Durée du travail, ISF, TVA... Les recettes anti-chômage d'Alain Juppé

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1660  mots
Alain Juppé, candidat à la Primaire de la droite dégaine ses mesures en faveur de l'emploi. Il préconise notamment le retrour aux 39 heures et la suppression de l'ISF
Retour aux 39 heures légales, instauration d'un CDI "sécurisé", transfert du financement de la protection sociale vers la TVA, baisse de l’impôt sur les sociétés, suppression de l'ISF... Dans son ouvrage "Cinq ans pour l'emploi", Alain Juppé expose ses recettes pour faire baisser le chômage. Retrouvez ici le document sur ses principales propositions.

[Article publié le 10 mai 2016]

Temps de travail, financement de la protection sociale, rôle des syndicats, poids de la fiscalité pesant sur les entreprises... Alain Juppé, candidat à la primaire de la droite, continue d'égrener à son rythme son programme présidentiel. Après ses propositions sur l'éducation et celles sur le rôle de l'Etat, cette fois, dans un nouvel ouvrage, - « Cinq ans pour l'emploi »* -  officiellement dévoilé ce soir au Palais des Congrès de Paris, il présente ses suggestions en faveur de l'emploi, estimant, en la matière, que « l'on n'a pas tout essayé ».

L'objectif numéro un que se fixe le maire de Bordeaux est de « débloquer » le marché du travail français qu'il juge trop rigide. Et de prendre en exemple les réformes menées dans les années 1990 en Suède et 2000 en Allemagne.

Globalement, les recettes avancées par Alain Juppé relèvent d'un libéralisme tempéré. Il veut certes déréglementer mais va beaucoup moins loin que ce que suggèrent par exemple François Fillon et Hervé Mariton deux autres candidats à la primaire de droite.

Le retour des 39 heures légales

Il en va ainsi de la durée du travail. Là où beaucoup au sein du parti « Les Républicains » veulent supprimer toute mention d'une durée légale dans le code du travail, à l'inverse, Alain Juppé veut maintenir une telle référence en faisant le pari que c'est même la meilleure façon pour bouger les lignes...

Il propose donc de supprimer la durée légale de 35 heures. Il reviendra à chaque entreprise de fixer sa durée du travail dans le cadre d'une négociation et donc de fixer le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Cependant, dans l'esprit d'Alain Juppé, la loi prévoira qu'à défaut d'accord, la durée du travail sera fixée à 39 heures, c'est donc un retour à la situation qui prévalait avant 1998. Pour les salariés qui effectuent déjà aujourd'hui des heures supplémentaires majorées au-delà de 35 heures, la perte du bénéfice de la majoration entre 35 et 39 heures sera compensée par une réduction d'impôt sur le revenu et de cotisations salariales « dont le coût sera de deux milliards d'euros ».

Étant entendu que cette réforme devrait aussi s'appliquer à la fonction publique.

Un CDI "sécurisé"

Sur la question du contrat de travail, l'actuel favori dans les sondages pour la primaire reprend une vieille antienne du Medef en voulant « réhabiliter le CDI et le rendre plus attractif pour les entreprises ». Il propose donc que les CDI puissent prévoir des motifs prédéterminés de rupture « adaptés à l'entreprise, encadrés par la loi et homologués par l'administration ». Ces motifs seront définis dès la conclusion du contrat de travail et en cas de litige, le juge ne contrôlera pas la validité du motif dès lors que le contrat aura été homologué mais seulement la matérialité des circonstances invoquées.

Pour rénover le dialogue social, Alain Juppé veut faire de l'accord d'entreprise la norme «de droit commun de fixation des règles générales des relations du travail » mais dans le respect de l'ordre public absolu défini par la loi.

En cas d'échec des négociations, l'ancien Premier ministre souhaite qu'un référendum d'entreprise puisse être organisé à l'initiative du chef d'entreprise et/ou d'au moins un syndicat représentatif. Le résultat de ce référendum aura force obligatoire.

Dans les petites entreprises où le fait syndical est rare, Alain Juppé propose de considérablement simplifier la technique du mandatement syndical et d'autoriser plus facilement les représentants élus de signer des accords.

Il préconise également de « neutraliser » pendant cinq ans les conséquences du franchissement des seuils sociaux (actuellement, la loi Rebsamen prévoit un tel gel durant trois ans). Alain Juppé annonce aussi qu'il annulera la réforme du compte pénibilité et qu'il facilitera au maximum l'ouverture dominicale et en soirée des commerces, sous réserve du volontariat des salariés et d'une majoration de la rémunération de ces derniers. Bien entendu, comme tous les autres candidats à la primaire, Alain Juppé plaide aussi pour une dégressivité des allocations chômage.

Un dispositif "zéro charge" au niveau du Smic

En revanche, Alain Juppé reste attaché « au principe du salaire minimum ». Il ne remettra donc pas en cause l'existence du Smic. En revanche, il veut parvenir à un véritable « zéro charges » au niveau du Smic pour le chef d'entreprise. Il estime en effet qu'il reste actuellement environ 16 points de cotisations pour l'employeur au niveau du Smic, ramené à 11 points après application du CICE. De fait, depuis le 1er janvier 2015, il n'y a plus de cotisation patronale de sécurité sociale au niveau du Smic, il ne reste « que » l'assurance chômage, les retraites complémentaires, le versement transport, etc. Mais pour les entreprises de moins de 250 salariés, l'instauration d'une prime de 2.000 euros en cas de recrutement permet, déjà, de parler d'un dispositif « zéro charges» à ce niveau.

