Après le départ du Niger, les incertitudes françaises au Tchad

POLITISCOPE. Après s'être fait chasser en quelques mois du Mali, du Burkina Faso et maintenant du Niger, tous les regards sont aujourd'hui tournés vers le Tchad, où une partie des troupes françaises doivent se redéployer. De nombreux observateurs s'interrogent : cette présence française au Tchad peut-elle encore longtemps perdurer ?
Marc Endeweld
(Crédits : STRINGER)

Finalement, la France plie bagage au Niger. Mercredi, comme l'avait annoncé le président Macron dimanche dernier à la télévision, l'ambassadeur de France au Niger, Sylvain Itté, a quitté le pays. Dans les prochaines semaines, comme l'a également décidé Emmanuel Macron, les troupes françaises présentes au Niger vont devoir partir et se replier.

Au Sahel, la France s'est donc fait chasser en quelques mois du Mali, du Burkina Faso et maintenant du Niger. Il y a deux mois, Paris comptait pourtant jouer le rapport de force. Fin juillet, Emmanuel Macron avait ainsi vertement réagi, quarante-huit heures après le début du putsch au Niger contre le président Mohamed Bazoum, qualifiant cette action de « coup d'État parfaitement illégitime et profondément dangereux pour toute la région ».

Justement, concernant la région, tous les regards sont aujourd'hui tournés vers le Tchad. Notamment parce qu'une partie des troupes françaises présentes au Niger doivent se redéployer sur le territoire tchadien. La France y dispose encore de trois emprises militaires au Tchad, Faya Largeau au Nord, Abéché à l'Est, et la base aérienne 172 de la capitale. Jusqu'en 2022, c'est à partir du Tchad que l'opération Barkhane était déployée, le QG étant situé alors à N'Djaména, la capitale tchadienne. De fait, ces dernières années, le Tchad est devenu un symbole : celui de la continuation du « pré carré » français en Afrique, au nom de la lutte contre le terrorisme. Au vu de la situation du reste du Sahel, de nombreux observateurs s'interrogent : cette présence française au Tchad peut-elle encore perdurer durant longtemps ?

Car la population tchadienne est de plus en plus exaspérée du soutien de la France à un régime liberticide et moribond. Dans un communiqué publié jeudi de cette semaine, un regroupement de partis politiques d'opposition, d'associations, et de membres de la diaspora tchadienne donne ainsi trois mois aux forces françaises pour quitter le Tchad : « Nous nous opposons catégoriquement à la relocalisation au Tchad des forces françaises chassées et [nous refusons] que notre sol soit utilisé pour agresser les peuples frères en lutte pour leur dignité et pour loger des forces colonialistes ». En plus d'exiger le démantèlement des bases françaises au Tchad, ces partis réclament « l'arrêt immédiat de toutes les manœuvres et intimidations de la diplomatie française à l'égard des membres de l'opposition libre ».

À la lecture de ce communiqué, un opposant tchadien se demande : « Comment soutenir un régime politique qui n'arrive pas à fournir l'électricité aux habitants de la capitale ? ». Ajoutant « Au début nous avons parlé à toutes les puissances démocratiques, y compris aux Américains. Nous ne sommes ni antidémocratique ni antioccidental, mais personne ne nous a écouté. Aujourd'hui, la volonté d'en découdre coûte que coûte, avec n'importe quel appui, est forte. »

Avec n'importe quel appui... y compris venant des Russes ? Décidément, pour la France au Sahel, le scénario semble se répéter de pays en pays depuis bientôt deux ans, tel un domino. Le 17 février 2022, à quelques semaines de l'élection présidentielle, le président français avait officialisé le départ des troupes françaises du Mali dans le cadre d'un mini-sommet organisé à Paris sur le Sahel. La junte militaire désormais au pouvoir au Mali avait clairement signifié les mois précédents que les forces françaises n'étaient plus les bienvenues. L'arrivée à Bamako de mercenaires du groupe paramilitaire russe Wagner avait fini de concrétiser le divorce entre la France et le pouvoir malien. Avec ce désengagement français, Vladimir Poutine a marqué des points sur le continent africain. De fait, s'il « récuse complètement » l'idée d'un échec français au Mali, le président Macron a multiplié les erreurs en Afrique face aux Russes et aux autres pays concurrents de la France, notamment la Turquie.

La principale faute dans la région concerne sans doute le Tchad, au printemps 2021. Après la mort brutale d'Idriss Déby Itno (pas encore totalement élucidée), le chef de l'État s'est précipité à N'Djamena pour « introniser » un nouveau dirigeant en la personne de Mahamat Idriss Déby Itno. Ce dernier est le fils adoptif d'Idriss Déby Itno, issu de l'ethnie gorane (et non un Zaghawha, comme Idriss Déby Itno).

