Croissance : l'économie française s'essouffle

Par Grégoire Normand  |   |  1345  mots
(Crédits : Reuters/Alessandro Bianchi)
L'Insee a légèrement révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour 2018 à 1,5% au lieu de 1,6% comme évoqué dans sa précédente note de conjoncture. Le climat des affaires en berne et le mouvement des "Gilets jaunes" pourraient avoir des répercussions sur l'économie tricolore.

Le coup de frein de l'économie française se confirme. Selon la dernière note de conjoncture publiée par l'Insee ce mardi 18 décembre, la croissance du produit intérieur brut (PIB) pourrait s'établir à 1,5% cette année contre 1,6% lors de leurs précédentes prévisions au mois d'octobre. Alors que les précédentes projections étaient nettement favorables pour le dernier trimestre, les dernières semaines marquées par le mouvement des "Gilets jaunes" pourraient peser sur les chiffres de l'activité tricolore.

Pour 2019, les économistes de l'institut de statistiques anticipent 1,5% de croissance et s'alignent ainsi sur les projections de la Banque de France. L'organisme de statistiques anticipe néanmoins un rebond de l'activité au cours du premier trimestre 2019 (0,4% contre 0,2% au dernier trimestre 2018).

Pour le gouvernement, le bouclage du budget pour 2019 se complique en cette fin d'année. Les mesures annoncées par Emmanuel Macron et leur financement comportent encore beaucoup d'incertitudes. Le Premier ministre Édouard Philippe doit annoncer demain à l'issue du conseil des ministres un projet de loi avec les mesures d'urgence économiques et sociales.

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Consommation en berne

La prévision de croissance pour les trois derniers mois de l'année a été divisée par deux (0,2% contre 0,4% prévu précédemment). Pour Julien Pouget, chef du département de la conjoncture, « la baisse du climat des affaires et le mouvement des "Gilets jaunes", dont il est difficile d'évaluer, compte tenu des données disponibles, l'impact sur l'activité économique » peuvent expliquer cette révision. « Nous avons revu à la baisse nos prévisions de consommation des ménages », a-t-il ajouté.

Parmi les composantes du PIB, la contribution de la demande intérieure a été légèrement révisée à la baisse. La consommation des ménages a nettement ralenti à 0,4% contre 0,7% initialement prévu. Du côté des investissements, si les entreprises ont continué d'investir même plus qu'anticipé (0,9% contre 0,6%), les foyers français ont réduit leurs investissements (-0,1%).

Du côté du commerce extérieur, les résultats ont été meilleurs que prévu. Le solde extérieur a soutenu la croissance de 0,2 point. Les exportations ont en effet moins progressé qu'attendu (+0,4 % contre +0,8 % attendu) mais les importations ont reculé de façon inattendue (-0,3 % contre +0,5 % prévu). Du côté des perspectives, les prévisions de l'Insee ne sont guère rassurantes. La contribution du commerce extérieur à la croissance française durant le premier semestre "serait négative en raison des produits manufacturés et de l'énergie."

Climat des affaires morose

En novembre dernier, le climat des affaires a cessé de diminuer après un repli quasi continu depuis décembre de 2017, où il avait atteint un record depuis 10 ans. Cette dégradation depuis le début de l'année concerne tous les grands secteurs d'activité. À l'exception du bâtiment pour lequel le moral des entrepreneurs demeure à des niveaux élevés, surtout porté par la bonne tenue de l'emploi dans ce secteur.

L'impact économique des "gilets jaunes" difficile à évaluer

À ce stade, les conséquences du mouvement des "Gilets jaunes" sur l'économie sont complexes à déterminer. Julien Pouget a expliqué qu'il n'existait pas de précédent historique comparable. Pour faire une estimation, les experts de l'organisme de statistiques ont « tenté de lister les canaux par lesquels il est susceptible d'affecter l'activité économique. »

Pour l'industrie, « les blocages de routes et de dépôts pétroliers ont pu engendrer des retards de livraison et certaines entreprises peuvent pâtir de problèmes d'approvisionnement. » Cependant, ces actions semblent à ce stade « de moindre ampleur que ceux qui avaient affecté l'activité économique pendant, par exemple, les grèves massives de décembre 1995, lesquelles avaient ôté environ 0,2 point à la croissance trimestrielle du PIB. »

Pour l'institut public, le mouvement des "Gilets jaunes" « est de nature à pénaliser la consommation, localement assez durement, et par plusieurs canaux. » Les ménages ont ainsi pu redouter les blocages. Ce qui pourrait provoquer un report de la consommation pour certains biens. Cependant, certaines dépenses pour les services dans l'hébergement-restauration ou les loisirs pourraient connaître des pertes sèches, de même que pour les produits frais.

