Déchéance de la nationalité : le "coup" politique de François Hollande

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1417  mots
François Hollande (ici devant le congrès le 16 novembre) veut faire du maintien de la déchéance de la nationalité un instrument de reconquête de l'opinion, quitte à faire grincer des dents à gauche.
Le président de la République, en maintenant dans le projet de réforme constitutionnelle le principe de la déchéance de la nationalité française pour le binationaux nés en France, cherche à couper l'herbe sous le pied de la droite. Il va aussi dans le sens de l'opinion... dans la perspective de la présidentielle de 2017.

La campagne présidentielle de 2017 a vraiment commencé. Tout le débat autour de la déchéance de la nationalité en est le signe le plus significatif. François Hollande, en bon disciple de François Mitterrand, a décidé de pratiquer la triangulation en « piquant » à la droite - voire à l'extrême droite - ses idées pour la déstabiliser.

Il n'y pas si longtemps, très précisément en 2010, celui qui n'était alors que simple député PS de la Corrèze, avait traité de « nauséabonde » l'idée émise par Nicolas Sarkozy, dans son célèbre discours de Grenoble, de pouvoir déchoir de la nationalité française des binationaux nés en France. Cinq ans après, devenu président, le même François Hollande fait donc sienne cette idée qui continue pourtant de faire hurler une bonne partie de la gauche, y compris des proches du président, tels Jean-Marc Ayrault ou l'avocat Jean-Pierre Mignard.

Le pragmatisme de François Hollande

En fait, d'après nos informations, plus pragmatiques que jamais, François Hollande et Manuel Valls se sont adaptés aux réalités et cherchent même à transformer une difficulté de court terme en un avantage à long terme. En effet, au lendemain des attentats du 13 novembre, devant le congrès réuni à Versailles le 16 novembre, François Hollande, avait annoncé une réforme constitutionnelle prévoyant la possible déchéance de la nationalité française pour le binationaux nés en France coupables d'actes graves. Jusqu'à présent, seuls les étrangers ayant acquis après leur naissance la nationalité française pouvaient en être déchus. Peu de voix s'étaient alors élevées à gauche pour contester cette initiative. Il faut dire que les élections régionales se profilaient avec la crainte de voir le Front National faire un score élevé. L'heure n'était donc pas à la polémique. En outre, à Matignon comme à l'Elysée, on entretenait le secret espoir que le Conseil d'Etat rende un avis négatif sur cette initiative. L'Exécutif aurait alors eu beau jour de dire « vous voyez, on était prêt à le faire mais c'est juridiquement impossible ».

Or, le 11 décembre, le Conseil d'Etat a finalement donné un avis positif - sous certaines réserves cependant - au projet de réforme constitutionnelle. Du coup, un certain flottement a régné dans les allées du pouvoir. Pour preuve, dans l'entourage du Premier ministre, les conseillers avaient pour mission de préparer plusieurs argumentaires selon que la déchéance serait maintenue ou non. Finalement, le maintien a été décidé la veille de la présentation du texte en Conseil des ministres le 23 décembre. Même la ministre de la Justice Christine Taubira, en déplacement à Alger, a été prise de court...

En bon politicien, François Hollande a pesé le pour et le contre et a hiérarchisé les priorités. La gauche grogne, certes, et alors ? Elle rentrera dans le rang au fur et à mesure que les échéances électorales approcheront. En revanche, cette décision permet de déstabiliser à droite où les ténors rêvaient de dénoncer un nouveau recul de François Hollande "le mou"... Raté. Ainsi, Le chef de file des députés "Les Républicains" (LR), Christian Jacob, a refusé de dire s'il voterait pour, même s'il est d'accord "sur le principe", alors que le chef de file des sénateurs LR Bruno Retailleau a averti qu'a priori il voterait pour, mais « pas les yeux fermés ». Seul Patrick Devedjian, président LR du Conseil départemental des Hauts-de-Seine a clairement exprimé son refus de voter un tel texte, contraire au principe d'égalité « puisque les bi-nationaux peuvent subir une sanction à laquelle les autres échappent ».

