Grand débat : "Ni une élection ni un référendum"... Macron fixe le cadre

Par latribune.fr  |   |  1480  mots
(Crédits : Benoit Tessier)
Le grand débat qui sera lancé mardi n'est "ni une élection, ni un référendum", a affirmé Emmanuel Macron dans sa "lettre aux Français", en appelant "le plus grand nombre" à y participer.

Le président de la République a annoncé qu'il "rendra compte directement" de cette consultation, dans le mois qui suivra sa fin, prévue le 15 mars, dans sa longue lettre, dont la publication a été avancée après avoir été rendue publique par des médias dimanche soir malgré l'embargo fixé.

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"J'entends transformer avec vous les colères en solutions", indique-t-il en conclusion de cette lettre, dont il avait annoncé la publication en présentant ses voeux, en pleine crise des "Gilets jaunes". Il propose de baliser le débat avec une série de 35 questions portant sur quatre thèmes déjà fixés comme la démocratie, la transition écologique, la fiscalité ou l'immigration.

"Vos propositions permettront donc de bâtir un nouveau contrat pour la Nation, de structurer l'action du Gouvernement et du Parlement, mais aussi les positions de la France au niveau européen et international", précise Emmanuel Macron.

Parmi ces questions, figurent: "Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité?", "Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité?", "Quelles propositions concrètes feriez-vous pour accélérer notre transition environnementale?", "Faut-il accroître le recours aux référendums?".

Sur l'immigration, Emmanuel Macron demande: "Une fois nos obligations d'asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement?".

Mais, comme l'avaient annoncé plusieurs membres du gouvernement ces derniers jours, le président fixe aussi des lignes rouges.

"Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises [...] afin d'encourager l'investissement et faire que le travail paie davantage", souligne-t-il, sans citer nommément l'ISF, dont le rétablissement est réclamé par de nombreux "Gilets jaunes".

"Nous ne pouvons poursuivre les baisses d'impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique", prévient-il aussi.

Il ne cite, dans sa lettre, ni les thèmes du mariage pour tous, de l'IVG ou de la peine de mort.

Emmanuel Macron doit participer à un premier débat mardi avec des maires à Grand Bourgtheroulde (Eure), puis à un deuxième vendredi à Souillac (Lot), premières étapes d'une série de déplacements en province.

Le Premier ministre Edouard Philippe doit préciser lundi les modalités de ce grand débat, notamment sur son pilotage après la défection de la présidente de la Commission nationale du débat public, Chantal Jouanno, après une polémique sur sa rémunération.

Emmanuel Macron a publié sa lettre au lendemain d'un neuvième samedi de mobilisation des "Gilets jaunes" marqué par un regain de mobilisation.

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Comment les "conclusions" seront reprises

Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger a demandé lundi que le gouvernement dise "très vite" dans quelles "conditions" va s'organiser le grand débat national et "surtout" comment ses "conclusions" seront reprises.

Interrogé sur CNews au lendemain de la publication de la lettre du président Emmanuel Macron aux Français, M. Berger a souhaité que l'exécutif "dise très vite" "les conditions" dans lesquelles le grand débat s'organise, "les conditions d'indépendance, les conditions de bonne tenue des débats". "Est-ce qu'on sera dans un cadre apaisé où chacun pourra s'exprimer?", s'est-il demandé.

"Celui ou celle qui va piloter" le débat "doit être indépendant du gouvernement", a souligné Laurent Berger, "y compris pour que les gens s'y inscrivent".

Il a aussi demandé que l'exécutif dise "surtout" ce qu'il "va être être fait des conclusions" du débat, "la façon dont les débats à un moment donné vont être repris par les uns et les autres pour travailler ensemble".

Pour le numéro un de la CFDT, il faut qu'à l'issue du débat "les organisations syndicales, patronales, les associations organisent une sorte de Grenelle du pouvoir de vivre où on traite l'ensemble de ces sujets-là" même si "le gouvernement in fine décidera".

"Mais que ce ne soit pas simplement remonté à l'Elysée et que ce soit le président qui décide", a-t-il insisté.

Sur la lettre du président, dont il n'a pas souhaité "faire l'exégèse", le secrétaire général de la CFDT a observé qu'il "manque des précisions autour de ce qui pourrait être fait autour du pouvoir d'achat".

Une opération de sauvetage du mandat de Macron ?

