La grosse fatigue de l'armée et le général Lecointre en plein « burn out »

Par Marc Endeweld  |   |  869  mots
(Crédits : Reuters)
POLITISCOPE. Avec la tribune des miltaires, l'armée s'est invitée dans la campagne de 2022. Une armée poreuse aux idées du RN dont le mécontentement est réel et dont le "chef", le général François Lecointre est donné partant. Ce n'est peut être pas le seul changement à venir dans la Grande Muette pour reprendre l'initiative : la place de Florence Parly serait convoitée par... Manuel Valls en cas de remaniement gouvernemental après les régionales.

Ils sont plus de 5000 à avoir signé à la mi-avril une lettre évoquant une « intervention » de l'armée pour mettre fin au « délitement » de notre pays. La très grande majorité d'entre-eux sont des militaires à la retraite, souvent des gradés. Mais parmi les signataires, on trouve une vingtaine de généraux en « deuxième section », c'est-à-dire proches de la retraite qui peuvent être toujours rappelés, et même dix huit militaires d'active. C'est dire si le mécontentement couve depuis plusieurs mois au sein des forces armées.

Dans une nouvelle lettre ouverte particulièrement critique publiée en début de semaine, le général retraité Christian Piquemal, qui ne cache pas ses sympathies pour l'extrême-droite, reproche ainsi au général François Lecointre, nommé chef d'état-major des armées par Emmanuel Macron, de « ne pas parler d'égal à égal avec le pouvoir politique. » Comme si la crise de juillet 2017 qui avait vu le chef d'état-major d'alors, le général Pierre de Villiers, s'opposer à Emmanuel Macron, n'était pas totalement terminée. Cette année-là, le vote à la présidentielle des militaires s'était porté d'une manière très significative sur le RN. 40% d'entre-eux avaient alors voté pour Marine Le Pen, soit plus du double que la proportion dans l'électoral global.

Face au tollé politique suscité par la première lettre, la ministre des Armées, Florence Parly, a dû hausser le ton, tout comme le général Lecointre, qui a annoncé quelques jours plus tard « la mise à la retraite d'office » des officiers proches de la retraite, tout en expliquant que « des sanctions disciplinaires militaires » allaient être prises à l'encontre des militaires d'active. « Je considère que plus les responsabilités sont élevées, plus l'obligation de neutralité et d'exemplarité est forte », a-t-il martelé. Il faut dire que l'un des devoirs des militaires est d'obéir au pouvoir civil.

C'est donc la deuxième crise militaire que subit Emmanuel Macron. En juillet 2017, suite à la démission de Pierre de Villiers, le chef de l'Etat avait surpris son monde en nommant un général bien plus jeune que la coutume ne le réclame au poste stratégique de chef d'état-major des armées. Agé alors de 55 ans, François Lecointre était l'un des officiers les plus brillants de sa génération, présenté souvent comme un intellectuel. Un « vrai lettré », comme nous le confie un officier, très proche de l'avocat et écrivain catholique François Sureau. Le chef de l'Etat, à l'image de son « effraction » présidentielle, avait donc fait le choix de la jeunesse.

Général « Potiche »

Et pourtant : après quatre ans de bons et loyaux services, le général François Lecointre ressent, tout comme ses hommes, une grosse fatigue. « Il en a marre de servir de potiche », remarque un initié de la chose militaire. Depuis un an, le chef d'état-major des armées (cema) apparait ainsi particulièrement silencieux lors des conseils de Défense consacrés à l'épidémie de covid-19. Les réunions à l'Elysée se succèdent, mais le haut gradé ne s'exprime pas. À sa décharge, le front sanitaire n'est pas une prérogative des armées. « Il est en plein burn out », croit savoir un militaire.

À l'origine pourtant, le général Lecointre avait été séduit par le dynamisme d'Emmanuel Macron. Manifestement, comme tant d'autres, la déception l'a finalement gagné. Sur l'opération Barkhane, le cema a pourtant obtenu gain de cause auprès du président de la République, lui arrachant 500 hommes supplémentaires pour l'opération, au moment même où les critiques se multiplient sur le maintien d'un tel engagement de la France. Grosse fatigue, lassitude... Au point que le général Lecointre est donné partant : « Tout le monde le sait dans l'armée mais rien n'a été annoncé », s'étonne un initié. Plusieurs prétendants seraient d'ailleurs déjà sur les rangs pour lui succéder. Si l'armée de l'air espère récupérer le poste, le mieux placé serait l'actuel chef d'état-major de l'armée de terre, le général Thierry Burkhard, qui avait failli il y a quelques mois devenir chef d'état major particulier à l'Elysée.

À la mi-avril, quelques jours avant la polémique suscité par la tribune des militaires, le général Lecointre a tenu à se ressourcer auprès du 3e régiment d'infanterie de marine (3e Rima) lors d'une visite de commandement particulièrement symbolique. Car c'est avec les marsouins de Vannes que ce saint-cyrien a fait ses premières armes. Et c'est ce régiment qu'il finira par commander, avant de prendre la tête de la 9ème brigade d'infanterie de Marine.

Dans les prochains mois, ce n'est peut-être pas le seul changement que les armées vont connaitre. En vue d'un éventuel remaniement ministériel après les élections régionales, le poste de ministre des Armées suscite de nombreuses convoitises. L'ex-socialiste Manuel Valls, qui a amorcé son retour dans la politique française, pourrait être tenté. Cet homme d'ordre pourrait être utile à Emmanuel Macron en ces temps troublés.