Croissance : l’embellie surprise de l’hiver peut-elle se prolonger ?

Par Fabien Piliu  |   |  1233  mots
La reprise sera-t-elle durable ?
Le PIB de la France a fait un bond de 0,6% au premier trimestre, dépassant toutes les prévisions. La reprise sera-t-elle durable ? Peut-être.

Une hirondelle fera-t-elle le printemps ? Au premier trimestre, le PIB a progressé de 0,6%, dépassant de 0,2 point la prévision de l'Insee.

Les moteurs de la croissance hivernale ? La consommation des ménages, essentiellement. Portée par le faible niveau de l'inflation, celle-ci a progressé de 0,8%, obligeant les entreprises à reconstituer leurs stocks. C'est particulièrement le cas dans le secteur manufacturier. « Au premier trimestre 2015, la production totale de biens et services croît de 0,7 %, après avoir stagné fin 2014. La production manufacturière accélère vivement (+1,3 % après +0,1 %), notamment dans les « matériels de transports » (+5,6 % après -2,4 %). La production d'énergie rebondit également. Dans les services marchands, la production accélère plus modérément (+0,6 % après +0,3 %) », précise l'Institut.

Malheureusement, ce dynamisme ponctuel de l'économie française ne repose que sur la consommation des ménages.

En effet, les exportations signant une hausse limitée de 0,9%, le commerce extérieur continue de peser sur l'activité, retirant 0,5 point de PIB à la croissance trimestrielle ! Sur la période, conséquence de la forte fréquentation des Français dans les magasins, les importations ont augmenté de 2,3%.

L'investissement des entreprises ne décolle pas

Quant à l'investissement, il reste en berne. Celui des entreprises n'a augmenté que de 0,2% entre janvier et mars. Celui des ménages a poursuivi sa chute, reculant de 1,2%. Il s'était replié de 5,3% en 2014, accentuant les difficultés de la construction, déjà marquée par l'austérité imposée aux collectivités locales.

Cette performance s'explique également par un effet de rattrapage, l'activité ayant stagné au quatrième trimestre 2014.

Cette embellie peut-elle se prolonger au printemps et au second semestre ? L'activité peut-elle accélérer, dynamitant la prévision annuelle de croissance du gouvernement fixée à 1%, jugée plutôt prudente par la plupart des économistes ? Il faut l'espérer. Seule une reprise durable pourrait inciter les entreprises à investir et à embaucher à nouveau. En effet, pour l'instant, l'économie française affiche une croissance sans emploi.

Rééditer cette performance sera délicat, mais pas impossible. Les facteurs positifs, laissant espérer une accélération de la croissance, sont assez nombreux. Avec un retour de la confiance, on pourrait même espérer que la France voit enfin son modèle de la croissance s'équilibrer et ne plus reposer sur la seule solidité de la consommation des ménages.

Un nouveau modèle de croissance ?

Une consommation qui, à moins d'une surprise, devrait rester solide au cours des prochains trimestres, toujours stimulée par la légère augmentation du pouvoir d'achat. Les cours du brut remontent certes actuellement, mais leur niveau actuel reste encore assez faible.
L'investissement des entreprises pourrait également retrouver quelques couleurs. Le 16 avril, le Sénat a voté l'amendement au projet de loi Macron, instaurant le dispositif de suramortissement des investissements annoncé une semaine plus tôt par Manuel Valls, le Premier ministre. En vigueur pendant un an seulement, cette mesure qui permet de majorer de 40% le montant des amortissements et donc de réduire leur base taxable pourrait inciter les entreprises à moderniser leur outil de production.

Le gouvernement est serein. " Les industriels anticipent désormais une progression de l'investissement de + 7 % cette année, soit 4 points de plus que lorsqu'ils furent interrogés en janvier. En soutien à ce redémarrage, la politique monétaire conduite par la Banque centrale européenne induit des conditions de financements très favorables pour les entreprises avec un taux moyen de nouveaux crédits à un niveau historiquement bas (1,8 %) et qui se traduit par une accélération des demandes de crédit depuis plusieurs mois (+ 2,9 % d'encours de crédit en février sur un an), en particulier de crédits de trésorerie (+ 5,9 %) ", explique le gouvernement dans le compte-rendu du Conseil des ministres publié ce mercredi.