Avec sa lettre aux Français dévoilée dimanche soir, Emmanuel Macron tente "de sauver la suite de son mandat" jugent la majeure partie des éditorialistes, quand d'autres enjoignent leurs lecteurs à participer au grand débat.

Pour Stéphane Albouy du Parisien, Emmanuel Macron a pris la plume comme l'avaient fait avant lui François Mitterrand et Nicolas Sarkozy. A la différence que ses prédécesseurs étaient candidats à la présidence et défendaient leur programme de campagne, alors que "notre actuel président essaie pour sa part de sauver la suite de son mandat".

"Avec cette adresse aux Français, le chef de l'Etat est en fait candidat... à sauver les trois ans qu'il lui reste à passer à l'Elysée", pense également Paul Quinio de Libération qui voit la lettre du président comme un "écrit de rattrapage".

"L'arrogant Jupiter tente avec ce texte de se mettre à hauteur de rond-point", juge l'éditorialiste qui trouve l'exercice "périlleux".

Dans L'Union, Carole Lardot Bouillé fait chorus:

"l'exercice est périlleux. Emmanuel Macron sait qu'il n'a pas le droit à l'erreur."

"Une 'chance pour la France', comme l'a dit Marc Fesneau, ce grand débat national?", demande Guillaume Tabard du Figaro qui estime qu'il s'agit d'"une dernière chance pour Emmanuel Macron en tout cas, s'il veut régler la crise autrement que par des scénarios politiques catastrophes pour lui."

François Ernenwein de La Croix est d'avis qu'il manque au chef de l'Etat "la crédibilité nécessaire pour convaincre qu'il va vraiment lutter contre les fractures sociales et territoriales en France". L'éditorialiste du quotidien catholique admet toutefois que le président "peut encore parvenir à sortir son mandat de l'étau de la puissante contestation et des lourdes contraintes budgétaires".

Dans Les Echos, Cécile Cornudet est sceptique quant à la volonté d'écoute d'Emmanuel Macron qui "se prête à l'exercice du grand débat comme s'il fallait bien en passer par là, mais sans réelle conviction pour le coup."

Sans surprise, la lettre aux Français reste "lettre morte" pour Paule Masson de l'Humanité qui affirme qu'elle "ne peut être reçue que comme une provocation." "Pas un mot sur les salaires, le pouvoir d'achat, mais l'affirmation qu'il ne rétablira pas l'ISF", s'insurge l'éditorialiste du quotidien communiste.

"Le président joue gros", assure Bernard Stéphan de La Montagne Centre France  qui considère que de la réussite ou de l'échec du grand débat "dépend la suite du quinquennat d'Emmanuel Macron."

"Comme dans le village d'Astérix, il y aura des engueulades et des débordements, mais, en vérité, l'issue de ce grand débat dépend de nous tous et d'abord de notre volonté de comprendre avant de juger", croit Vincent Trémolet de Villers du Figaro qui espère "une conversation civique".

Dans le camp des plus optimistes, Sébastien Georges de L'Est Républicain songe que "ce grand débat peut constituer un des actes fondateurs de la nouvelle gouvernance qu'il avait promise", mais "à condition de tenir compte de ce qui en sortira, sans le cadenasser pour qu'il ne fasse pas pschitt."

"Faut-il plus de services publics ou moins d'impôts ? Cruel et universel dilemme que le président de la République décline dans sa lettre". Laurent Bodin dans L'Alsace note que le président "place les Français devant leurs responsabilités", "habilement", souligne-t-il.

"C'est à un incroyable exercice de renouvellement de la démocratie et de la politique que nous sommes en train d'assister", s'enthousiasme Patrice Carmouze dans L'Eclair des Pyrénées. "C'est donc aux citoyens de s'emparer de ce débat, de prendre, en quelque sorte le pouvoir", prévient-il.

"Emmanuel Macron tente avec ce courrier de nous mettre devant nos responsabilités, les siennes et tous les choix à venir", constate Jean-Louis Hervois de la Charente Libre.

Dans Ouest France, Stéphane Vernay considère que "le chef de l'État mette autant de sujets sur la table, sachant que toutes les réponses n'iront pas dans son sens, est, de fait, totalement inédit". Pour l'éditorialiste du quotidien de l'Ouest, cette lettre "plus qu'un engagement, c'est un contrat. Il faut le prendre au mot. En participant".

(avec agences)