Dès le début du premier quinquennat, Emmanuel Macron avait affiché un soutien indéfectible à son père, le dictateur Idriss Déby : en octobre 2018, lors du 17e sommet de l'Organisation internationale de la francophonie, organisé à Erevan, en Arménie, Emmanuel Macron et sa femme se sont mis à danser avec Idriss Déby. Cette vidéo a beaucoup tourné sur Internet. Et début février 2019, l'armée française est intervenue contre une colonne de rebelles tchadiens faisant route vers la capitale N'Djaména. Comme l'avait révélé à l'époque Le Canard Enchaîné, les combattants de l'Union des forces de la résistance ont essuyé pendant cinq jours les raids de sept Mirage 2000. En tout, une « vingtaine de frappes » selon l'état-major.

Deux ans plus tard, le choix de Paris de soutenir une solution « familiale », accompagnant le fils Déby dans sa prise du pouvoir, a de fait amené la France à contourner la Constitution tchadienne. Selon cette dernière, le pouvoir incombait au président de l'Assemblée, mais ce dernier n'a pas voulu assurer l'intérim du fait de menaces. Or, la Constitution prévoit le cas et d'autres candidats étaient disponibles. L'Élysée a décidé de passer outre.

Cette décision au Tchad explique en grande partie la dégradation de la situation au Niger, et avant au Mali : « Les Maliens se sont dit qu'ils allaient prendre le pouvoir par eux-mêmes plutôt que d'attendre que la France leur impose quelqu'un », commentait alors un observateur. « Le coup d'État au Tchad a été le péché originel de Macron en Afrique de l'Ouest », assure désormais un autre. Ce signal au Tchad pourrait avoir des conséquences à long terme pour la France dans toute la région. Et après le Mali, le Tchad pourrait à son tour se rapprocher de Moscou.... N'Djaména a d'ailleurs envoyé une délégation au sommet Russie Afrique à Saint Pétersbourg, ce printemps.

Mais Paris s'inquiète aussi de la présence croissante de la Chine sur le continent africain. Entre 2000 et 2016, Pékin a prêté à ce dernier un total de 125 milliards de dollars (113 milliards d'euros). C'est plus que toutes les initiatives de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international (FMI) et de l'Agence française de développement (AFD) réunis. « Nos concurrents n'ont ni tabous ni limites », avait affirmé en 2021 l'ancien ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, en désignant la Chine et la Russie, qualifiées de partenaires « prédateurs ». Et dans ce monde de prédateurs, toute erreur se paye cash.

Marc Endeweld

Marc Endeweld
Commentaires 11
à écrit le 01/10/2023 à 5:57
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Ce n’est pas inquiétant, c’est intéressant. Nos relations avec plusieurs pays d’Afrique évoluent. Elles ne sont pas coupées pour autant.

le 17/02/2024 à 19:40
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Ce n'est que le début vous plierez bientôt bagages de tous nos pays.

le 17/02/2024 à 19:40
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Ce n'est que le début vous plierez bientôt bagages de tous nos pays.

à écrit le 30/09/2023 à 13:23
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Et si pour une fois au Tchad on partait avant qu'on nous y oblige? Et de côte d'ivoire, gabon, sénégal aussi!

à écrit le 30/09/2023 à 12:28
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La France tout simplement est virée d Afrique par la Russie, la chine et la Turquie… si ça va obliger à revoir nos relations avec l Afrique pas sûr que les populations locales - sans minorer le rôle néfaste du pouvoir français par le passé - en reti...

le 30/09/2023 à 13:25
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Bolloré est juste plus intelligent que nos gouvernants. Il a senti le moment et il a vendu à un bon prix et au bon moment.

le 01/10/2023 à 15:16
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Bolloré, qui était en perte de vitesse en Afrique en raison d'une stratégie de rente avec peu d'investissements, a vendu à l'italo-suisse MSC qui commençait à lui tailler des croupières, dont les propriétaires ont une relation familiale avec Alexis K...

à écrit le 30/09/2023 à 11:20
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Sortons de l'Afrique et supprimons le Franc CFA qui a offert à ces pays la parité du Franc Français par rapport à l'Euro...et qui continue à offrir cette parité fixe grâce à la Banque de France et que nous payons. Ces pays auront donc une monnaie ...

le 30/09/2023 à 13:28
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Oui. Faisons table rase Du commerce et que du commerce. Pas un seul fonctionnaire français ne doit s'occuper d'Afrique. Nous avons un pays à reconstruire.

à écrit le 30/09/2023 à 8:34
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Quelle gestion diplomatique africaine catastrophique ! Jamais la France n'a su la gérer intelligemment et le racisme inhérent à nos vieilles oligarchies européennes doit en être une des causes principales.

à écrit le 30/09/2023 à 8:31
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Serait-ce bien là, cette fois, la fin de l'Empire colonial français en Afrique? Ben ça va en faire des livres d'histoire à corriger et rééditer.

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