Cotisations sociales : la Cour des comptes fustige le laxisme face aux entreprises qui fraudent

Par Audrey Fisne  |   |  1651  mots
Aujourd'hui encore, force est de constater que, ce soit dans les URSSAF, à la MSA ou dans les services fiscaux, les agents de contrôle n'ont pas accès aux mêmes ressources. (Crédits : Reuters)
Pénurie de moyens, "absence persistante de contrôles", sans parler de la faiblesse des sanctions quand il y en a... la Cour des comptes dresse un véritable réquisitoire contre le gouvernement dans la manière dont il mène la lutte contre la fraude aux cotisations sociales et donc contre le travail illégal. Les fraudeurs visés sont tant des entreprises du secteur privé que l'Etat employeur lui-même! Et leurs critiques ciblent l'inefficacité chronique des services de recouvrement tels l'Urssaf, l'Agirc-Arcco, la sécu agricole (MSA), etc. Bref, ce sont « des dizaines de milliards d'euros de cotisations sociales qui sont peu ou pas contrôlées », fustigent les Sages de la rue de Cambon.

D'un montant de près de 400 milliards d'euros, les cotisations sociales représentent 61,4% du financement de la protection sociale. Une place prépondérante donc, qui explique encore plus la nécessité de lutter contre les fraudes. La Cour des comptes, dans son rapport rendu public ce mercredi 7 février, se montre critique quant à la politique menée en matière de lutte contre les fraudes. L'administration a regroupé dans une quarantaine de pages, ses constats et ses recommandations, adressés à l'État français. Retour sur les recommandations de la Cour des comptes.

■ Une meilleure harmonisation des moyens juridiques

La Cour des comptes l'avait déjà remarqué en 2014, les moyens juridiques alloués aux agents chargés du contrôle de cotisation et leur recouvrement sont inégaux. De nouveaux risques de fraude étaient à rapprocher des évolutions technologiques (dont Internet) et économiques. Aujourd'hui encore, force est de constater que, ce soit dans les URSSAF, à la MSA (la Sécurité sociale agricole) ou dans les services fiscaux, les agents n'ont pas accès aux mêmes ressources. À l'Urssaf, notamment, la Cour regrette que « les méthodes les plus modernes en termes de ciblage des contrôles sont restées pour l'essentiel au stade de l'expérimentation ». Un décalage d'autant plus remarquable que les moyens des services fiscaux ont été complétés ces dernières années dans le cadre de la loi de lutte contre la fraude et la grande délinquance économique et financière, adoptée en 2013.

Le cas des menaces de fraudes, liées au travail détaché, de plus en plus présent en France (110.000 en 2010 et 286.000 en 2015) est également évoqué par la Cour des comptes. Si celle-ci salue le « renforcement de l'arsenal juridique » visant à prévenir ou à réprimer les fraudes possibles (déclaration obligatoire, amende administrative en cas de manquement, responsabilité sociale et solidaire des maîtres d'ouvrages et des donneurs d'ordre, instauration d'une carte d'identification professionnelle dans le bâtiment et des BTP), la Cour regrette la portée limitée des dispositifs. De plus, elle craint qu'avec la suppression du RSI, au 1er janvier 2018, une nouvelle période de transition ait lieu, conduisant à un affaiblissement du contrôle des cotisations dues.

D'autre part, la Cour des comptes encourage à davantage d'échanges de moyens juridiques entre les agents chargés du contrôle et du recouvrement des cotisations sociales et de ceux dont disposent les services fiscaux. Le rapport précise :

« Alors que la coopération inter-administrative représente une voie majeure d'amélioration de l'efficacité, celle-ci n'a pas encore de caractère systématique. »

■ Une augmentation des contrôles comptables et des actions de lutte contre le travail illégal

C'est une nouvelle recommandation cette fois. La Cour des comptes encourage de multiplier le nombre et la fréquence des contrôles comptables et des actions de lutte contre le travail illégal menés par les Urssaf et les caisses de la MSA. Une recommandation qui s'appuie sur des constats chiffrés puisque la Cour rappelle que le nombre de contrôles comptables d'assiette effectués par les Urssaf ont diminué, de même pour les actions ciblées de lutte contre le travail illégal et des recettes liées à l'activité de contrôle. Or, « seules 107 peines de prison ferme ont été infligées pour travaille illégal en 2015 », regrette la Cour des comptes. « Et le montant moyen des amendes prononcées par le juge, certes plus nombreuses (2.162 en 2016) ne dépassait pas 2.000 euros. »

L'activité de contrôle à la MSA a également connu un ralentissement entre 2013 et 2016. Un regret dans « un contexte de crises agricoles récurrentes », assure la Cour des comptes.

Avec un manque de moyens juridiques dans certaines entités, la Cour des comptes relève un paradoxe en rappelant que « l'efficacité des actions de contrôle constitue un enjeu important pour les finances » mais que, si les pouvoirs publics affichaient une volonté de les renforcer, celle-ci n'était pas traduite par une augmentation suffisante du côté des contrôles menés et de leurs résultats.

