La Marseillaise, un hymne à l'histoire tourmentée

Par Romaric Godin  |   |  1487  mots
"La Marseillaise", scuplture de François Rude sur l'Arc de Triomphe de Paris.
L'hymne national, chanté à Wembley mardi 17 novembre et à travers le monde, est devenu le symbole de l'unité de la nation, de la solidarité et de la résistance, en réponse aux attentats terroristes perpétrés à Paris le 13 novembre. Pourtant, la Marseillaise n'a pas toujours été l'hymne français et a même été longtemps interdit.

Une semaine après les attaques contre Paris, la Marseillaise est devenue à l'étranger un symbole de la solidarité avec la France. L'image la plus symbolique a sans doute été celle du stade de Wembley retentissant de l'hymne national français chanté en chœur par les supporters anglais et français. Deux siècles après Waterloo, la publication par les quotidiens britanniques des paroles du chant de Rouget de l'Isle - qui sera aussi chanté ce week end dans tous les stades anglais - était sans doute un symbole fort. Mais ce chant semble aussi avoir été redécouvert par une grande partie des Français alors que les membres du congrès de Versailles lundi 16 novembre ont aussi repris l'hymne, comme après les événements de janvier dernier.

Rejet et attachement

La France avait pourtant semblé depuis des années bouder ce chant considéré comme trop belliqueux pour les mœurs modernes. Le président « modernisateur », Valéry Giscard d'Estaing (président de 1974 à 1981), ne l'aime guère. Il en a réduit le rythme pour en atténuer le son guerrier et en 2009, il jugeait ses paroles « d'un ridicule ! » Régulièrement, ces critiques sur les paroles reviennent sur le devant de la scène et il est question d'en modifier la teneur dans un sens plus pacifique. Mais les sondages ont toujours révélé un attachement des Français à leur hymne et nul politique n'a osé toucher à la Marseillaise.

Un chant  de guerre...

L'hymne français a été écrit par Claude Rouget de l'Isle, un petit noble jurassien, officier en garnison à Strasbourg. A la demande du maire de la ville, Dietrich, il compose quelques textes à l'occasion. Le 20 avril 1792, la fièvre patriotique s'empare de tout le pays. L'Assemblée nationale a déclaré la guerre au « Roi de Bohème et de Hongrie », autrement dit à la Maison d'Autriche. Mais l'ensemble de l'Europe centrale se coalise bientôt contre la France révolutionnaire. Les Etats allemands et la puissante Prusse se préparent à envahir le pays.

... mais un chant européen !

Rouget de l'Isle compose alors le 25 avril un « chant de guerre pour l'armée du Rhin » qu'il dédie au chef de celle-ci, le maréchal Nicolas Luckner, un mercenaire bavarois au service de la France qui a adopté avec enthousiasme les idées révolutionnaires. Ce texte est plaqué sur une musique connue, comme c'est souvent le cas à l'époque où on se contente de préciser que le texte doit être joué « sur l'air de... » Un musicologue italien a ainsi découvert que Rouget de l'Isle avait repris la musique d'un italien peu connu, Giovanni Battista Viotti, qui avait écrit le thème de la Marseillaise en 1781 dans ses Thèmes et Variations en do majeur. Ecrite par un Français sur une musique italienne pour un général bavarois : l'hymne français est une œuvre déjà « européenne. »

La Marseillaise devient marseillaise

Ce chant, qui résonne pour la première fois dans le salon de Dietrich, le 26 avril 1792, va rapidement connaître un grand succès. Alors que les armées françaises reculent et que le territoire est envahi, l'Assemblée nationale proclame le 11 juillet 1792 la « patrie en danger » et les « fédérés » des régions rejoignent la capitale pour organiser la contre-attaque. Parmi eux, les Marseillais se distinguent en entonnant le chant de Rouget de l'Isle qui devient pour les Parisiens, puis pour les Français, le « chant des Marseillais », puis la « Marseillaise. »

« Chant national » et interdiction

Ce chant n'est cependant pas très apprécié sous la Terreur. Du reste, Luckner est guillotiné en 1794 et Rouget de l'Isle échappe de peu au même sort. C'est après la chute de Robespierre que la Marseillaise devient le 14 juillet 1795 le « chant national » de la France. Une première fois, car son caractère révolutionnaire le rend suspect à bien des régimes. Ainsi, le Consulat et l'Empire l'interdisent purement et simplement. S'il n'y a pas d'hymne officiel, alors, Napoléon Bonaparte utilise souvent la Marche Consulaire à Marengo (que chante encore la Légion étrangère lors des défilés officiels) ou le Chant du Départ, hymne de sacrifice qui fut remis à l'honneur en 1974 par les partisans de... Valéry Giscard d'Estaing.

