Le chômage, angle mort des débats sur "les gilets jaunes"

Par latribune.fr  |   |  1010  mots
2,6 millions de personnes sont concernées par le chômage de longue durée. (Crédits : Eric Gaillard)
L'arsenal de mesures présenté récemment par Emmanuel Macron est destiné à soutenir le porte-monnaie des revenus modestes. Mais le chômage de longue durée est loin d'être un épiphénomène en France rappelle le cercle des économistes.

Pouvoir d'achat, fiscalité, retraites. Depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", tous ces thèmes sont régulièrement mis en avant dans les débats et l'agenda politique. Pour répondre à quelques revendications de ce mouvement social inédit, Emmanuel Macron a annoncé en début de semaine une batterie de mesures pour doper le pouvoir d'achat des travailleurs aux revenus modestes et des personnes touchant des petites retraites notamment.

> Lire aussi : Smic, CSG, heures supp : une opération déminage à 10 milliards pour Macron

Pourtant, le chômage reste un sujet de préoccupation majeur pour des milliers de Français. Lors d'un débat organisé par le Cercle des économistes ce jeudi 13 décembre, Louis Gallois, venu avec sa casquette de président de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, a expliqué que "si le chômage de longue durée (*) concernait plusieurs millions de personnes. Il était absent des discussions sur les gilets jaunes." Par ailleurs, de nombreuses entreprises ont dû mettre une partie de leurs salariés au chômage partiel ces dernières semaines. Selon de récents chiffres communiqués par le ministère du Travail, 766 entreprises avaient fait une demande auprès du gouvernement, au 10 décembre pour mettre leurs employés au chômage partiel. Ce qui représente environ 20.185 salariés et 9 millions d'euros versés par l'Etat.

Le difficile retour à l'emploi des chômeurs de longue durée

Le calvaire du retour à l'emploi des chômeurs de longue durée est régulièrement pointé du doigt par les experts et les économistes. Louis Gallois a rappelé que "le chômage de longue durée est la gangrène du modèle social français." Et cela est loin d'être un épiphénomène. Selon les dernières données de Pôle emploi, cela concernerait 2,6 millions de personnes à la fin du troisième trimestre sur près de 6 millions d'inscrits en prenant en compte toutes les catégories. Ce qui représentait 42% du total des inscrits. Une part qui s'est accentuée après la crise malgré les bonnes performances économiques de 2017.

Plus inquiétant encore, le nombre de chômeurs de très longue durée (supérieure à deux ans) ne cesse de s'accroître depuis plus de 20 ans. Il est passé de 329.000 en 1996 à 872.000 en 2018 pour ceux inscrits depuis plus de trois ans. Pour ceux inscrits à l'opérateur public entre deux et trois ans, leur nombre est passé de 327.000 à  517.000. sur la même période. Au total, il y a d'ailleurs plus de chômeurs de longue durée si on fait la somme des deux dernières catégories.

Par ailleurs, ces chiffres ne prennent pas en compte tous ceux qui ne sont même plus inscrits à Pôle emploi, soit parce qu'ils ne recherchent pas d'emploi par découragement, soit parce qu'ils ne sont pas disponibles rapidement pour travailler ou n'y trouvent pas un intérêt financier. C'est ce que l'on appelle le "halo du chômage".

> Lire aussi : Retour à l'emploi : le calvaire des chômeurs de longue durée

Bilan des territoires "zéro chômeurs"

A l'occasion de la mise à jour d'un manifeste, le cercles des économistes a rappelé "qu'il n'y pas de fatalité au chômage de masse." Parmi les pistes évoquées pour lutter contre ce phénomène, figure la mise en place des territoires zéro chômeurs de longue durée portés par l'ONG ATD Quart Monde. Louis Gallois en a profité pour tirer un premier bilan de ces expérimentations. Il a d'abord rappelé "qu'un chômeur de longue durée coûte presque aussi cher que sa mise à l'emploi."

Partant de ce constat, l'ancien haut fonctionnaire a expliqué que ce dispositif avait permis de créer environ 600 emplois. Ce qui peut paraître peu mais il a souligné que cette mesure était encore à l'état d'expérimentation sur seulement 10 territoires. Dans une récente synthèse, l'association en charge de la mise en oeuvre des territoires zéro chômeur de longue durée indique que "après 18 mois d'expérimentation, l'ensemble des dix territoires ont permis à 936 des 1711 personnes privées durablement d'emploi identifiées (54 %) de sortir de la privation d'emploi." Outre la réinsertion professionnelle des personnes éloignées du marché du travail, le document souligne que ce dispositif peut représenter un gain pour le Trésor public.

"Nos premiers calculs, prudents et avec un abattement de 15 %, soulignent qu'au cours de l'année 2017, l'embauche d'une personne privée durablement d'emploi occasionnait un gain de plus de 18.000 euros pour les finances publiques, rendant quasiment nul le coût résiduel pour l'économie de notre pays. "

Malgré ces promesses de réinsertion, ces emplois souffrent encore d'un manque de financement. Les entreprises à but d'emploi qui encadrent ces travailleurs "montrent des besoins de fonds propres pour le démarrage et les investissements qui n'avaient pas été véritablement anticipés" ajoute  l'actuel président du conseil de surveillance de Peugeot. Le prochain enjeu est l'extension de ce dispositif à d'autres territoires. A ce propos, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé, lors de la présentation de sa stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, que cette expérimentation allait être élargi au début de l'automne :

Alors des initiatives [...] encore insuffisamment déployées, sont là, et qui disent tout le contraire, « Territoires zéro chômeur de longue durée », qui a permis de renouer avec l'esprit de 1988, en remettant l'insertion, l'accompagnement vers l'emploi au cœur de notre système de minima sociaux [..] les investissements suivront pour être à la hauteur de l'élargissement des expérimentations évoquées tout à l'heure, en particulier Territoires zéro chômeur et toutes les autres.

___

(*) Un chômeur de longue durée est un actif au chômage depuis plus d'un an. A partir de 24 mois, on parle de chômage de très longue durée.