Inscrire le climat dans la Constitution, une fausse bonne idée ?

Par Dominique Pialot  |   |  1166  mots
Faut-il inscrire les objectifs climatiques dans la Constitution ou dans la Charte de l'environnement ? (Crédits : Charles Platiau)
Défendu de longue date par certains défenseurs de l’environnement tels que Pascal Canfin, l’ajout des objectifs climatiques à la Constitution est l’une des évolutions prévues par le gouvernement dans le cadre de la réforme à venir des institutions.

Pascal Canfin et Cécile Duflot sont-ils sur le point de remporter leur bataille ? C'est en juillet 2015, quelques mois après avoir quitté le gouvernement à l'arrivée de Manuel Valls à sa tête, que les deux anciens ministres avaient publié dans le journal Libération une tribune réclamant l'inscription des objectifs climatiques dans la Constitution. Or, cela figure dans le projet de révision que le Premier ministre doit présenter ce 6 mars aux chefs de file des parlementaires.

En amont de la COP21 qui s'est tenue à Paris en décembre 2015, puis à nouveau à la veille du One Planet Summit organisé en décembre dernier par Emmanuel Macron, l'inventeur du "Make our planet great again", le directeur général du WWF avait fait valoir ses arguments pour réviser un corpus de textes dans lequel le climat n'apparaît nulle part.

La Charte de l'environnement déjà dans le bloc de constitutionnalité

La Constitution regroupe les principaux textes de lois français. Mais depuis son adoption le 4 octobre 1958, elle a heureusement été complétée de textes divers, dont certains ont été inscrits dans le "bloc de constitutionnalité", ce qui leur confère la même valeur qu'à ceux figurant directement dans la Constitution. Parmi ces textes, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais aussi la Charte de l'environnement adoptée par Jacques Chirac en 2004.

Le terme « climat » ne figure pas non plus en tant que tel dans cette charte, mais il y est implicite, estime Arnaud Gossement, avocat spécialisé en environnement..

En effet, la Charte de l'environnement énonce dans son article premier que "chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé". Et l'article 6 stipule que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable ».

"Or, la lutte contre le changement climatique relève clairement d'une politique de développement durable", observe Arnaud Gossement.

Qu'apporterait donc de plus le changement de Constitution demandé notamment par Canfin et Duflot ? Selon ses promoteurs, il permettrait de s'assurer que les politiques publiques concourent à la lutte contre le changement climatique et rendrait l'accord de Paris contraignant.

"Il permettrait, par exemple, d'interdire tout retour en arrière concernant la baisse des énergies fossiles prévues dans la loi de transition énergétique", assure Pascal Canfin.

Pour Canfin, l'exigence de préservation de l'environnement doit être clairement indiquée

Pour Arnaud Gossement, "la France est déjà engagée par l'article 55 de sa Constitution à respecter ses engagements internationaux", rappelle-t-il. Et l'article 10 de la Charte de l'environnement précise : "La présente Charte inspire l'action européenne et internationale de la France." Dans ses rapports de droit international, la France doit donc défendre, puis appliquer l'exigence de préservation de l'environnement au sens large.

Mais pour Pascal Canfin, l'article ou la phrase retenu(e) doit être suffisamment précis pour être invoqué de manière opérationnelle par le Conseil constitutionnel lorsqu'il juge une loi. Lors du projet de loi mettant fin à la recherche et à l'exploitation d'hydrocarbures adopté en décembre dernier, "face à la liberté d'entreprendre ou au droit à la propriété privée, faute de cette inscription explicite, le Conseil constitutionnel ne pouvait reconnaître au climat le caractère d'intérêt général", rappelle l'ancien ministre. Dans le cas contraire, peut-être Nicolas Hulot aurait-il pu fixer plus facilement une date couperet à la fin des hydrocarbures en France.

Les ambiguïtés de l'article 34

En l'inscrivant à l'article 34 comme cela est prévu, celui qui fixe les missions du législateur, la volonté est de placer le climat "au cœur du réacteur", observe l'avocat, qui craint que la formule soit nécessairement soumise à interprétation, et pose plus de questions qu'elle n'en résoudrait. "Qu'est-ce qui devrait précisément figurer dans la loi ? s'interroge-t-il. L'objectif de 2°C ? Quid dans ce cas des principes de réciprocité si les autres Etats ne respectent pas cet objectif ?"

Pour Pascal Canfin non plus, l'article 34 n'est pas nécessairement le meilleur endroit pour accueillir cette évolution.

"Il ne faudrait pas que cela se limite à un simple effet d'annonce, prévient-il. Si l'on se contente de préciser que les questions climatiques relèvent de la loi, on le sait déjà avec la loi de transition énergétique, le facteur 4 ou le Grenelle de l'environnement."

Pour que cet ajout présente une vraie valeur ajoutée et puisse être opérationnel, il préconise une formule telle que "les politiques publiques concourent à la lutte contre le changement climatique."

Une hiérarchisation regrettable des objectifs environnementaux

Arnaud Gossement est contre l'inscription dans la Constitution mais pour une autre raison : elle créerait une hiérarchie entre les choses sérieuses figurant directement dans la Constitution (le climat), et les autres (protection de la nature, souci des écosystèmes, droit des génération futures, etc.), reléguées dans la seule Charte de l'environnement. Ce qui serait pour Arnaud Gossement particulièrement dommageable. C'est pourquoi il préconise plutôt d'ajouter le climat à la Charte de l'environnement.

Pascal Canfin n'a rien contre. "Ce qui me tient à coeur, c'est qu'elle figure dans le bloc de constitutionnalité." Peu lui importe que ce soit dans l'article 6 de la Charte ou dans le préambule de 1958. Quant à ne pas reléguer la biodiversité au second rang, il suggère de faire précéder la mention du climat des mots "Dans le respect de la biodiversité,..."

Il est vrai que l'argument climat a pu être utilisé pour défendre des décisions désastreuses pour l'environnement, comme dans le cas de la pêche électrique qui, plus efficace, permettrait de réduire la consommation des navires en carburant, donc leurs émissions de gaz à effet de serre. Cette pré-éminence donnée au climat sur les autres enjeux environnementaux, tels que la biodiversité, "reflète une maturité politique nettement plus forte sur le sujet", reconnaît le dirigeant du WWF.

Droit et pensée magique

Mais c'est plus largement à l'égard du droit et de ses pouvoirs que l'avocat, paradoxalement, se montre méfiant. "De façon générale, je suis sceptique quant à la sacralisation du droit en matière d'environnement", déclare-t-il.

"Penser qu'hier on n'avait aucun outil juridique et que demain tout deviendrait possible grâce à cette évolution de la Constitution, c'est de la pensée magique, dénonce-t-il. Au-delà du droit, c'est de concret qu'il faut parler, de finances, d'économie, de culturel", insiste-t-il.

Les promoteurs de cette évolution ne nient pas la part de symbole consistant à intégrer la mise en œuvre de l'Accord de Paris dans l'ADN de la République française. "Au minimum, ce sera une avancée symbolique, mais est-ce que ce sera opérationnel?" s'interroge ainsi Pascal Canfin.

Autrement dit, cela ira-t-il au-delà du coup de comm' dans l'esprit du "Make our planet great again" ? On devrait en savoir plus d'ici à l'envoi du projet de texte au Conseil d'État à la mi-mars.