La baisse des charges au-dessus de 1,6 SMIC critiquée par des économistes

Par Grégoire Normand  |   |  812  mots
Dans l’industrie, le coût horaire moyen en France est désormais inférieur à celui de l’Allemagne (38,8 contre 40,20 euros en 2017) rappelle le CAE. (Crédits : MATTHIAS RIETSCHEL)
Trois économistes du Conseil d'analyse économique (CAE) défendent un allègement des cotisations ciblé sur les bas salaires dans une note rendue publique le 15 janvier.

Faut-il accentuer les diminutions de cotisations sociales sur les salaires intermédiaires? Voici une question qui pourrait alimenter les discussions lors du grand débat pendant les prochaines semaines. Le gouvernement prévoit en effet de transformer le crédit d'impôt sur la compétitivité emploi (CICE) en baisse de cotisations le 1er octobre prochain. Si le CICE est loin de faire l'unanimité, sa transformation en baisses de cotisations sociales pérennes pourrait encore représenter un manque à gagner considérable pour les finances publiques. Pour 2019, le coût annuel de l'ensemble des baisses de charges pour le trésor public est estimé à 60 milliards d'euros pour une efficacité parfois remise en cause.

Pour le patron de l'organisme en charge de conseiller le gouvernement sur les questions économiques, Philippe Martin, "on peut espérer que cette transformation ait un impact favorable sur l'emploi. Elle devrait être mieux comprise par les entreprises comme une baisse du coût du travail", ajoutant que "c'est Bruno Le Maire qui s'est posé la question de l'efficacité des baisses de charges". Mais "comme toutes les cotisations patronales auront été éliminées au niveau du Smic à la fin de 2019, cette stratégie de réduction du coût du travail a trouvé sa limite", ont constaté les économistes Yannick L'Horty, Philippe Martin et Thierry Mayer, auteurs du document.

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Baisse des charges sur les bas salaires : un impact positif sur l'emploi

L'organisation plaide pour des réductions de cotisations plus ciblées. Dans leurs travaux, les auteurs expliquent que "les baisses du coût du travail, lorsqu'elles ne se font pas sous la forme d'un crédit d'impôt et lorsqu'elles sont concentrées sur les bas salaires, ont bien un impact positif sur l'emploi", selon la note du groupe de réflexion, publiée mardi et intitulée "Baisses de charges : stop ou encore?".

En revanche, les chercheurs indiquent que "les baisses de cotisations sociales sur les salaires plus élevés (au delà de 1,6 Smic) n'ont pas encore fait la preuve de leur efficacité : nous ne trouvons pas d'impact positif sur les exportations alors qu'elles étaient en grande partie motivées par un objectif de compétitivité."

Le CICE remis en cause

Les trois économistes se montrent très critiques à l'égard du CICE mis en place sous François Hollande. "Avec la mise en œuvre du CICE, les travaux d'évaluation du Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP) et du laboratoire de recherche Travail, emploi et politiques publiques (TEPP) commandés par France Stratégie convergent pour indiquer une faible efficacité en termes d'emplois créés, avec des élasticités d'un niveau faible voire nul." Ils ajoutent que cette enveloppe aurait ainsi été redistribuée "en partie sous forme de hausses des salaires, au bénéfice surtout des cadres, des professions intellectuelles supérieures et des professions intermédiaires," passant ainsi à côté des promesses d'embauches exprimées par l'ex-président socialiste.

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Une compétitivité-prix meilleure

La France fait partie des pays européens où le coût salarial est relativement élevé par rapport à ses voisins européens. Il s'est établi en 2017 à 36 euros en moyenne contre 34,1 euros en Allemagne et 30,3 euros dans l'ensemble des pays de la zone euro. "Ce constat occulte cependant de nombreuses hétérogénéités", rappellent tout de même les experts. "Dans l'industrie, le coût horaire moyen en France est désormais inférieur à celui de l'Allemagne (38,8 euros contre 40,20 euros en 2017), tandis qu'il est nettement plus élevé en France dans le secteur des services et dans la construction", ajoutent-ils. Malgré ces disparités, les économistes notent une amélioration de la compétitivité-prix en France.

"La compétitivité-prix de la France s'est fortement dégradée entre 2000 et 2008, en particulier vis-à-vis de l'Allemagne, ce qui explique en grande partie les mauvaises performances à l'exportation sur cette période. Depuis cette date, et surtout depuis 2013, la compétitivité-coût s'est améliorée, en partie du fait d'augmentations de salaire plus élevées en Allemagne qu'en France et du fait des politiques de baisses du coût du travail en France."

En revanche, la compétitivité hors-prix (qualité des produits à l'export, par exemple) des entreprises exportatrices demeurent toujours un point faible régulièrement souligné par les spécialistes. Sur ce sujet, "les économistes n'ont pas beaucoup de solutions à apporter", a signalé Philippe Martin lors de la conférence de presse, rappelant "qu'il existait peu d'études sur ce thème". Pourtant, les mauvais chiffres du commerce extérieur français rappellent régulièrement que cet enjeu demeure un point noir de l'économie tricolore.

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