Fallait-il raboter les APL  ?

Par Mathias Thépot  |   |  895  mots
Près de 80.000 foyers vont être affectés par le coup de rabot sur les APL. (Crédits : CC0 Public Domain)
Le gouvernement a décidé de raboter légèrement les APL. Suffisant pour affecter les finances d'environ 80.000 foyers. Le but de la mesure est de réduire les effets inflationnistes des aides au logement, qui sont pourtant l'un des piliers de la politique sociale en France...

Fallait-il raboter les aides personnelles au logement (APL) au seul titre qu'elles engendreraient une hausse des loyers, voire qu'elles seraient trop coûteuses pour l'Etat ? La question mérite d'être posée. Dans l'optique de limiter la hausse des loyers et de réaliser des économies mineures - un peu moins de 300 millions d'euros par an en "vitesse de croisière" - le gouvernement a donc pris la décision de réduire les aides au logement selon une méthode bien précise : instaurer une dégressivité des aides à partir d'un certain niveau de loyers, en fonction des situations familiales et géographiques. Près de 80.000 foyers seraient concernés, soit 1,2 % des allocataires, à en croire la réponse du ministère du Logement à Marianne. Un nombre tout de même significatif.

Voilà en effet plusieurs années que l'Etat français, qui consacre environ 18 milliards d'euros d'aides aux logements par an à destination de 6,5 millions de bénéficiaires, planche sur des solutions afin de rendre sa politique du logement moins coûteuse et plus efficace. Les aides aux logements, c'est en effet quasiment deux fois plus que le RSA. C'est plus, aussi, que les allocations familiales. Or dans le même temps, le poids du logement dans le budget des ménages n'a cessé de croître, en premier lieu pour les locataires du secteur privé.

Hausse des aides = hausse des loyers ?

Le premier responsable de cette situation insatisfaisante est donc tout trouvé : la hausse des aides aux logements, dont le niveau annuel a été multiplié par trois depuis le début des années 1990, selon une étude de l'Insee. Plusieurs rapports, notamment un de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), l'ont d'ailleurs écrit : la hausse des APL est en partie absorbée par les bailleurs qui augmentent d'autant les loyers car ils sont le plus souvent au courant du montant des APL que touchent leurs locataires.

Des études réalisées sur l'effet inflationniste des aides au logement montrent ainsi que les augmentations de loyers absorberaient entre 60 % et 80 % des aides octroyées aux locataires, les bailleurs alignant leur prix à chaque hausse des aides. Et même si ces études suggèrent, dans l'absolu, que l'effet des APL est positif sur le pouvoir d'achat des bénéficiaires, le gouvernement a donc décidé « de mieux encadrer le versement des aides au logement », afin d'en limiter des effets qu'il estime pervers.

Révolte des associations

Du côté des associations de défense des habitants, la révolte gronde. La Confédération nationale du logement dénonçait récemment les dérives de la mesure gouvernementale : « une famille qui cherche du travail, qui n'a pas d'autres moyens pour se loger que d'aller dans le privé, avec un deux-pièces, et de payer 1.000 voire 1.200 euros, comment voulez-vous qu'elle fasse si elle n'a pas de logement social ? Elle fait des efforts mais on lui dit que le loyer n'est pas dans ses revenus ! »

Du reste, comme l'explique l'économiste de l'OFCE Pierre Madec sur son blog, en attribuant aux APL la hausse des loyers du secteur privé, on se trompe peut-être de débat. Il rappelle ainsi qu'entre 2000 et 2010, le loyer moyen des bénéficiaires des aides augmentait de 32 %, alors que les « loyers plafonds » qui servent de bases de calcul des APL, n'étaient eux revalorisés que de 16 %. Il y a donc des forces de marché plus puissantes que les seules aides au logement qui ont agi sur la hausse des loyers par rapport aux revenus des ménages.

Une aide sociale majeure

Par ailleurs, il faut dire que les allocations logement restent, grâce à leur ciblage sur les ménages les plus modestes, l'une des aides les plus redistributives en France. Elles sont l'un des principaux leviers de la politique sociale de l'Etat. « Du fait du barème, seuls les ménages des trois premiers déciles de revenu peuvent prétendre aux allocations logement », notait ainsi Pierre Madec « Après transferts sociaux, elles représentent près de 20 % du revenu disponible des ménages appartenant au premier quintile de revenus (les 20 % les plus pauvres) », ajoute-t-il. Et de citer un rapport de l'IGAS, qui indique que les aides au logement permettent à elles seules de « diminuer le taux d'effort des allocataires de 36 % à 20 % et de faire baisser leur taux de pauvreté de 3 points ».

S'appuyer davantage sur l'encadrement des loyers ?

Pourquoi, alors, le gouvernement a-t-il décidé d'accroître le reste à charge en matière de dépenses de logement pour 80.000 ménages ? Peut-être a-t-il cédé aux pressions des hauts fonctionnaires de Bercy qui voient, pour certains, d'un mauvais œil le niveau élevé de ces dépenses dont ils ne voient pas l'efficacité chiffrée. Eux qui ont comme ligne directrice de rentrer, coûte que coûte, dans les clous des critères budgétaires européens.

Par ailleurs, si son réel objectif est de limiter l'effet des APL sur la hausse des loyers, pourquoi le gouvernement ne s'appuie-t-il pas davantage sur l'encadrement des loyers, qui pour l'instant porte ses fruits à Paris ? Il semble bien qu'aujourd'hui, les aides au logement constituent l'un des principaux instruments de lutte contre la pauvreté. Et dans cette période de crise, il est permis de questionner la pertinence d'une stratégie qui vise à réduire les effets des politiques contra-cycliques.