Toujours au chapitre des cotisations patronales, Alain Juppé compte instituer des allégements dégressifs des cotisations patronales jusqu'à 1,8 Smic (contre 1,6 Smic actuellement). Il estime y parvenir en procédant à la refonte des allégements actuels et du CICE.

Transférer le financement de la politique familiale vers la TVA

Surtout, afin de favoriser la compétitivité, le maire de Bordeaux préconise de transférer par étape le financement de la politique familiale vers l'impôt. Ainsi, dans une première étape, il se propose de basculer plus de 10 milliards d'euros de cotisations « famille » (soit un gros tiers du total). Cette mesure serait financée par une augmentation de la TVA d'un point... Un basculement préconisé par Nicolas Sarkozy à la fin de son quinquennat.

Mais pour redonner confiance aux entreprises et ainsi créer de l'emploi, Alain Juppé ne préconise pas que des réformes sociales. Il veut aussi s'attaquer à la fiscalité pour la rendre plus incitative. C'est donc essentiellement la fiscalité pesant sur les entreprises qui l'intéresse. A ce stade, il ne promet pas de réductions d'impôts massives pour les ménages, faute de marges de manœuvre suffisantes. En revanche, il s'engage à relever le plafond du quotient familial de 1.500 à 2.500 euros par demi-part supplémentaire, pour un coût total estimé à deux milliards d'euros. De même, il compte augmenter les allégements de cotisations des particuliers employeurs pour favoriser l'emploi à domicile.

Baisser l'impôt sur les sociétés

Tout le reste de son programme concerne les entreprises. Il souhaite tout d'abord faire converger le taux de l'impôt sur les sociétés (IS) vers la moyenne européenne (22%). Pour ce faire, dans un premier temps, le taux d'IS sera fixé à 24% pour les PME réalisant jusqu'à 7,6 millions de chiffre d'affaires, et le taux pour les autres entreprises sera ramené à 30% (contre 33,3% actuellement sans compter les cotisations additionnelles en passe d'être supprimées dans le cadre du « pacte de responsabilité »).

Il souhaite aussi rétablir une taxation forfaitaire (ou « flat tax ») sur les revenus de l'investissement. Idem pour les dividendes, pour lesquels « le taux sera proche de ce qu'il était avant 2012, c'est-à-dire autour de 20% ». Pour les plus-values, la taxation sera dégressive avec la durée de détention, avec l'objectif qu'on ne soit plus imposé que du quart de la plus-value (prélèvements sociaux inclus), au bout de six ans.

Supprimer l'ISF

Point sensible, Alain Juppé s'engage aussi à supprimer l'ISF, ce qui entraînera, dès 2018, la disparition du dispositif-ISF-PME qui permet de déduire de l'ISF les montants investis dans une jeune PME. En remplacement, le maire de Bordeaux propose que la réduction d'impôt qui permet de déduire une partie des investissements de l'impôt sur le revenu soit accrue (soit une réduction d'IR maximale de 63.000 euros), de sorte que l'aide procurée soit équivalente à l'ISF-PME (environ 500 millions d'euros).

Bien entendu, à l'instar de tous les autres candidats à la primaire, Alain Juppé insiste sur la nécessaire maîtrise des dépenses publiques et sur l'obligation pour l'Etat de se réformer. A son programme donc, une baisse de 85 à 100 milliards d'euros de la dépense publique sur cinq ans, via notamment, un retour à la suppression du nombre des fonctionnaires. Mais il compte aussi faire participer la Sécurité sociale et les collectivités locales à cet effort...

Gouverner par ordonnances

In fine, sur le fond, les propositions de l'ancien Premier ministre ne sont pas très surprenantes. Elles correspondent grosso modo aux diverses idées évoquées depuis plusieurs mois au sein du parti « Les Républicains ». En revanche, dans la méthode, Alain Juppé se démarque - même si François Fillon a émis des idées assez proches - en voulant mener les réformes au pas de charge.

S'il est élu - il assure toujours ne vouloir faire qu'un seul quinquennat -, il promet de nommer un gouvernement restreint de 12 ministres de plein exercice au maximum. Il fera immédiatement adopter par le Parlement une loi habilitant le gouvernement à procéder par ordonnance. Et, dans les six mois suivant son élection, les principales réformes seront appliquées dont... le report à 65 ans de l'âge légal de départ à la retraite.

(*) "Cinq ans pour l'emploi", Éditions JC Lattès, 270 pages, 12 euros.

Retrouvez ci-dessous la synthèse des propositions faites par Alain Juppé dans son livre:

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>>> "Cinq ans pour l'emploi" : dans son troisième livre-programme, Alain Juppé a dévoilé son projet économique pour remettre la France sur le chemin du plein emploi. Retrouvez ici le [Replay] de son intervention devant des entrepreneurs ce mardi 10 mai au Palais des Congrès à Paris.