Le patrimoine creuse fortement les inégalités françaises

Par Grégoire Normand  |   |  1035  mots
La détention de la résidence principale reste "critère déterminant dans les inégalités de patrimoine" selon l'Insee. Le patrimoine brut médian des ménages propriétaires était ainsi 20 fois plus élevé en 2015 que celui des ménages locataires. (Crédits : Reuters/Charles Platiau)
Entre 1998 et 2015, le patrimoine immobilier et financier des Français a doublé, sauf pour les 20% des ménages les moins dotés. Début 2015, les 10% de ménages les mieux dotés détenaient ainsi chacun plus de 595.700 euros d'actifs, tandis que les 10% les moins biens dotés possédaient moins de 4.300 euros de patrimoine, selon une récente étude de l'Insee.

Le patrimoine est au coeur des inégalités françaises. Selon une étude de l'Insee publiée ce mardi 5 juin, le patrimoine financier et immobilier a bien augmenté entre 1998 et 2015. Les économistes de l'institut de statistiques notent que les actifs financiers et immobiliers ont doublé sur cette période. Il est évalué à 158.000 euros brut. Cependant, cette progression masque de véritables disparités au sein de la société française.

Pour le gouvernement qui mène une politique fiscale favorable aux hauts revenus (suppression de l'ISF), la question de la réduction des inégalités pourrait représenter un enjeu considérable pour le quinquennat à l'heure où les populismes gagnent du terrain en Europe.

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Concentration du patrimoine

Entre 1998 et 2010, le patrimoine immobilier moyen a augmenté de 133%. Cette forte progression est principalement liée "à la valorisation des logements anciens, et, dans une moindre mesure, de la contribution des constructions neuves durant cette période, le reste étant dû à la hausse des prix des logements neufs", explique l'organisme de statistiques national. Sur ces 17 années, cette évolution favorable a principalement profité aux 70% des ménagés les plus dotés. A l'opposé, les ménages les plus modestes sont restés très peu détenteurs de patrimoine immobilier, ce qui accentue la concentration du patrimoine.

La plus grande concentration du patrimoine entre les mains des ménages les plus aisés repose avant tout sur une forte hausse des prix de l'immobilier relevée sur la période 1998-2010.

"Si les propriétaires (accédants ou non) sont toujours quasiment inexistants parmi les 30 % des ménages les moins dotés, leur nombre a augmenté de presque 4 points entre 1998 et 2015 (de 76% à 79,8%) pour les autres ménages."

Par ailleurs, le niveau de revenus a une incidence directe sur la détention de patrimoine immobilier. Ainsi, les 10% des plus hauts revenus sont beaucoup plus souvent propriétaires de leur résidence principale (82%) que les autres (56%). La question des inégalités est moins abordée par le prisme du patrimoine détenu. Pourtant, elle reste centrale pour comprendre les écarts de richesse entre les familles françaises, et peut entraîner des déclassements importants entre les générations, comme le soulignait le sociologue français Louis Chauvel dans son ouvrage publié en 2016, La spirale du déclassement :

"Le creusement des inégalités, évident si nous considérons le rôle du patrimoine, conduit une partie des classes moyennes et des générations nouvelles à suivre les classes populaires sur la pente de l'appauvrissement, entraînant une spirale générale du déclassement."

Le patrimoine financier en bonne santé

Outre le patrimoine immobilier, le patrimoine financier des Français a également connu une évolution favorable. La hausse est évaluée 75% en moyenne mais là encore des divergences apparaissent. Cette augmentation a principalement bénéficié aux 10% des ménages les mieux dotés et qui possèdent un portefeuille d'actifs très diversifié. Selon l'institut de statistiques publiques, les ménages les mieux lotis placent une grande partie de leur patrimoine financier sur des supports plus risqués (actions cotées ou non par exemple) mais avec un rendement potentiel plus fort.

Portrait-robot des ménages aisés

Les différences de patrimoine s'expliquent en partie par les écarts de revenus mais également par l'âge. Selon les résultats communiqués par les experts de l'Insee, le patrimoine des 50-54 ans est supérieur à celui des 55-59 ans et des 60-64 ans. La profession est également un facteur à prendre en compte. Par exemple, un ménage dont la personne reférente est agriculteur possède en moyenne un patrimoine 2,5 fois supérieur qu'un ménage composé d'employés. "Cela s'explique par le fait qu'ils détiennent des biens professionnels ou encore qu'ils épargnent davantage et de façon plus diversifiée pour préparer leur cessation d'activité" précise l'Insee.

Un niveau de vie médian à 1.690 euros par mois

Dans son enquête sur le revenu et le patrimoine des Français, l'Insee indique que le niveau de vie médian des Français s'élevait à 20.300 euros par an, soit 1.690 euros par mois. Un niveau qui reste encore inférieur à celui d'avant la crise en 2008 (20.400 euros). Là encore, des contrastes subsistent. Pour le premier décile, c'est à dire les plus modestes, ce niveau de vie s'élevait 10.900 euros contre 37.500 euros pour le neuvième décile chaque année.

8,9 millions de Français pauvres

La crise a favorisé la paupérisation de la population française. Entre 2008 et 2015, le taux de pauvreté est passé de 13% à 14,2%  avec un seuil fixé à 60% du revenu médian. Les personnes considérées comme pauvres sont ainsi passées de 7,8 millions à 8,8 millions de personnes. Surtout, l'intensité de la pauvreté (*) est passée de 18,5% à 19,6%.

Malgré ces mauvaises nouvelles, la France fait partie des pays qui se situent en bas de l'échelle dans l'Union européenne. En 2015, Eurostat indiquait que le taux de la France s'élevait à 12,8% contre 16,6% en moyenne en Europe. A l'échelle du continent, seuls cinq pays affichent des taux plus faibles. Il s'agit de la Finlande, du Danemark, de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Slovénie, sachant que les trois derniers pays ont des seuils de pauvreté beaucoup plus faibles qu'en France (de 25% pour la Slovénie, 40% pour la République tchèque et 49% pour la Slovaquie).

Alors que le gouvernement étudie actuellement des pistes du côté des aides sociales pour réaliser les économies, ces derniers résultats indiquent que le système de protection sociale français a été relativement efficace au regard de la situation des autres pays européens.

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(*) Selon l'Insee, l'intensité de la pauvreté (ou « poverty gap ») est un indicateur qui permet d'apprécier à quel point le niveau de vie de la population pauvre est éloigné du seuil de pauvreté. L'Insee mesure cet indicateur comme l'écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté.