Industrie : Fillon se trompe sur Thatcher sans sourciller

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  765  mots
François Fillon, qualifié au second tour de la primaire de la droite et du centre, n'a pas une vision très claire des mandats de son modèle : Margaret Thatcher.
[Fact-checking] François Fillon, adepte du modèle thatchérien, assure que la dame de fer n'a pas contribué au déclin de l'industrie outre-Manche. Elle aurait même "inversé la tendance", selon ses dires. Une affirmation fausse.

L'amour rend aveugle, c'est bien connu. La passion de François Fillon pour la dame de fer n'a pas échappé aux médias. Libération a publié un morphing (mélange des portraits) des deux ex-Premier ministres en Une mardi, quand le Canard Enchaîné titre ce mercredi : "Fillon : 'Moi, je vais nettoyer la France au Thatcher !'" Pourtant, le candidat du second tour de la primaire de la droite et du centre n'a pas une vision très claire des mandats de son modèle.

Interrogé sur la politique industrielle de Madame Thatcher, ce mercredi matin sur Europe 1, François Fillon l'a défendue sans sourciller :

"Quand [Margaret Thatcher] est arrivée, la Grande-Bretagne était par terre, on ne travaillait pas, les syndicats étaient tout puissants et l'industrie britannique s'en allait par pans entiers. Madame Thatcher a inversé la tendance, elle a remis l'Angleterre au travail, remis les syndicats à leur place. Aujourd'hui, les gouvernements britanniques profitent du travail qu'a fait madame Thatcher."

À l'origine du grand mouvement de dérégulation financière des années 1980, en duo avec le président américain, Ronald Reagan, Margareth Thatcher a-t-elle aussi réindustrialisé son pays ? La réponse est non.

Le déclin de l'industrie britannique

En 2013, le Guardian a publié 15 graphiques sur les années Thatcher. Selon les données de l'ONS (l'Insee britannique), l'industrie avait effectivement commencé son déclin avant l'arrivée au pouvoir de la dame de fer, mais, loin de s'inverser, cette tendance s'est accentuée sous ses trois mandats. En effet, de 17,6% du PIB lors de son arrivée en 1979, l'industrie ne représentait plus que 15,18% du PIB à son départ en 1990. Sur le long terme, la tendance s'est poursuivie.

Certes, la tertiarisation de l'économie britannique contribue à cet état de fait. C'est justement tout le choix du gouvernement Thatcher. Dès son arrivée au pouvoir, la dame de fer a entamé "un changement de paradigme avec un tournant libéral", explique Catherine Mathieu, économiste à l'OFCE, spécialiste du Royaume-Uni. "Margaret Thatcher a décidé de laisser faire le marché, autrement dit de laisser l'industrie face à la libre concurrence, et s'est concentrée sur le développement des services financiers", poursuit-elle.

Délaissé, le secteur secondaire a poursuivi sa chute. La part des emplois industriels n'a fait que baisser sous Thatcher. Représentant un quart de l'ensemble des emplois au Royaume-Uni en 1979, ils ne pèsent plus que 16% à son départ en 1990. Au total, ce sont près de deux millions d'emplois en moins.

La politique de Thatcher, une des raisons du Brexit

Le secteur secondaire n'est pas le seul à avoir souffert des années Thatcher. Le sort de l'extraction minière est également un symbole de cette période. Alors que la filière était déjà sur le déclin, Margaret Thatcher porte le coup de grâce en annonçant un plan de fermetures de 20 mines en 1984. Les grèves qui s'en suivirent et la brutalité de leur traitement par le gouvernement restent des éléments marqueurs de cette période. Au total, les emplois dans l'industrie minière ont été divisés par cinq entre 1980 et 1990.

La tertiarisation de l'économie ne permet pas de combler ce décrochage de l'industrie et de l'extraction minière, montrant ainsi les limites de la destruction créatrice voulue par la dame de fer. Ses mandats sont d'ailleurs marqués par un pic du chômage à 11,9% en 1984. "Les premières années, elle a plongé le pays dans la récession", anaylse Catherine Mathieu de l'OFCE, rappelant aussi l'impact des chocs pétroliers. "La politique de François Fillon donnerait les mêmes résultats, avec l'augmentation de la TVA promise."

D'une manière générale, les inégalités se sont creusées en Grande-Bretagne dans les années 1980. Un cinquième de la population vit avec un revenu inférieur à 60% du revenu médian lorsqu'elle quitte le 10, Downing Street.

Résultat, un fossé s'est creusé entre les régions. Londres et le Sud-Est du pays bénéficient du développement des services financiers. À l'inverse, les régions des anciennes industries et des mines affichent les plus fabiles revenus par habitant et les plus hauts taux de chômage aujourd'hui. "Des régions traditionnellement travaillistes, qui ont finalement voté pour le Brexit", souligne Catherine Mathieu de l'OFCE. "Ceux qui ont voté pour la sortie du Royaume-Uni de l'UE, ce sont ceux qui ont le plus perdu du choix de la libéralisation de l'économie britannique."

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