La fiscalité sur l'héritage, ligne de fracture gauche-droite à la présidentielle

Par Grégoire Normand  |   |  1200  mots
" Parce qu’il est extrêmement concentré, l’héritage nourrit une dynamique de renforcement des inégalités patrimoniales dont l’ampleur est beaucoup plus élevée que celles provenant des revenus du travail", expliquent les économistes du conseil d'analyse économique dans une note dévoilée en décembre 2021. (Crédits : Reuters)
Le président candidat Macron a proposé un relèvement des seuils d'abattement pour les droits de succession en ligne directe de 100.000 euros à 150.000 euros. En suggérant cette réforme fiscale, le chef de l'Etat a ravivé le débat sur ce sujet hautement explosif entre les candidats de droite et de gauche à la présidentielle. Tour d'horizon de la myriade de propositions des principaux candidats à l'Elysée sur les droits de succession réglés au décès d'une personne et les donations du vivant.

De Jean-Luc Mélenchon à Anne Hidalgo en passant par Emmanuel Macron, Valérie Pécresse ou Marine Le Pen, l'ensemble du spectre des candidats à la présidentielle a multiplié les propositions sur la fiscalité de l'héritage ces dernières semaines. Il faut dire que la fiscalité sur le patrimoine est un sujet hautement débattu. "Les Français surestiment souvent la fiscalité sur l'héritage. Cette fiscalité est relativement moins connue des Français [...] Le principe même de cette taxe peut être assimilé aux yeux de certains comme 'une taxe sur la mort'. Pour un économiste, c'est avant tout une taxation sur le patrimoine", a expliqué l'économiste et président du conseil d'analyse économique (CAE) Philippe Martin interrogé par La Tribune.

Cette instance rattachée au Premier ministre a dévoilé une note à la fin du mois de décembre dernier intitulée "Repenser l'héritage" qui a fait grand bruit. Après plus de deux années de travail, les économistes soulignent que "le système de taxation successoral français est mité par des dispositifs d'exonération ou d'exemption qui réduisent très significativement la progressivité de l'impôt au bénéfice des plus grandes transmissions".

Pour parvenir à une fiscalité plus progressive, "il faut s'attaquer aux niches fiscales" poursuit Philippe Martin. Dans un entretien accordé à La Tribune fin 2021, l'économiste spécialiste des inégalités mondiales, Thomas Piketty, soulignait que "du point de vue du patrimoine, la répartition reste très limitée. Les 50% les plus pauvres dans un pays comme la France vont posséder moins de 5% du patrimoine total. Au 19ème siècle, c'était seulement 2%. Il y a eu une progression mais cela reste très modeste".

L'économiste, auteurs de nombreux ouvrages aux succès planétaires, plaide pour une fiscalité sur l'héritage "plus progressive" et la mise en place d'une dotation en capital de 120.000 euros à 18 ans. "Actuellement, compte tenu de l'extrême concentration, les 50% les plus pauvres ne reçoivent quasiment rien, alors que parmi les 10% les plus riches, certains jeunes adultes héritent de plusieurs centaines centaines de milliers d'euros et d'autres de plusieurs millions d'euros. Avec le système proposé ici, chaque jeune adulte peut commencer sa vie personnelle et professionnelle avec un capital égal à 60% du patrimoine moyen, ce qui offre des possibilités nouvelles pour acquérir un logement ou financer un projet de création d'entreprise", souligne l'économiste dans son ouvrage Capital et idéologie (éditions du Seuil).  Face à ces inégalités persistantes, tour d'horizon de la myriade de propositions des candidats à l'Elysée.

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Macron défend une hausse des seuils d'abattement

Lors de sa présentation à la presse de son programme jeudi dernier, le président candidat Macron a fait des propositions sur les droits de succession, sujet hautement explosif dans l'Hexagone. "Les droits de succession seront modifiés, pour prendre en compte l'évolution des prix de l'immobilier en ligne directe en passant de 100 à 150.00 l'abattement, mais surtout, en prenant en compte la transformation des familles, des usages, des pratiques, et en créant un abattement pour les lignes indirectes, pour les neveux, nièces, petits-enfants, et enfants de conjoints", a déclaré le chef de l'Etat devant près de 300 journalistes. Cette hausse de l'abattement entraînerait mécaniquement un nombre plus important de successions concernés par cette réforme importante annoncée par le chef de l'Etat.

