"Gilets jaunes" : les craintes sur la croissance se multiplient

Par Grégoire Normand  |   |  1122  mots
Déjà 766 entreprises ont fait une demande d'activité partielle. (Crédits : VINCENT KESSLER)
Bruno Le Maire a affirmé, ce lundi, que la croissance serait amputée de 0,1 point pour le dernier trimestre en raison des troubles liés aux manifestations des "gilets jaunes". Dans le même temps, la Banque de France a divisé par deux à 0,2% contre 0,4% précédemment, le taux de croissance du PIB français qu'elle prévoit pour le quatrième trimestre, l'impact du mouvement des "gilets jaunes" se faisant sentir dans "la plupart des secteurs".

Le mouvement des "gilets jaunes"  commence à réellement peser sur l'économie tricolore. Dans sa dernière enquête de conjoncture, la Banque de France a révisé ses prévisions de croissance à la baisse pour le quatrième trimestre à 0,2% contre 0,4% auparavant. De son côté, le ministre de l'Economie et des finances Bruno Le Maire a fait part de ses craintes dans une interview accordée à RTL ce lundi matin. "Je pense que les événements actuels devraient nous faire perdre 0,1 point de croissance de notre richesse nationale au dernier trimestre", a affirmé le ministre à l'antenne, refusant néanmoins de revoir pour l'instant à la baisse la croissance pour l'ensemble de l'année, attendue à 1,7% par le gouvernement. "Je ne vais pas faire de révision pour le moment, mais nous aurons sans doute 0,1 point de croissance en moins à la fin de l'année", a ajouté le ministre, qui avait déjà estimé à 0,1 point l'impact négatif sur la croissance de la grève à la SNCF en début d'année.

S'il est encore trop tôt pour avoir une évaluation précise de l'impact du mouvement des "gilets jaunes" sur l'économie française, beaucoup de secteurs comme le commerce et la distribution annoncent déjà de sérieuses pertes. De son côté, le directeur général de l'Insee Jean Luc Tavernier a précisé sur l'antenne de France Info le 4 décembre que si "c'est limité dans le temps, ce n'est pas extrêmement significatif. Il peut y avoir un effet de rattrapage [...] La croissance sera autour de 1,5% pour 2018." Toutes ces nouvelles prévisions sont très inférieures au niveau de 0,8% qui serait nécessaire au quatrième trimestre (après une croissance de 0,4% au troisième trimestre et de 0,2% sur les deux premiers trimestres, selon les dernières statistiques de l'Insee) pour  atteindre l'objectif annuel du gouvernement.

> Lire aussi l'entretien du délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution, Jacques Creyssel : "Gilets jaunes" : "Les pertes sont estimées à 1 milliard d'euros pour le commerce"

L'industrie au ralenti

Les résultats de la banque centrale soulignent un ralentissement général dans l'industrie. Dans ce secteur, l'agroalimentaire en raison des difficultés des commerçants et l'automobile ont été particulièrement touchés. D'après un récent communiqué de l'association nationale des industries alimentaires (Ania), "les conséquences sont extrêmement lourdes sur le chiffre d'affaires (CA) : plusieurs milliards d'euros sont d'ores et déjà définitivement détruits." Les premières estimations de pertes du chiffre d'affaires "pourraient s'élever à 13,5 milliards d'euros, concernant avant tout des PME", rien que pour le secteur agroalimentaire.

Du côté du bâtiment, les performances sont également jugées décevantes. L'industrie du bâtiment a ralenti "dans le gros oeuvre comme dans le second oeuvre." En dépit de ce coup de frein, les carnets de commande "restent assez bien garnis" mais la croissance pour le mois de décembre resterait faible selon les professionnels interrogés. "Au total l'activité industrielle n'a plus progressé," explique l'enquête. La production, les livraisons et les commandes sont en repli. Les chefs d'entreprises industrielles interrogés par la Banque de France estiment néanmoins que la croissance de l'activité pourrait reprendre au cours du mois de décembre

Coup de frein dans les services

L'activité des services s'est également dégradée au mois de novembre. Selon l'enquête menée par l'institution bancaire, la croissance dans le tertiaire "décélère sous l'effet du mouvement actuel. Les transports, la restauration et la réparation automobile régressent. Les services aux entreprises restent dynamiques."

Les blocages d'entrepôts et de plateformes peuvent avoir des répercussions sur les chaînes d'approvisionnement dans de nombreux secteurs et notamment ceux de la distribution et de la restauration. Toute la distribution des produits frais par exemple est mise en difficulté alors que beaucoup de supermarchés et magasins signalent des obstacles pour se ravitailler. Ce qui pourrait favoriser les grandes plateformes de commerce en ligne.

Montée des inquiétudes

Si, d'après les chiffres communiqués par le ministère de l'Intérieur, la mobilisation est en perte de vitesse par rapport au premier week-end, les craintes se multiplient chez les acteurs économiques et au sein du gouvernement. Après avoir évoqué des conséquences "sévères et continues", le ministre de l'Economie Bruno Le Maire parle désormais de "catastrophe pour notre économie." "C'est une période où normalement le commerce tourne bien, c'est la veille des fêtes de Noël et, là, c'est une catastrophe", a regretté M. Le Maire, qui se trouvait près de la gare Saint-Lazare à Paris.

De son côté, la confédération des PME a également tiré récemment la sonnette d'alarmes. Les premiers résultats d'une enquête réalisée du 4 au 7 décembre, regroupant le témoignage de 1.710 dirigeants, montrent que, pour 62% d'entre eux, le mouvement "des gilets jaunes" a eu un impact sur leur activité, toutes zones géographiques et tous secteurs d'activité confondus. Face à de possibles difficultés, la fédération bancaire française (FBF) a tenu "à réaffirmer son engagement à examiner avec bienveillance et au cas par cas les situations des artisans, des commerçants et des entreprises, impactées dans leurs activités, et rechercher des solutions appropriées."

Montée du chômage partiel

Les conséquences sur l'emploi sont encore complexes à déterminer. Plusieurs représentants de fédérations professionnelles ont annoncé que de plus en plus d'entreprises avaient recours au chômage partiel. D'après nos informations, 766 entreprises ont fait une demande auprès du gouvernement, au 10 décembre pour mettre leurs employés au chômage partiel. Ce qui représente environ 20.185 salariés et 9 millions d'euros versés par l'Etat. A la veille de la seconde mobilisation, le 30 novembre dernier, 200 entreprises avaient effectué cette démarche pour environ 5.000 salariés.

> Lire aussi : "Gilets jaunes" : "les conséquences pourraient être catastrophiques" (CCI France)

Dans l'industrie manufacturière, les dirigeants interrogés par la Banque de France ont indiqué que les embauches avaient clairement marqué le pas au cours du mois de novembre. Dans le commerce et la distribution, la fédération a indiqué que "les conséquences sont particulièrement lourdes [...] pour nos salariés empêchés de travailler et qui risquent d'en subir les conséquences financières ou sur leur emploi."