Dans le tourisme, l'activité pourrait connaître des répercussions étant donné que de nombreuses manifestations ont eu lieu près de lieux habituellement très fréquentés. Au final, l'Insee souligne que le mouvement des  "Gilets jaunes" pourrait ôter 0,1 point à la croissance du PIB au quatrième trimestre 2018, via les secteurs d'activité sans doute principalement touchés. C'est une estimation qui « est néanmoins soumise à beaucoup d'aléas, ne serait-ce que sur la durée du mouvement. »

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Un pouvoir d'achat en hausse pour 2019

En dépit des craintes suscitées par le mouvement des "Gilets jaunes", le pouvoir d'achat devrait regagner de la vigueur au premier semestre 2019. Après la suppression des cotisations chômage et maladie, et la suppression de la taxe d'habitation, les mesures de soutien au pouvoir d'achat annoncées par Emmanuel Macron le 10 décembre dernier pourraient relancer la consommation.

L'élargissement de la prime d'activité pour les revenus autour du Smic, la défiscalisation et la désocialisation des heures supplémentaires, l'annulation de la hausse de la CSG pour certains retraités pourraient avoir un impact global de 0,5 point sur le revenu disponible brut des ménages (c'est-à-dire les revenus dont disposent les ménages après opérations de redistribution) durant le premier trimestre 2019. Il reste cependant beaucoup d'incertitudes sur les modalités de mise en oeuvre de ces mesures et le calendrier qui reste à préciser.

Enfin, le comportement des entreprises appelées à verser une prime exceptionnelle à leurs salariés rester à chiffrer. Reste à savoir si ce gain de pouvoir d'achat sera consacré à l'épargne ou à la consommation. En parallèle, le ralentissement de l'inflation pourrait être favorable au portefeuille des Français. Si les prix du baril de Brent et ceux du gaz et de l'électricité se stabilisent, "l'inflation refluerait" à 1% contre 2,2% entre octobre 2017 et octobre 2018.

Prélèvement à la source : la grande inconnue

La mise en oeuvre du prélèvement à la source suscite beaucoup d'interrogations chez les économistes. S'ils reconnaissent que la mensualisation de la collecte et l'acompte versé de crédit d'impôt pourraient avoir un effet favorable sur la trésorerie des ménages, ils suggèrent dans le même temps que cela « pourrait générer une certaine forme d'attentisme de la part des ménages et donc la constitution d'une épargne de précaution ». M.Pouget évoque « un effet psychologique sur le contribuables. »

Ralentissement des créations d'emplois

Sur le front de l'emploi, les dernières estimations de l'Insee confirment le coup de frein de l'économie tricolore. Sur l'ensemble de l'année, 114.000 emplois dans le secteur marchand seraient crées contre 321.000 en 2017. Au premier semestre 2019, 49.000 emplois seraient crées, soit un rythme similaire au premier semestre 2018. La transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en baisse de cotisations en 2019 pourraient contribuer à créer 15.000 emplois au premier semestre. Ce basculement aurait "aurait un effet positif, mais limité et temporaire, sur l'emploi."

Au final, la baisse du taux de chômage serait moins rapide qu'attendu. En effet, les prévisionnistes de l'Insee envisagent que le taux de chômage devrait s'établir à 9% au printemps 2019 contre 9,1% en 2018.

Les incertitudes internationales persistent

Sur la scène internationale, l'heure n'est pas à l'apaisement. Les négociations sur les modalités du Brexit ne cessent d'être repoussées malgré l'approche de l'échéance du 29 mars. En Italie, si le gouvernement a légèrement infléchi sa position récemment, la croissance reste morose. Au troisième trimestre, l'activité italienne a reculé (-0,1% après 0,2%), "sous l'effet du repli de la consommation privée et de l'investissement." La croissance pourrait être néanmoins soutenue par le stimulus budgétaire du gouvernement "mais les échanges extérieurs pèseraient sur la croissance."