 2018 : « Un moment singulier, la mutation du modèle social français. » De fait, dès sa campagne électorale, Emmanuel Macron a annoncé la couleur en appelant à de profondes modifications du marché du travail. Et, une fois élu, il s'est attelé à l'Acte I de cette réforme en faisant adopter au pas de charge - mais en concertation - les ordonnances réformant le droit du travail pour donner davantage d'espace à la négociation d'entreprise et afin de « sécuriser » au profit des entreprises la relation de travail. Maintenant, Emmanuel Macron ouvre l'Acte II avec les réformes de l'assurance chômage, de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Le tout en moins de six mois...

Une définition du « macronisme » sur la question sociale

A cet égard, les auteurs s'attellent à définir, avec une justesse certaine, les principes qui définissent le « macronisme » en matière sociale :

« La valorisation du travail et de la réussite sociale, la responsabilisation des individus, une sécurité collective repensée avec un modèle universaliste, la remise en cause du paritarisme comme gouvernance efficace, une approche renouvelée de l'action publique (modèle sous-jacent de l'entreprise). »

Il faut admettre que c'est plutôt bien vu. Tout comme E&P souligne le sens tactique d'Emmanuel Macron qui a « un modèle d'action qui tire les leçons du quinquennat précédent ». Dit autrement, Macron fait ce qu'il dit et dit ce qu'il fait. A la différence de François Hollande qui n'avait jamais fait allusion, dans son programme de 2012, à ce qui deviendrait, quatre ans plus tard, la loi El Khomri, Emmanuel Macron, lui, a tout dit durant sa compagne. E & P voit même dans cette transparence l'une des causes des mobilisations en demi-teinte de la CGT contre les ordonnances :

« L'intégration de la détermination du gouvernement et du président est très forte aujourd'hui, avec, nous en faisons l'hypothèse, un sentiment de lassitude après la mobilisation de 2016. »

Pour l'association donc, sans « être une révolution copernicienne », la transformation du modèle social voulue par Macron est réelle.

Une réelle transformation du modèle social

D'une part, cette mutation prend la forme d'un changement de logique pour les «  assurés », passant d'un « j'ai droit à » vers un « vous bénéficiez de... si ». Autrement dit, la solidarité s'exercera désormais sous condition de contrepartie. E&P estime que « culturellement le changement est considérable avec une responsabilisation accrue des individus, en insistant sur leur autonomie. C'est la fin d'une forme de prise en charge collective ». On risque surtout de le voir lors de la réforme de la formation professionnelle.

D'autre part, en droit du travail, la réforme qui vient d'être faite, via les ordonnances, redonne des marges de manœuvres nouvelles tant sur la négociation collective que sur la gestion de l'emploi et de la sécurité juridique, notamment avec le fameux barème pour les indemnités prud'homales.

Vers un apaisement du climat social en 2018 ?

Alors, et maintenant ? La réforme va-t-elle être acceptée ? Le mouvement de protestation, qui a du mal à faire le plein, va-t-il se tarir ? Entreprise & Personnel, s'est lancé dans le difficile exercice de prévision sociale en évoquant deux scénarios possibles.

Le premier, qualifié de « scénario optimiste », retient l'hypothèse d'une accélération de la dynamique économique positive, avec une croissance soutenue et une inversion visible de la courbe du chômage. Dans un tel cas, les déceptions et les polémiques de cet automne 2017 pourraient être « oubliées ». Idem si les premiers effets des gains de pouvoir d'achat se font sentir dans le secteur privé. En outre, la croissance pourrait donner des marges de manœuvre sur les dossiers de l'assurance chômage et de la fonction publique.

Au bout de longues négociations, la CFDT pourrait trouver que les contreparties aux deux réformes de l'assurance chômage et de la formation professionnelle apportent des garanties significatives et des droits nouveaux pour les travailleurs hors statuts (micro-entrepreneurs, prestataires des plateformes). FO pourrait aussi relativiser ses critiques en arguant d'un « paritarisme de façade maintenu »... Si ces tendances sont à l'œuvre, E&P table alors sur un climat social apaisé.

....  ou vers une explosion 50 ans après?

Dans le second scénario, qualifié, cette fois, de « pessimiste », le gouvernement a du mal à convaincre de l'équilibre de sa politique. Il ne parvient pas à faire passer l'idée que les « transformations » sont bonnes pour les Français. Le tout, combiné à une situation de l'emploi toujours morose. Ce scénario peut être considéré comme plausible sous l'angle économique car, de fait, la reprise pourrait être pauvre en emplois, eu égard aux réserves de productivité qui existent dans beaucoup d'entreprises.

En outre, du moins dans un premier temps, les facilités de licenciement offertes par les ordonnances pourraient conduire à une vague de licenciements. Les gains de pouvoir d'achat seraient alors effacés par « un fort sentiment d'iniquité, à l'époque des super profits des entreprises dont la presse se sera fait l'écho ».

La crise pourrait alors être politique ; jusqu'où, ceux qui font partie de l'actuelle majorité soutenant le président et qui sont venus de la gauche (essentiellement du PS) ou du centre, seront-ils prêts à aller si le pouvoir renforçait son exercice solitaire ?

A nom de l'injustice sociale, la CFDT se joindrait alors à un cortège unitaire le 1er mai. Un cortège d'autant plus turbulent que le gouvernement aura fait des annonces précipitées sur une réforme des retraites dans les entreprises à statut...

Et, cerise sur le gâteau, si se concrétise une réforme introduisant la perception d'une sélection à l'entrée de l'université pour 2018, alors cela mettrait le feu aux poudres et entraînerait une convergence des luttes, en mai 2018, « 50 ans après... » conclut sous forme de clin d'œil Entreprise & Personnel.