La rupture conventionnelle collective : ça démarre fort

Par Audrey Fisne  |   |  1839  mots
Le constructeur automobile PSA a annoncé la suppression de 2.200 emplois dont 1.300 en rupture conventionnelle collective (et 900 dispenses d'activité pour les seniors). (Crédits : Philippe Wojazer / Reuters)
C’était l’une des mesures phares annoncées dans les ordonnances réformant le Code du travail en 2017 : la rupture conventionnelle collective (RCC). Dix jours seulement après son entrée en vigueur officielle, la nouvelle disposition fait déjà parler d’elle. Les directions de la chaîne de prêt-à-porter Pimkie et du constructeur automobile PSA ont annoncé vouloir utiliser ce mécanisme pour supprimer des emplois. Les titres de presse Le Figaro et Les Inrocks s’y intéresseraient également.

(Article publié le 10 janvier à 18h et mis à jour le 11 janvier à 12h13)(*)

Depuis 2008 et un accord interprofessionnel conclu entre les organisations syndicales et patronales, il a été institué la rupture conventionnelle individuelle : une troisième méthode de la rupture de contrat de travail, en plus de la démission et du licenciement. Avantage pour l'employeur : il n'a pas à passer par la procédure de licenciement. Avantage pour le salarié : il est assuré de toucher les indemnités au moins équivalentes aux indemnités légales. En outre, il bénéficiera de l'assurance chômage. Ce type de ruptures de contrat remporte un succès depuis sa création puisqu'on en dénombre pas moins de 2,86 millions. Actuellement, 17% des personnes indemnisées par l'assurance chômage ont quitté leur emploi via la rupture conventionnelle individuelle, il s'agit surtout des cadres. Dix ans après, il faudra compter avec les ruptures conventionnelles collectives, une des mesures de la réforme du Code du travail voulue par Emmanuel Macron. Toutefois, si leur appellation est similaire, la RCC diffère largement de sa prédécesseure.

Rupture conventionnelle collective : mode d'emploi

La négociation, ouvrant la porte aux départs volontaires, doit se faire à l'initiative de l'employeur. Celui-ci propose donc un accord collectif portant rupture conventionnelle collective conditionnée par la signature d'un accord majoritaire avec les syndicats -représentant 50% des salariés. Comme il est indiqué dans l'intitulé, il est hors de question que l'une des deux parties impose des dispositions à l'autre.

Sur le fond, l'accord doit préciser le nombre maximal de départs envisagés ; la durée de mise en œuvre de la RCC ; les conditions que doivent remplir les salariés pour en bénéficier ; les indemnités proposées en cas de départ (qui doivent, a minima, être égales aux indemnités légales de licenciement) ; les mesures de reclassement (formation, soutien à la création d'entreprises...)

L'employeur informe alors le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) par voie dématérialisée de l'ouverture de la négociation pour validation.

Une fois l'accord homologué par l'administration, les salariés peuvent faire acte de candidatures en respectant les modalités stipulées dans l'accord. Officiellement, il n'y a aucune obligation à se porter candidat et les critères ne pourront pas prendre en compte l'âge. Le contrôle veillant à exclure toute discrimination sera exercé par l'autorité administrative -la DIRECCTE.

Pour que la rupture du contrat soit effective, il suffira à l'employeur d'accepter la candidature du salarié, ce qui permettra alors au salarié de bénéficier de l'indemnité de rupture prévue.

Petite spécificité pour un salarié « protégé » (représentant du personnel par exemple, etc.), l'inspection du travail doit donner son autorisation.

