Covid-19 : l'Etat tient-il un double-langage aux Français ?

Par Michel Cabirol  |   |  857  mots
Airbus, qui avait décidé mardi de suspendre pour quatre jours ses activités de production et d'assemblage dans ses usines françaises et espagnoles, espère reprendre lundi une activité partielle dans tous ses sites en France et en Espagne. (Crédits : Marcelo del Pozo)
Trop de communications contradictoires du gouvernement nuit à la gestion de la crise sanitaire générée par le virus Coronavirus. Les chefs d'entreprise sont déstabilisés par ces contradictions.

Dans la crise sanitaire majeure provoquée par le Covid-19, l'Etat navigue à vue. Et c'est peu de le dire en distillant des informations contradictoires : comment rester confiné, et en même temps, aller travailler ? Et comment les salariés peuvent-ils aller travailler tout en n'ayant pas de masques en raison des réquisitions de l'Etat ? Comment l'Etat peut-il sauver toutes les entreprises en danger tout en verrouillant les conditions d'accès au chômage partiel, via les Dirrecte (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi), qui ont semble-t-il reçu des instructions de serrer la vis ? Bref, le "en même temps" ajoute de la confusion à la situation actuelle, qui n'est déjà pas simple en raison de l'impréparation de la France, dont les origines remontent déjà à plusieurs années.

Tour de vis sur le chômage partiel

Selon Le Figaro, en l'espace d'une vingtaine de jours, près de 26.000 entreprises ont effectué une demande de chômage partiel. Soit 560.000 salariés à indemniser pour un coût potentiel estimé à 1,7 milliard d'euros. C'est beaucoup, trop peut-être. Résultat, de l'aveu même de chefs d'entreprise interrogés par La Tribune, les services régionaux du ministère du Travail (Dirrecte), "sur instruction, refusent un maximum de dossiers" aux entreprises, qui souhaitent bénéficier des mesures de chômage partiel. Les conditions d'accès au système d'indemnisation du chômage partiel (ou chômage technique) qui permet à une entreprise de gérer une baisse d'activité ponctuelle sans avoir à licencier ses salariés, sont durcies.

Pourtant, vendredi sur LCI, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire avait expliqué que le gouvernement avait décidé "de mettre plus de 8 milliards d'euros sur le chômage partiel. (...) Au lieu de licencier massivement - ce qui serait le cas s'il n'y avait pas un dispositif de chômage partiel très important -, nous gardons les compétences dans l'entreprise, nous payons le chômage partiel". Mais, en même temps, le préfet du Morbihan Patrice Faure a expliqué qu'un "très grand nombre d'entreprises, dans des secteurs qui n'étaient visés ni par les interdictions, ni par les dispositifs de soutien des pouvoirs publics ont fermé". C'est par exemple le cas pour la restauration rapide, qui pourrait ne pas avoir accès au chômage partiel.

Aller travailler... mais sans masque

Déjà autorisé depuis le 3 mars à réquisitionner les masques de protection respiratoire stockés ou produits en France, l'Etat peut désormais saisir tout ou partie des importations de ce type de produits, selon un décret paru samedi au Journal officiel. "Des stocks de masques importés peuvent donner lieu à réquisition totale ou partielle jusqu'au 31 mai 2020", a précisé ce texte. Le ministère de la santé devra prendre cette décision dans les "soixante-douze heures après réception d'une demande d'importation". Ce nouveau décret complète un autre qui portait sur la réquisition des stocks et des capacités productives de masques anti-projection et de masques FFP2. Ce nouveau tour de vis dans les réquisitions contraint les entreprises à jouer avec le feu avec leurs salariés.

"Nous avons eu recours à une réquisition de l'ensemble des stocks et des capacités de production de notre pays, le 3 mars", avait expliqué le 19 mars à l'Assemblée nationale le ministre de la santé, Olivier Véran.

Face à la crise du Covid-19, les syndicats sont sur le fil du rasoir. En dépit d'un accord entre la fédération patronale de la métallurgie (UIMM) et trois syndicats (CFDT, CGC et FO) pour assurer les modalités d'une reprise de l'activité industrielle, la CFDT Safran appelle pourtant à "un arrêt complet des activités de l'ensemble des sites Safran dans le monde". Les chefs d'entreprise sont coincés entre les syndicats et le gouvernement. Alors qu'ils sont tenus à une obligation de sécurité et de protection de la santé envers leurs salariés, il sont, en même temps, exhortés par l'Etat à rouvrir les usines pour produire et éviter un futur désastre économique.

"Dans beaucoup de secteurs, les professionnels sont prêts à aller travailler, mais les conditions de sécurité ne le leur permettent pas, parce qu'ils n'ont pas de masques, parce que le confinement n'est pas respecté, parce que les mesures de sécurité élémentaires que nous observons dans l'hémicycle ne sont pas possibles pour les éboueurs, les livreurs, les camionneurs ou les travailleurs de certaines entreprises des secteurs jugés essentiels", a estimé samedi le député communiste Stéphane Peu.

"Dans le domaine économique, il faut évidemment un service économique minimum, il faut que les activités de base de notre économie continuent à tourner", a ainsi demandé vendredi sur LCI, Bruno Le Maire. Dans ce contexte, les chefs d'entreprise s'exposent à des actions en justice de la part de leurs salariés et/ou de leur famille si jamais par malheur certains étaient contaminés sur leur lieu de travail. Le gouvernement doit désormais et impérativement tenir un cap, un seul cap.