Le made in France peut-il conquérir le monde ?

Le commerce extérieur pourrait également stimuler la croissance. Les effets de la dépréciation de l'euro face au dollar offre quelques gains de compétitivité-prix aux entreprises françaises qui exportent hors de la zone euro. Une compétitivité-prix que les allégements de cotisations patronales contenus dans le pacte de responsabilité en vigueur depuis le 1er janvier ainsi que la montée en puissance du crédit d'impôt pour la compétitivité (CICE) ont déjà renforcé, permettant à la France d'afficher un coût du travail dans le secteur manufacturier moins élevé qu'en Allemagne, son principal partenaire et concurrent. Selon COE-Rexecode, le coût de l'heure de travail s'élevait au quatrième trimestre 2014 à 37,10 en France et à 38,43 euros en Allemagne.

Si l'on ajoute à ces éléments les éventuels effets positifs sur l'activité de la loi pour la croissance et l'activité - la loi Macron -, notamment l'assouplissement du travail dominical et en soirée et la libéralisation du secteur du transport routier, on peut espérer une accélération continue de l'activité.

La reprise est donc une réalité ? Toutes ardeurs, il faut modérer. Aucune des hypothèses évoquées précédemment n'est très solide. Commençons par la consommation des ménages. Que feront-ils si l'emploi continue de se dégrader, sachant que l'OFCE estime à 170.000 le nombre de personnes en sureffectif dans les entreprises ? Ils troqueront leurs habits de cigales pour celui de la fourmi. Leurs investissements immobiliers seraient davantage encore retardés.

L'investissement toujours à la peine ?

Pour quelles raisons l'investissement des entreprises décollerait-il ? Le taux d'utilisation des capacités de production reste peu élevé (81,8% selon l'Insee) car les carnets de commandes sont actuellement peu garnis, tant en France qu'à l'international. La France compte trop peu d'entreprises exportatrices - 121.000 environ selon les Douanes contre 310.000 en Allemagne - pour que le commerce extérieur devienne un moteur à part entière de la croissance.

Par ailleurs, les prévisions de l'Insee en matière d'investissement doivent être prises avec des pincettes. Depuis la crise de 2008-2009, ses résultats sont régulièrement revisés à la baisse.
Interrogés dans le cadre du baromètre Opinion Way pour CCI France/La Tribune/ Europe 1 dans le cadre de la " Grande consultation ", 47% estiment que cet outil peut en effet stimuler l'investissement. Mais ils sont 42% à penser exactement le contraire ! Pire, ils sont 71% à ne pas avoir l'intention d'utiliser ce dispositif.

Les planètes sont-elles encore alignées ?

Même les facteurs de soutien exogènes à la croissance sont fragiles. Certes, le niveau des cours du brut reste peu élevé. Mais ils remontent presque aussi brutalement qu'il se sont repliés à partir de l'été 2014. Le prix du Brent a bondit de 21% depuis le mois de mars. Les tensions géopolitiques en Libye, au Yemen et en Irak, la réduction probable des forages aux Etats-Unis sont des facteurs qui alimentent le mouvement haussier actuel.

La dépréciation de l'euro face au dollar peut-elle se prolonger ? Personne n'a la réponse. Si la reprise se confirme dans la zone euro, et que la croissance américaine actuellement vigoureuse ralentit, une remontée du taux de change euro/dollar n'est pas à exclure.

L'actuelle faiblesse des taux d'intérêts d'emprunts perdurera-t-elle ? Malgré la politique d'assouplissement quantitatif mise en place par la Banque centrale européenne (BCE), rien n'est moins sûr. La remontée brutale des taux souverains commence à inquiéter les marchés. Si elle se confirmait, les espoirs d'une reprise durable seraient contrariés.