Les Bourbons la rejettent

Evidemment, lors de la Restauration, les Bourbons rejettent avec effroi ce chant qui demeure interdit, alors que Rouget de l'Isle tentent de proposer des alternatives à Louis XVIII et Charles X. L'hymne français est alors une version modernisée d'une vieille chanson du 16ème siècle, « Vive Henri IV ! » devenu « Vive nos Princes ! » Cet hymne français jusqu'en 1830 sera ensuite récupéré par Walt Disney pour son dessin animé La Belle au Bois Dormant pour en faire le fond musical du final. Mais la Marseillaise devient alors, pour la gauche, le symbole de la résistance à l'oppression et de l'attachement à la Révolution ; tandis que la droite monarchiste y voit l'exemple de la folie révolutionnaire et du sang de la terreur.

La Parisienne plutôt que la Marseillaise

Logiquement, lors de la Révolution de juillet 1830, la Marseillaise résonne sur les barricades. Le nouveau régime, la Monarchie de Juillet, continue cependant à s'en méfier et, si elle cesse d'interdire ce chant, ce n'est pas le chant de Rouget de l'Isle qui est choisi comme hymne national par Louis-Philippe, mais La Parisienne, sur un texte du poète ami du régime Casimir Delavigne et une musique de l'auteur d'opéra Auber, tiré d'un chant allemand. La Parisienne tente quelques reprises de la Marseillaise, notamment le fameux « marchons ! », mais le chant reste identifié au régime, pas à la nation. Et si le régime tente de récupérer la Marseillaise, magnifiée sur l'Arc de Triomphe par la sculpture de François Rude, le chant révolutionnaire devient un chant républicain qui résonne sur les barricades des insurrections qui s'opposent au régime.

La République sans la Marseillaise

La Marseillaise continue à s'identifier à la révolution. En cela, elle inquiète tous les pouvoirs de l'époque et est reprise par toutes les insurrections. La deuxième république, née de la révolution de 1848 mais aussi de la répression de l'insurrection ouvrière de juin 1848, lui préfère donc le Chant des Girondins. Cette chanson souligne la volonté de la nouvelle république de se distinguer de la première et de la terreur jacobine. Le texte est tiré du Chevalier de Maison-Rouge d'Alexandre Dumas avec un refrain de Rouget de l'Isle, montrant une nouvelle fois combien la Marseillaise hante les esprits, mais fait peur. Ce chant n'eut guère de succès, mais l'air fut repris en 1907 par le chansonnier Montéhus pour son Gloire au 17ème , chant antimilitariste longtemps interdit en l'honneur du régiment qui refusa de tirer sur les vignerons révoltés du Languedoc.

A nouveau, hymne national

Le Second Empire interdit à nouveau la Marseillaise et remplace le Chant des Girondins comme hymne national par... En Partant pour la Syrie ! Ce chant date de l'expédition d'Egypte de Bonaparte en 1798 et souligne à la fois l'héritage du Premier empire et l'ambition mondiale de Napoléon III. La chute de l'Empire remet la Marseillaise à l'honneur, mais la Commune en établit sa propre version. Entre 1871 et 1877, la France hésite entre Monarchie et République et n'a pas choisi son hymne. Même auprès des républicains modérés, la Marseillaise a des adversaires, comme en 1848. Après la victoire aux législatives de 1877 des Républicains, on demande un nouvel hymne plus pacifique à Charles Gounod pour la musique et à Paul Déroulède (qui deviendra ensuite un leader nationaliste) pour les paroles. Mais la Marseillaise est populaire, elle incarne les luttes républicaines depuis 1792 et le président de la République, Jules Grévy, un modéré pourtant, décide de rappeler le 14 juillet 1879 que le décret du 14 juillet 1795 est toujours en vigueur. La Marseillaise devient alors hymne national, sanctifié dans les constitutions de 1946 et 1958.

Changement de statut

La version officielle établie en 1887 compte six couplets, dont le premier seulement est chanté durant les cérémonies officielles. Depuis 2003, il existe un délit d'outrage à l'hymne national, et, depuis 2005, il y a une obligation d'enseigner le premier couplet à l'école. L'image du chant a naturellement beaucoup évolué, en passant du statut de chant de rébellion à celui de chant officiel et en passant de chant révolutionnaire à chant « national » souvent considéré par la suite comme « nationaliste », voire par certains « raciste. » Mais ce chant - qui fut aussi, brièvement, celui de la Russie bolchévique après la révolution d'octobre 1917 - reste une référence à laquelle les Français demeurent attachés et qui est devenu un symbole du pays à l'étranger.