Créer la division à droite

Division à droite donc... Pain béni pour le président de la République. Surtout que François Hollande n'en est pas à son premier coup depuis quelques semaines. La décision prise par le PS - fortement influencée par François Hollande - de ne pas maintenir de candidats au second tour des élections régionales dans les régions menacées par le FN, quitte à sacrifier toute présence de la gauche dans les conseils régionaux, a également fortement déstabilisé le parti de Nicolas Sarkozy. Résultat, dès le 14 décembre, lendemain du second tour, ça a tangué à la tête du parti « Les Républicains », Nicolas Sarkozy limogeant Nathalie Kosciusko Morizet de son poste de vice-présidente du parti, coupable de ne pas assez défendre la ligne du parti. Alain Juppé et autres n'ont pas beaucoup apprécié ce bonapartisme. Et Jean-Pierre Raffarin, l'ancien premier ministre de Jacques Chirac, s'est même permis de dire qu'il était « prêt à travailler avec le gouvernement » pour combattre le Front National, désavouant ainsi Nicolas Sarkozy opposé aux alliances droite/gauche pour faire barrage au parti de Marine Le Pen.

Dans ce contexte, François Hollande tend un véritable piège politique à Nicolas Sarkozy. Comment celui-ci pourra ordonner à ses troupes de ne pas voter la réforme constitutionnelle souhaitée par son successeur à l'Elysée ? Une mesure qu'il a lui-même portée quand il était en fonction... Mais les débats vont sans doute encore être rudes aux sein de LR, au plus grand bénéfice de François Hollande qui, lui, apparaîtra comme un homme décidé, garant de la sécurité des Français et à l'écoute du peuple - un sondage Elabe BFMTV montre que 94% des Français sont pour la déchéance de la nationalité française pour les binationaux coupables d'actes graves - quitte à rogner ses engagements.

Se qualifier in extremis pour le second tour en 2017

C'est donc tout le pari de l'actuel président de la République : réussir ce que François Mitterrand a fait en 1988 avec son fameux slogan la « France Unie » lors de sa réélection aux dépens de Jacques Chirac. A défaut, pour l'instant, de réels résultats sur le front économique et social, il cherche à se draper dans les habits du protecteur de la République au-dessus des conflits dans l'espoir de convaincre de futurs abstentionnistes de voter in fine en sa faveur et de séduire des électeurs centristes effrayés par la personnalité trop clivante de Nicolas Sarkozy si celui-ci gagne la primaire de la droite et du centre. Le tout pour espérer se qualifier au forcing pour le second tour de la présidentielle face à l'incontournable - à ce stade en tous cas- Marine Le Pen.

Ceci dit, François Hollande a besoin des voix de la droite et du centre dès mainteant. En effet, en raison des nombreux désistements à attendre au sein de la gauche, le texte - qui sera présenté début février - doit en effet être voté par une majorité des trois cinquièmes au parlement réuni en Congrès à Versailles pour être adopté. Or, le parti « Les Républicains » et l'UDI « pèsent » 415 parlementaires (députés et sénateurs) sur un total de 925. Sans eux, impossible d'atteindre cette majorité des trois cinquièmes (555 voix, si tous les votes sont exprimés). L'autre possibilité, le recours au référendum, semble à ce stade exclue. François Hollande sait qu'un tel vote se transformerait illico en plébiscite pour ou contre sa personne. Or, bien qu'en redressement, sa côte de popularité reste encore trop faible pour prendre un tel risque.

C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la décision de François Hollande de maintenir la déchéance des binationaux nés en France. Bien sûr, il sait que cette mesure a une portée essentiellement symbolique et qu'elle ne permet en rien une lutte efficace contre le terrorisme. D'ailleurs, on peut déjà gager qu'elle sera fort peu utilisée. Mais dans un climat de peur et de montée du Front National, le président connaît la force des symboles. Son agilité politique lui commande alors d'aller jusqu'au bout, quitte à fâcher une partie de sa gauche. Mais il n'en a cure. A l'instar de son premier ministre Manuel Valls, François Hollande sait que la grande recomposition politique va s'engager très prochainement. Sans doute au lendemain de la présidentielle. Le parti socialiste façon Epinay, aura alors vécu.