Industrie : 80% des zones d'emploi frappées par la crise

Par Grégoire Normand  |   |  934  mots
(Crédits : Reuters)
Une cinquantaine de zones d'emploi sur 300 ont connu une progression de l'emploi industriel depuis la crise de 2008, selon une récente note de la Fabrique de l'industrie.

Les dégâts sur le marché du travail sont colossaux. Selon une note de la Fabrique de l'industrie publiée ce lundi 4 novembre, 4/5 des zones d'emploi que compte la France ont subi des destructions d'emploi dans le secteur industriel entre 2009 et 2015. La Grande récession et la crise des dettes souveraines en zone euro ont accéléré la désindustrialisation du modèle économique français entamé depuis de nombreuses décennies avec des conséquences majeures sur certains territoires. La crise des "gilets jaunes" et le "Grand débat" ont remis au centre du débat la question des territoires pour la seconde partie du quinquennat d'Emmanuel Macron. Pour tenter de mieux comprendre les ressorts de ce marasme, l'observatoire des territoires d'industrie a entamé une série de travaux documentés sur cette transformation sans précédent.

Des contrastes saisissants

Depuis 2009, environ 50 zones d'emploi ont connu une progression de l'emploi dans l'industrie selon l'étude intitulée "L'étonnante disparité des territoires industriels". Elles sont principalement situées dans le Sud et à l'Ouest. À l'inverse, c'est dans le Nord-Est que les dégâts de la grande crise sont les plus visibles avec des baisses proches de 20% sur seulement six années, sans compter toutes les destructions d'emploi depuis des décennies.

Variation de l'emploi industriel entre 2009 et 2015

Au niveau national, la part de l'industrie dans la valeur ajoutée entre 1980 et 2018  a clairement chuté pour passer de 29% à 16% selon de récentes données de la Banque mondiale. En parallèle, l'industrie a détruit près de 2,2 million d'emplois, réduisant ces effectifs de 43% sur la même période, selon de récents chiffres cités par l'Observatoire français des conjonctures économiques dans l'ouvrage consacrée à "L'économie française en 2020". En outre, le poids de l'emploi industriel dans l'emploi marchand est passé de 29,2% en 1980 à 14,6% en 2018.

L'appareil industriel a ainsi connu "sa pire chute d'activité depuis la Seconde Guerre mondiale, perdant près de 10% de sa valeur ajoutée au cours des années 2008-2009", ajoutent les économistes de l'observatoire rattaché à Sciences-Po Paris. Outre les délocalisations massives vers des pays à bas coût, de nombreux industriels ont  externalisé une partie de leurs services chez des sous-traitants implantés dans le tertiaire. La branche des services aux entreprises a connu une expansion majeure depuis le début des années 1980.

"Les activités scientifiques, et techniques, services administratifs et de soutiens ont crée de plus de 2,8 millions d'emplois, soit une hausse de 181%, sous l'effet notamment du recentrage des activités industrielles sur leur coeur de métier", soulignent les auteurs de l'ouvrage précité.

Des conditions macroéconomiques indispensables au dynamisme de l'emploi

L'un des enseignements important de cette étude est que la variation de l'emploi industriel est d'abord déterminée par des conditions macroéconomiques favorables. La composante nationale explique environ 52% des variations locales de l'emploi dans l'industrie. Les chercheurs citent entre autres la productivité dans l'industrie, la concurrence internationale ou les structures de dépenses des consommateurs.

En outre, les conditions locales peuvent également être des facteurs déterminants pour la santé de l'emploi dans des territoires fortement industrialisés. La qualité des infrastructures de transport, le prix du foncier, la disponibilité de la main d'oeuvre, le climat, la géographie, la présence d'établissements d'enseignement supérieur ou de centres de recherche sont cités par les économistes. L'effet local comme la forte spécialisation sectorielle explique des variations d'emploi dans 122 zones d'emploi (environ 40% de l'échantillon ). "Les zones à effet local positif se retrouvent le plus souvent à l'ouest, dans le sud et en Rhône-Alpes, tandis que celles qui présentent un effet local négatif sont majoritairement localisées dans le nord et le centre de la France" expliquent les auteurs de la note.

Des villes moyennes dynamiques

Loin des représentations binaires entre les espaces métropolitains supposés "gagnants de la mondialisation" et les territoires périphériques perçus comme pénalisés, les chercheurs rappellent que de nombreuses villes moyennes comme Vitré en Bretage ou Cholet dans les Pays de la Loire ont su tirer leur épingle du jeu en s'approchant du plein emploi. Plusieurs déterminants peuvent expliquer ce dynamisme de l'emploi territorial. Pour ces spécialistes de l'économie territoriale, "le meilleur prédicteur de l'emploi industriel semble être la performance industrielle des territoires alentours [...] Un territoire prospère stimulerait donc non seulement la demande en services de proximité chez ses voisins, mais aussi l'industrie (fournisseurs, sous-traitants)".

Les territoires d'industrie, une réponse suffisante à la crise ?

Le gouvernement a lancé en novembre 2018 le dispositif des 144 territoires d'industrie bénéficiant d'un appui spécifique de l'Etat et des collectivités locales. Sous la coupole du Grand Palais, le Premier ministre Edouard Philippe, accompagné de plusieurs ministres, avait lancé en grande pompe cette initiative au moment du salon de l'industrie du futur devant un parterre de chefs d'entreprise et de décideurs.

Un an après, la conjoncture s'est fortement dégradée. La plupart des grandes économies de la zone euro frôlent les récessions techniques dans le secteur industriel. Et si la France tente de résister en raison justement d'un poids plus faible de l'industrie et d'une moindre exposition au ralentissement du commerce mondial, les dernières enquêtes de conjoncture n'annoncent pas de perspectives vraiment optimistes. La plupart des instituts de statistiques ont revu à la baisse leurs prévisions de croissance de l'économie française pour 2020.

> Lire aussiLes territoires d'industrie, l'autre réponse à la crise des "Gilets jaunes"