Un allègement de la fiscalité à droite et à l'extrême droite

A droite et à l'extrême droite, les candidats proposent pour la plupart un allègement de la fiscalité sur les successions. La candidate Les Républicains Valérie Pécresse a fait savoir qu'elle proposait une exonération de taxe sur les successions jusqu'à 200.000 euros par enfant.  L'abattement serait aussi porté à 100.000 euros pour une transmission indirecte, par exemple dans le cas où "une personne hériterait de son oncle ou de sa sœur". La présidente du Conseil régional d'Ile-de-France veut également augmenter le plafond des donations du vivant des donateurs défiscalisés. Chaque parent pourrait ainsi donner 100.000 euros tous les six ans et non plus tous les quinze ans. La mesure concernerait également "chacun des petits-enfants pour permettre le saut générationnel", et serait encore de 50.000 euros pour les neveux et les fratries.

De son côté, Marine Le Pen veut réduire les délais entre deux donations à 10 ans et les étendre aux grands-parents. Elle propose aussi d'exonérer de droits de succession les biens immobiliers jusqu'à 300.000 euros "pour favoriser l'enracinement et la transmission". Eric Zemmour souhaite, lui, supprimer les droits de succession sur les transmissions d'entreprises familiales. Enfin Nicolas Dupont-Aignant, candidat de Debout la France, a suggéré de supprimer les droits de succession sur la résidence principale.

A gauche, une hausse de la taxation sur les plus grandes fortunes

Sans surprise, la plupart des candidats à gauche se positionnent en faveur d'une hausse des droits de succession sur les plus hautes fortunes. La candidate du parti socialiste (PS) Anne Hidalgo met sur la table une baisse des droits de succession "pour 95% des Français", avec un seuil d'exonération relevé à 300.000 euros contre 100.000 euros aujourd'hui, et une augmentation des droits sur les hautes successions de plus de 2 millions d'euros", sans toutefois préciser à quel taux celles-ci seraient taxées.

De son côté, le chef de file de la France insoumise Jean Luc Mélenchon, dans son programme Un avenir en commun, a dévoilé ses propositions en matière de fiscalité sur l'héritage. Il promet de rendre la fiscalité sur les donations et les successions "plus progressive". Il veut ainsi augmenter la fiscalité sur "les droits de succession sur les plus hauts patrimoines en comptabilisant l'ensemble des dons et héritages reçus tout au long de la vie et créer un héritage maximal de 12 millions d'euros".

Au siège du Parti communiste français place du colonel Fabien dans le nord est parisien, le candidat Fabien Roussel qui a présenté son programme le 24 janvier dernier plaide "pour augmenter les droits de succession sur les patrimoines les plus élevés et pour leur allègement s'agissant des familles modestes. Il faut en finir avec ces niches fiscales". En revanche, il dit ne pas vouloir mettre en place de droits de succession en dessous du seuil de 118.000 euros.

Enfin, le candidat écologiste Yannick Jadot défend une fiscalité en appliquant des bonus et des malus sur les successions sans vraiment apporter plus de précision. Avant de présenter son programme  à Lyon, il  a évoqué " un abattement jusqu'à 200.000 euros (contre 100.000 actuellement, NDLR), y compris sur les successions aux petits-enfants" car, selon lui, ce sont eux qui "ont plus besoin de l'héritage que les enfants". Cet abattement et le tarif de la fiscalité sur l'héritage "s'appliqueront sur l'ensemble du patrimoine hérité tout au long de sa vie, et non en distinguant droits de succession et droits de donation, remis à plat tous les 15 ans comme actuellement".

(avec AFP)