Plus rapide et moins contraignante pour les entreprises

Pour le gouvernement, cette mesure tend à « donner un cadre » et « sécurise juridiquement » les plans de départs volontaires, très encadrés par la jurisprudence. En même temps, force est de constater que les RCC s'avèrent moins contraignantes pour les entreprises, que le Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) et le plan de départs volontaires (PDV). En effet, contrairement au PSE, la rupture conventionnelle collective ne nécessite pas de justification quant à des difficultés économiques et il n'y aura pas de contrôle judiciaire, comme c'est le cas pour un plan de départs volontaires. Le processus s'avère également plus rapide (quelques mois seulement) et simple à mettre en place. Avocat spécialiste en droit social, Me Joel Grangé se veut rassurant :

« Même si la RCC est moins contraignante pour les entreprises que le processus de consultation sur le licenciement économique, qui est lourd et complexe, il ne s'agit pas, pour autant, d'un dispositif débridé. S'il y a une consultation du comité d'entreprise en cas de licenciement économique, avec les RCC, il faut l'accord des organisations syndicales. »

En outre, « il s'agit aussi d'éviter le traumatisme du licenciement », selon Muriel Pénicaud, ministre du Travail. « Cela permet de dépassionner le débat sur l'emploi », souligne Me Joël Grangé. De fait, les RCC devraient remplacer peu à peu les actuels plans de départs volontaires (PDV). Une éventualité envisageable pour l'avocat spécialiste du droit du travail, qui présente des avantages :

« La logique voudrait que les plans de départs volontaires soient moins nombreux avec les ruptures conventionnelles collectives. L'idée est d'anticiper les mouvements pour qu'ils soient moins brutaux, gérer les départs au fil de l'eau, au fur et à mesure des candidatures. En somme, cela permettra de mieux gérer les situations de manière consensuelle, à froid, et d'éviter que tout le monde se retrouve sur le marché de l'emploi en même temps. »

 « Plan social déguisé » et « porte ouverte à tous les abus »

Si les RCC ouvrent le droit à l'assurance chômage, elles ont également leurs désavantages : ces ruptures n'offriront pas la possibilité, pour le salarié partant, de bénéficier du contrat de sécurisation professionnelle (CSP) - un dispositif de suivi assuré par Pôle emploi qui permet un accès privilégié à la formation et une meilleure indemnisation du chômage. En outre, en cas de RCC, il n'y aura pas de priorité de réembauche, qui existe dans le cas d'un licenciement économique. L'entreprise n'aura plus d'obligation à faire des propositions de reclassement, des actions de formations ou de soutien à ses employés sur le départ.

Pour ses détracteurs, les RCC sont considérées comme des « plans sociaux déguisés ». Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, assure que « c'est une façon très facile pour les entreprises de se débarrasser d'un certain nombre de salariés (...) et d'éviter de faire un plan social où on discute des mesures d'accompagnement ».

Des interrogations restent également légitimes quant à l'argument du volontariat. On verra en effet si, à la longue, le volontariat ne sera pas que théorique malgré le contrôle supposé de la DIRECCTE ou si les ruptures conventionnelles collectives ne serviront pas à pousser certains salariés vers la sortie.

Critique également, Eric Coquerel, député de la France insoumise (LFI), y voit « la porte ouverte à tous les abus » [...] « qui permettrait des licenciements déguisés et des facilités pour les entreprises ».

« Dans les plans sociaux, vous aviez quand même un certain nombre de garanties que l'entreprise devait mettre en place. Il y avait tout un mécanisme pour essayer de sauver de l'emploi. Là, ça coûtera moins cher en termes de formation et d'indemnités. [...] Un nivellement vers le bas du marché du travail se prépare », explique-t-il.

Maître Joël Grangé tempère cette crainte : « Ce n'est pas la même chose de supprimer un poste et de donner la possibilité de partir à certains salariés. Ce qui importe, c'est de s'assurer que le salarié veuille partir et pour cela, il faut que les mesures d'accompagnement du départ soient attractives. »

Il affirme même :

« Il n'y aura pas de RCC à tout-va. Cela dépend de la situation. Quand on ferme une usine, on ne va pas proposer une RCC. Si les syndicats disent non, le projet est abandonné. Il doit faire consensus. »

