Le programme du Front national est-il similaire à celui du Programme commun des années 1970 ? (4/5)

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1780  mots
Difficile de comparer, comme l'a fait le président du Medef, le programme économique du Front National avec celui du programme commun PCF/PS des années 1970. Une époque ou l'euro n'existait pas.
Pierre Gattaz, président du Medef, a comparé, comme d'autres avant lui, le programme économique du Front national à celui du Programme commun de la gauche des années 1970. La comparaison est-elle justifiée?

Mardi 1er décembre, dans un entretien au quotidien Le Parisien, le président du Medef Pierre Gattaz a jeté un pavé dans la mare en déclarant :

« Je ne m'exprime pas sur la politique mais sur le programme économique du Front national. Et là, je dis attention, car il me rappelle étrangement le Programme commun de la gauche de 1981. Retour de la retraite à 60 ans, augmentation de tous les salaires avec notamment une hausse du smic de 200 euros, retour au franc, augmentation des taxes d'importation... C'est exactement l'inverse de ce qu'il faut faire pour relancer la croissance économique du pays. »


Déjà, on l'a un peu oublié, le dimanche 19 avril, intervenant sur Canal +, François Hollande lui-même avait lancé : « Mme Le Pen parle comme un tract du Parti communiste des années 1970 ».

Un petit jeu des comparaisons qui n'a pas épargné les rangs de l'ex-UMP dont plusieurs dirigeants, depuis quelque temps, attaquent le programme économique et social du FN, le qualifiant «d'extrême gauche ». Ce fût notamment le cas de Nicolas Sarkozy et de Jean-François Copé en son temps.

Mais où se situe la vérité ? Est-il exact que le programme économique et social du FN ressemble à celui du programme commun PS/PCF/PRG des années 1970 ? Tentative de réponse, bien qu'il soit très difficile d'établir un parallèle entre deux époques totalement différentes.

Le programme commun PC-PS a été signé en 1972

Sur le plan économique et social, dès 1972, le PCF et le tout nouveau Parti Socialiste, né au congrès d'Épinay un an plus tôt, ont signé un « programme commun » de gouvernement. Ils seront ensuite rejoints par les Radicaux de gauche (PRG).

La rupture de ce programme commun se produira en 1977 (voir ci-après la vidéo de l'INA avec Georges Marchais).

Le programme prévoyait ainsi des nationalisations :

«Pour briser la domination du grand capital et mettre en œuvre une politique économique et sociale nouvelle, rompant avec celle qu'il pratique, le gouvernement réalisera progressivement le transfert à la collectivité des moyens de production les plus importants et des instruments financiers actuellement entre les mains des groupes capitalistes dominants.»

Un programme qui, malgré la rupture de 1977, sera de fait en partie appliqué à l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981.

Mais que dit le parti de Marine Le Pen en 2015 ? Le FN propose juste de nationaliser les entreprises en difficulté - il évoquait Florange, PSA, etc. -, les sociétés d'autoroutes et « temporairement » le secteur bancaire « pour assainir les pratiques bancaires ».

Le programme est donc nettement moins ambitieux que celui du PS-PC qui visait des pans entiers de l'économie.

Il y a d'autres points communs entre les deux programmes... Mais ce n'est pas réellement une surprise sur certains sujets.

Ainsi, sur le pouvoir d'achat, quelle formation politique ne va pas promettre de l'améliorer? Dans les années 1970, le programme PS-PC ne voulait plus aucun salaire à temps complet au-dessous de 1.000 francs, mais n'évoquait pas de baisses de cotisations, peu à la mode alors. Le FN, lui, préconise d'augmenter de 200 euros les salaires inférieurs à 1,4 Smic, via une baisse des cotisations sociales salariales - constitutionnellement discutable - qui serait compensée par une cotisation sur les produits importés, soit, en fait, une TVA sociale.

Concernant la retraite à 60 ans, elle faisait partie des revendications PS-PC (l'âge légal de la retraite était alors fixé à 65 ans) et un retour à l'âge effectif de 60 ans pour liquider sa retraite est également mentionnée dans le projet du FN.

Le FN ne dit pas : "Au-dessus de 4 millions, je prends tout ! »

On peut également noter des similitudes en matière fiscale. Mais, là aussi, ce n'est pas étonnant puisque, en général tous les partis politiques prônent un allègement de l'impôt pour les moins favorisés et/ou les classes moyennes.

Ainsi, le FN souhaite une plus grande progressivité de l'impôt sur le revenu avec l'instauration de nouvelles tranches sur les hauts revenus.

Le projet PS-PC, lui, prônait des « allègements » pour la « population laborieuse » et Georges Marchais prétendait taxer à 100 % les revenus de plus de 40.000 francs. C'est le fameux « au-dessus de 4 millions, je prends tout ! » qui représente un programme nettement plus ambitieux.

Idem pour les entreprises, si le duo PS-PC voulait davantage taxer le « grand capital », le FN, lui, veut instituer une progressivité de l'impôt sur les sociétés et même imposer une taxe de 15% sur les résultats nets « des 50 plus fortes capitalisations boursières », taxe qui serait affectée à « une réserve spéciale de réindustrialisation ».

La question des frontières, celles de l'Europe, celles de l'Euro

Mais c'est sur la question des frontières en général et de l'Europe en particulier que la comparaison est la plus difficile à effectuer.

Au niveau de la politique monétaire européenne, les années 1970 peuvent être considérées comme préhistoriques. Il n'existait rien ou si peu. L'Union douanière a été créée en 1968, et, en 1972, il avait été institué le Serpent monétaire européen - ancêtre du Système monétaire européen - qui avait pour but de limiter à 2,25% les fluctuations des taux de change monétaires entre les pays membres de la Communauté économique européenne (CEE).

Le programme PS-PC n'était pas opposé au Marché commun; simplement, il préconisait d'œuvrer "pour l'instauration d'un contrôle des mouvements de capitaux dans le Marché commun afin de préserver celui-ci des courants spéculatifs et de faire obstacle aux prises de contrôle des secteurs vitaux de l'économie par des groupes multinationaux".

Plus généralement, au niveau mondial, rappelons que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) n'existait pas (elle a été créée en 1995) et on ne parlait pas encore de "mondialisation des échanges". Le programme PS-PC préconisait le "développement - largement ouvert à l'échelle mondiale - des échanges et de la coopération [qui] correspond aux exigences du progrès économique et social".

Cependant, le programme s'autorisait une dose de protectionnisme :

«Le recours à des restrictions quantitatives et à une protection douanière renforcée sera réservé à des situations exceptionnelles le rendant nécessaire.»

En 2015, la donne a complètement changé : l'Union européenne et la zone euro ont été instituées, les droits de douanes ont été largement abolis ou, à tout le moins, abaissés.

C'est donc dans le contexte d'une économie française largement intégrée que le FN veut renouer avec un "protectionnisme stratégique qui sera ajusté, ciblé et flexible", via l'instauration de droits de douane « afin de rétablir une juste concurrence avec les pays dont l'avantage concurrentiel est issu du moins disant social et des manipulations monétaires ».

Mais c'est surtout sur l'euro que le Front national fait entendre sa différence avec ces préconisations:

« La France doit préparer, avec ses partenaires européens, l'arrêt de l'expérience malheureuse de l'euro, et le retour bénéfique aux monnaies nationales qui permettra une dévaluation compétitive pour oxygéner notre économie et retrouver la voie de la prospérité. Le couple franco-allemand doit jouer ce rôle moteur dans cette concertation et cet arrêt programmé de l'expérience de l'euro.»

Bien entendu, sur ce point, aucune comparaison n'est possible avec les années 1970. Outre l'inexistence de l'euro à cette époque, l'inflation forte rendait la pratique des dévaluations plus risquées, notamment pour le pouvoir d'achat, mais elle était courante, et la droite de gouvernement y recourait souvent également.

Le temps du "franc fort" attaché au mark ne viendra que dans les années 1980 et sera une des raisons de la rupture entre le PS et le PC. Le programme commun PS-PC des années 1970 s'occupe, du reste, assez peu de la question monétaire.

Après une longue période libérale,  le virage social du FN

Reste que, d'une façon générale, il est tout de même extrêmement difficile d'appréhender le programme social et économique du Front national.

Certes, depuis l'accentuation de la crise, ce programme s'est doté d'oripeaux sociaux pour mieux capter un électorat totalement désabusé par les partis classiques. Mais cette posture sociale est relativement récente.

Dans les années 1990, Jean-Marie Le Pen, alors président du FN, affichait au contraire un libéralisme économique à tout crin, voyant son modèle dans les politiques menées par Reagan aux Etat-Unis et Thatcher en Angleterre.

Le président d'honneur du FN a d'ailleurs régulièrement critiqué sa fille qui aurait trop cédé à la mouvance "chevénementiste", entrée relativement récemment au FN, et à l'origine de cet opportun virage social.

Mais différentes chapelles continuent de s'opposer au sein du parti. Et il y a une forte demande de réécriture - pour le modérer - du programme économique et social, notamment sur la question de l'euro. Donc, il reste difficile de s'y retrouver dans un programme un peu "attrape-tout".

L'irremplaçable rôle d'intégrateur du PCF

Enfin, il reste un point crucial, éthique même, à souligner. Et il n'est pas d'ordre économique.

A l'instar du Parti communiste d'antan, le FN se veut le parti des « petites gens », de ceux qui souffrent et subissent la crise. Or, le Parti communiste français des années 1970 avait peut-être tous les défauts du monde : il était stalinien, très fermé aux évolutions de la société, volontairement aveugle sur ce qui se passait derrière « le rideau de fer »... Mais il a joué un immense rôle d'intégration de la classe ouvrière à la nation. Les structures extrêmement délocalisées du PCF, présentes sur quasiment tout le territoire, ont permis à des milliers de personnes défavorisées de se former, de se doter d'une conscience politique, d'accéder à la culture, d'être fiers. Du fait de son implantation dans la population ouvrière - avec son important relais que constituait la CGT - , il a également permis à des milliers d'immigrés de s'intégrer dans la société française. Il tenait certes un discours de classe, mais pas de haine de l'autre.

Certes, en 2015, le Front national a su capter un électorat populaire victime de la crise. Mais il est loin, très loin, de se retrouver dans un rôle similaire à celui du PCF des années 1970.

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Pour aller plus loin:

[ VIDEO ] Mitterrand et Marchais signent le Programme commun (archives de l'INA, 1972)

[ VIDEO ] Georges Marchais rompt le Programme commun (archives de l'INA, 1977)

[ VIDEO ] Georges Marchais rompt le Programme commun (archives de l'INA, 1977)