France : pourquoi le déficit commercial s'amplifie à nouveau

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  763  mots
En cumulé depuis janvier, le solde entre exportations et importations de marchandises est déficitaire de 59,7 milliards d'euros, soit déjà près de 25% de plus que sur l'ensemble de l'année précédente. S'agissant de la dégradation des parts de marché, "la compétitivité-coût, seule, ne peut pas expliquer le différentiel entre la France et l'Allemagne", assure Vincent Vicard, économiste au CEPII. (Crédits : Reuters)
Après l'embellie des années 2012-2015, le déficit du commerce des marchandises s'est à nouveau aggravé en 2016 et va s'amplifier en 2017. Au-delà des éléments conjoncturels, comme la météo ou la facture énergétique, la France fait face à un problème de compétitivité qui prendra du temps à se résoudre.

Pour la deuxième année consécutive, la France verra son déficit commercial des biens s'aggraver en 2017. L'écart entre ses exportations et ses importations de marchandises a atteint 5,7 milliards d'euros en novembre dernier, selon les chiffres publiés par les Douanes mardi. En cumulé depuis janvier, le solde est déficitaire de 59,7 milliards d'euros, soit déjà près de 25% de plus que sur l'ensemble de l'année précédente.

Sur l'ensemble de 2017 (mois de décembre inclus), la situation pourrait retrouver son niveau d'il y a cinq ans. Sauf qu'à l'époque, la France enregistrait de nettes améliorations de son solde commercial. Après un déficit record 74,5 milliards d'euros en 2011, celui-ci s'est réduit progressivement jusqu'en 2015 pour atteindre 45 milliards d'euros, soit son plus bas niveau depuis la crise financière de 2008.

Coûteuse facture énergétique

Cette dégradation s'explique en partie par l'alourdissement de la facture énergétique, qui "compte pour une part importante de notre solde commercial", souligne à La Tribune l'économiste Vincent Vicard, spécialiste en commerce international au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII). D'environ 30 dollars le baril en janvier 2016, le cours du pétrole n'a cessé de monter et dépasse aujourd'hui les 65 dollars. De quoi peser sur les importations, même si on est loin des 114 dollars le baril comme en 2014.

En outre, la France n'a pas pu compter sur l'un de ses atouts, l'agroalimentaire, pour redresser la barre. "Les exportations du secteur agricole ont pâti de la météo, alors que le solde est habituellement excédentaire", pointe l'économiste du CEPII. La très mauvaise récolte de blé de l'été 2016 a fortement pénalisé le secteur qui a enregistré, pour la première fois de son histoire, un solde déficitaire pour la campagne 2016-2017.

La balance des services à surveiller

Les mauvaises performances du commerce de marchandises français ne sont pas une nouveauté. En revanche, ces pertes sont habituellement compensées, en partie, par un excédent du côté des échanges de services. "C'est une spécificité française", note d'ailleurs Vincent Vicard. En 2012, par exemple, alors que le solde commercial des biens était déficitaire de 67,6 milliards d'euros, celui des services était excédentaire de 24,9 milliards d'euros.

Problème : là-aussi, la France perd du terrain. Après le pic de 2012, la balance des services voit son excédent se réduire comme peau de chagrin. La première rupture est apparue en 2015, quand l'excédent avait plongé de plus de moitié. La chute s'est encore aggravée l'année suivante avec un excédent de seulement 400 millions d'euros, soit 22 moins fois qu'en 2015 et 62 fois moins que le pic de 2012.

Cette dégradation observée résulte principalement de la détérioration de l'excédent du tourisme, divisé par 3,5 entre 2014 et 2016. La succession d'attentats en France a fortement impacté le secteur. Toute aussi inquiétante, la baisse de l'excédent des services aux entreprises devrait se poursuivre cette année.

Les chiffres des services sont publiés par la Banque de France et seront disponibles plus tard dans l'année. "Il faudra surveiller leur évolution", insiste le chercheur du CEPII.

"Investir aujourd'hui pour exporter demain"

En dehors des aspects conjoncturels (conditions météo, volatilité des cours des matières premières), la France fait face à des "difficultés structurelles plus difficiles à expliquer", concède Vincent Vicard.

Le déficit commercial continue de se creuser alors que "la dégradation des parts de marché de la France s'était stabilisée depuis 2012", rappelle-t-il, après une longue dégringolade entamée en 2003. A l'inverse, nos voisins allemands continuent de produire un excédent commercial. Certes, outre-Rhin, le coût de la main-d'œuvre est moins élevé qu'en France, mais l'Hexagone a entamé un rattrapage qui, même s'il n'est pas terminé, n'en est pas moins significatif.

"La compétitivité-coût, seule, ne peut pas expliquer le différentiel entre la France et l'Allemagne", assure Vincent Vicard. "Il faut regarder du côté de la compétitivité hors-prix." Crédibilité des produits, image de marque... ces éléments abstraits sont plus à même de répondre à cette problématique. Les entreprises françaises sont en train de s'ajuster et la route est longue.

"Avant, elles investissaient dans des éléments moins tangibles ; aujourd'hui, elles investissent davantage dans les biens d'équipement, les machines-outils qui, avant de porter leurs fruits, font d'abord augmenter les importations", décrit l'économiste. "C'est un processus à long terme : investir aujourd'hui pour exporter demain."