PSA et Pimkie, premiers candidats à la RCC

L'application de la mesure étant effective depuis le 1er janvier, les entreprises n'ont pas tardé à y recourir. Le 8 janvier, la direction de Pimkie, chaîne textile appartenant au géant Mulliez, a présenté aux élus du personnel un projet de 208 suppressions de postes sous la forme de rupture conventionnelle collective. Pour elle, cette disposition comporte plusieurs avantages : « volontariat » pour les départs, « rapidité de mise en œuvre », et possibilité de réembaucher en cas d'amélioration des résultats. En revanche, les syndicats y ont décelé un « plan social déguisé ». Maley Upravan, délégué FO, a du mal à comprendre les dissonances dans le discours de la direction, rapportent Les Échos. « Comment proposer des départs volontaires à des salariés à qui on va imposer la fermeture de leurs magasins ? » Toutefois, après une réunion de négociation qui n'a pas été concluante, les syndicats ont annoncé mardi 9 janvier l'abandon du projet. Un plan de départs volontaires devrait être négocié à la place.

| Lire aussi : Rupture conventionnelle collective chez Pimkie : les syndicats s'opposent à la direction

Ce même jour, le constructeur automobile PSA a annoncé officiellement la suppression de 2.200 emplois, dont 1.300 en rupture conventionnelle collective (et 900 dispenses d'activité pour les seniors). En contrepartie, le groupe entend recruter 1.300 CDI en 2018 et 2.000 jeunes en alternance.

Remplacer les seniors par des jeunes, c'est l'une des critiques adressées à la RCC, malgré le contrôle de l'administration prévu sur les discriminations liées à l'âge, le dispositif peut être un dispositif « avantageux » pour les entreprises qui veulent collectivement renouveler le « savoir-faire de leurs salariés ».

« Notre but n'est pas de voir la courbe d'activité des seniors, qui a crû ces dernières années, s'infléchir à nouveau à la baisse », conteste l'entourage de Muriel Pénicaud, cité par Le Monde.

Tout en ajoutant, paradoxalement, que le dispositif est aussi « un outil pour les entreprises qui veulent rajeunir leur pyramide des âges et renouveler les compétences ». Ce point est toutefois à relativiser, car comme le remarque Joël Grangé : « Les seniors sont des candidats assez fréquents à ce type de dispositifs de départ. »

À PSA, un autre point fait débat : les primes de départ. « Seront-elles identiques à celles actuellement offertes par PSA en cas de départ », s'interroge-t-on à la CGT. De plus, les primes et les indemnités étaient jusqu'alors exonérées de charges et d'impôts dans le cadre d'un PSE. Avec les RCC, les exonérations seront moins importantes.

| Lire aussi : PSA veut se séparer de 1.300 emplois en rupture conventionnelle collective

Après PSA et Pimkie, le quotidien national Le Figaro a aussi lancé une négociation pour la mise en place d'une rupture conventionnelle collective qui pourrait concerner « 40-50 personnes » dans les fonctions administratives, indique Le Monde. Enfin, Les Inrocks, l'hebdomadaire du banquier Matthieu Pigasse, pourrait procéder à une RCC pour 70 salariés du magazine, courant 2018. À ce rythme, le recours aux ruptures conventionnelles collectives pourrait rapidement s'imposer comme la nouvelle norme dans la gestion des sorties et des entrées des effectifs dans les entreprises.

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(*) Mise à jour de l'article du jeudi 11 janvier  :

Initialement, l'article émettait l'hypothèse que le géant de l'énergie Engie réfléchissait également à une RCC. Une communication du groupe a cependant précisé : "Nous n'avons pas de projet de plan de Ruptures conventionnelles collectives. Nous allons proposer à nos organisations syndicales des réunions d'échanges au cours du premier semestre, réunions qui ont pour objectif de partager, ensemble, le contenu des ordonnances (c'est-à-dire faire de la pédagogie) et d'analyser prioritairement les conséquences de la fusion des IRP en une nouvelle instance, le « Comité social et économique »."