La Cour des comptes regrette d'autre part, la réduction des effectifs à l'Urssaf se consacrant à la lutte contre le travail illégal (passés de 156 en 2014 à 170 à 2016). L'inégale répartition des effectifs est également critiquée par la Cour des comptes qui compare, en exemple, la Corse avec moins d'une dizaine d'agents et l'île-de-France qui en regroupe plus de 300 (pour un total de 1.600 emplois en tout). Du côté des agriculteurs, il est rappelé :

« La MSA n'a pas non plus revu son organisation. Ses faibles effectifs de contrôleurs sont dispersés parmi 35 caisses locales. »

■ La mise en place d'un contrôle par les Urssaf des cotisations aux régimes complémentaires obligatoires de retraite des salariés

Et sur ce point, la Cour des comptes persiste et signe. Ce n'est pas la première fois qu'elle recommande ce contrôle « sans délai » et avec « un calendrier précis de réalisation » demande-t-elle.

« Des dizaines de milliards d'euros de cotisations sociales sont peu ou pas contrôlées », indique la Cour des comptes.

Plus particulièrement, l'administration regrette « l'absence persistante de contrôle des cotisations AGIRC-ARRCO ». En 2016, ces cotisations aux régimes complémentaires de salariés du secteur privé ont représenté pas moins de 71,2 milliards d'euros. La loi de financement pour 2007 prévoit la mise en œuvre du contrôle de celles-ci par les URSSAF. Or « celui-ci n'a connu aucun progrès, en dépit des engagements pris par l'ACOSS (Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale) d'un début d'expérimentation avant la fin 2017 ».

Une explication peut peut-être venir de l'absence de consensus, soulevé dans le rapport, entre les différents organismes (de retraite complémentaires et de régime général). Et ce notamment sur les modalités que devraient prendre les contrôles des Urssaf.

« Dix ans après la loi qui en a fixé le principe, les pouvoirs publics restent, pour leur part, attentistes et ne se sont pas employés à surmonter ces blocages persistants », condamne la Cour des comptes.

■ La régularisation de l'ensemble des cotisations dues par l'État et une politique de contrôle de l'État employeur

La Cour des comptes prie l'État de régulariser « sans délai » ses cotisations dues au titre des collaborateurs occasionnels du service public, (soit environ 48.000) sous peine, ajoute-t-elle, de pénalités de retard.

« Le contrôle par les URSSAF des cotisations dues par l'État employeur apparaît singulièrement limité et même à la limite de l'inexistence », critique le rapport.

Ainsi, la Cour note la nécessité de définir une politique de contrôle régulier de l'État employeur. L'administration déplore :

« Bien que la loi de financement pour 1999 ait assimilé ces collaborateurs occasionnels à des salariés et prévu leur affiliation au régime général, aucune cotisation n'a été versée sur les rémunérations réglées aux collaborateurs occasionnels du ministère de la Justice entre 2000 et 2016, malgré les recommandations réitérées de la Cour. »

Pour la Cour des comptes, ce défaut d'acquittement des cotisations fait peser un « risque financier sur l'État » qu'elle estime à environ 500 millions d'euros.

« De façon plus générale, c'est l'ensemble du contrôle à l'égard de l'État employeur qui apparaît anormalement défaillant. »

La réponse du gouvernement

En réponse au document de la Cour des comptes, le gouvernement a apporté plusieurs précisions, point par point.

  • Concernant le manque d'échange d'informations entre les organismes, les ministères de la Santé et des solidarités et de l'Action et des comptes publics indiquent que la mise en place de procédures communes entre l'ACOSS et la DGFIP devrait être privilégiée. « Des travaux sont engagés avec l'administration fiscale afin de généraliser ce type d'échanges », assure une communication commune des ministères. Dans la même idée de mutualisation des actions, le gouvernement ajoute que dans le cadre de la future convention d'objectifs et de gestion 2018-2021, « l'État souhaite que l'ACOSS définisse les situations nécessitant un traitement interne du recouvrement forcé et celles pouvant donner lieu à une externalisation ».
  • Pour la lutte contre le travail dissimulé, le gouvernement assure que de nouveaux outils applicables spécifiquement ont été créés dans la LFSS pour 2017.
  • Concernant les résultats des contrôles comptables d'assiette, le gouvernement ne peut que dresser le même constat que la Cour des comptes. Il regrette « la diminution du produit des contrôles » et cite plusieurs actions à venir, censées rectifier le tir : une prochaine COG entre l'Etat et l'ACOSS pour « améliorer l'efficience et la performance » ; la mise en place de nouveaux outils mis en œuvre en 2018 ; des nouvelles modalités d'investigation telles que l'exploitation des données et la déclaration sociale nominative... Une tentative de réponse à la critique du manque des moyens, formulée par la Cour des comptes.
  • Pour les cotisations AGIRC-ARRCO, l'Etat compte sur l'extension prévue en 2019 des allègements généraux aux cotisations de retraite complémentaire pour garantir une unicité de procédure et rappelle qu'un dispositif d'animation associant AGIRC-ARRCO et ACOSS est organisé depuis septembre 2017.
  • D'autre part, le gouvernement rappelle que le CICE, dont la Cour des comptes dénonce l'absence de contrôle, est amené à être supprimé dès le 1er janvier 2019.
  • Concernant l'État employeur, les ministères expliquent que des travaux de grandes ampleurs seront engagés pour s'assurer de l'intégration des collaborateurs occasionnels de service public dans son système d'information de gestion des ressources humaines.

Beaucoup de promesses et réponses, qui seront, sans nul doute suivies par la Cour des comptes, dans les mois à venir. L'avenir dira si les dispositions ont été prises.