Loi immigration : le Conseil constitutionnel censure de nombreuses mesures controversées

Par latribune.fr  |   |  1429  mots
Les neuf « Sages » ont rendu leur copie vers 16h30 ce jeudi après-midi. (Crédits : Reuters)
Les « Sages » du Conseil constitutionnel ont enfin rendu leur copie sur le texte de la loi immigration, source de grandes tensions entre les partis politiques. Un certain nombre de mesures controversées ont été censurées. Voici lesquelles.

[Article publié le jeudi 25 janvier 2024 à 16h41 et mis à jour à 19h04]. Voilà un avis très attendu sur une loi source de tensions entre partis politiques de tout bord. Le Conseil constitutionnel a enfin rendu ce jeudi son avis sur la loi immigration, adoptée en décembre dernier, et au prix d'une crise politique dans le camp présidentiel. Le chef de l'Etat a ainsi demandé à Gérald Darmanin d'appliquer la loi « dans les meilleurs délais », selon une source dans l'entourage présidentiel.

Les neuf Sages ont rendu leur copie vers 16h30 cette après-midi et comme annoncée, celle-ci est bien garnie, tant les mesures sur la sellette de cette loi étaient nombreuses. Parmi les mesurées censurées, apparaissent celles largement portées par la droite, et votées avec l'appui de l'extrême droite : durcissement de l'accès aux prestations sociales, réforme du regroupement familial, instauration d'une « caution retour » pour les étudiants étrangers ou encore l'instauration de quotas migratoires fixés par le Parlement.

Le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur quatre saisines déposées en décembre. Les deux premières ont été signées par le chef de l'Etat et la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet. Deux autres ont été déposées par les forces de gauche de l'Assemblée nationale et du Sénat. Pour rappel, le projet de loi est passé de 27 articles à 86, sous l'effet surtout des ajouts des députés Les Républicains.

De nombreuses mesures controversées censurées

Comme attendu, le Conseil constitutionnel a donc censuré de nombreuses mesures de fermeté obtenues par la droite. Les Sages ont ainsi censuré plus du tiers des articles. 35 des 86 articles du projet de loi ont été totalement ou partiellement censurés, selon la décision consultée par l'AFP, le Conseil estimant pour l'essentiel d'entre eux (32 précisément) qu'ils n'avaient pas leur place dans le périmètre de ce texte de loi. Il s'agit de « cavaliers législatifs », qui pourraient toutefois réapparaître plus tard dans d'autres textes.

Très controversée, la mesure allongeant la durée de résidence exigée pour que des non-Européens en situation régulière puissent bénéficier de certaines prestations sociales (APL, allocations familiales...) a ainsi été totalement censurée.

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Idem pour le resserrement des critères du regroupement familial (avec une durée de résidence requise passant de 18 à 24 mois), l'instauration d'une « caution retour » pour les étudiants étrangers ou la fin de l'automaticité du droit du sol pour les enfants d'étrangers nés en France. L'instauration de quotas migratoires annuels déterminés par le Parlement après un débat obligatoire, elle, a été jugée inconstitutionnelle, ce qui fera jurisprudence.

Le projet de loi conserve néanmoins la structure initialement souhaitée par le gouvernement, avec un large volet de simplification des procédures pour expulser les étrangers délinquants, l'un des objectifs du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. Sans surprise, l'article sur les régularisations de travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension, qui avait cristallisé les débats de l'automne, est bien validé par les Sages.

Premières réactions politiques

En supprimant une trentaine de mesures sur 86, les Sages ont validé « l'intégralité du texte du gouvernement », s'est félicité le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, dans la foulée de la publication de la décision. « Jamais un texte n'a prévu autant de moyens pour expulser les délinquants et autant d'exigence pour l'intégration des étrangers », a écrit sur le réseau social X le ministre, qui « prend acte » de la censure des ajouts obtenus par la droite au texte initial du gouvernement.

En revanche, le président du Rassemblement national Jordan Bardella dénonce « un coup de force des juges, avec le soutien du président de la République ». De son côté, Marine Le Pen juge que « la rédaction en vigueur de la Constitution ainsi que la jurisprudence actuelle, ne permettent pas de protéger les Français de l'immigration incontrôlée ».

Le patron de la droite Eric Ciotti (LR) a appelé à une réforme constitutionnelle « plus que jamais indispensable pour sauvegarder le destin de la France » en réaction à la censure totale ou partielle, de 35 mesures de la loi. « Cette censure était attendue par Emmanuel Macron et la gauche », tacle sur la plateforme X le député des Alpes-Maritimes, dont le parti avait durci la loi au Sénat. Selon lui, les membres du Conseil constitutionnel « ont jugé en politique plutôt qu'en droit ». Les Républicains ont ainsi demandé au gouvernement un nouveau texte de loi sur l'immigration qui reprenne « au plus vite » l'ensemble des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel, estimant qu'il ne « s'est pas prononcé sur le fond ».

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La gauche a salué la large censure de la loi immigration par le conseil constitutionnel, tout en réclamant le retrait de ce texte qui n'a « aucune légitimité ». Le premier secrétaire du Parti socialiste tacle le gouvernement « qui portera comme une tache indélébile l'appel à voter » cette loi. Plus sévère, le Secrétaire national du parti d'extrême gauche La France insoumise (LFI) a souligné dans un post sur X : « Le Conseil constitutionnel vient de censurer plus du tiers de la loi immigration. Il rappelle que les pires délires racistes de Macron et Le Pen sont contraires à nos principes républicains. La loi est totalement amputée. Elle n'a aucune légitimité. Elle doit être retirée. »

« Heureusement que les Sages et les juges sont là », a quant à elle déclaré la secrétaire générale du syndicat CGT Sophie Binet, avant d'appeler « le président de la République et le Premier ministre à en tirer toutes les conséquences et à renoncer au reste de ce projet de loi qui déshonore notre République ».

Un texte qui a mis l'exécutif mal à l'aise

Cet avis du Conseil constitutionnel était particulièrement scruté par le Premier ministre Gabriel Attal fraîchement arrivé à Matignon et les oppositions. Empêtré dans une crise agricole à rallonge, l'exécutif fait face à plusieurs fronts sociaux sensibles et tente d'éviter tout risque de contagion à d'autres secteurs.

Le vote favorable des députés du Rassemblement national (RN), salué comme une « victoire idéologique », avait laissé un goût amer dans le camp présidentiel, où une censure des articles les plus corrosifs était attendue comme une échappatoire. Jusqu'au sein de l'exécutif, qui a paradoxalement souhaité ouvertement qu'une partie d'un texte qu'il a initié soit censurée.

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Pour Emmanuel Macron, faute de majorité absolue à l'Assemblée, il fallait, pour aboutir, accepter « des choses qui parfois ne nous plaisent pas », y compris potentiellement inconstitutionnelles. « Je l'assume totalement », avait-il lancé devant les parlementaires de la majorité le 15 janvier, après avoir lui-même saisi le Conseil constitutionnel.

Inflation de saisines

 « Emmanuel Macron a déjà saisi le Conseil constitutionnel à trois reprises sur des textes de loi. Les deux cas précédents concernaient la loi anti-casseurs de 2019 et loi état d'urgence sanitaire de mars 2020. Mais ce n'est pas une pratique répandue sous la Vème République », rappelait par ailleurs à La Tribune, Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public à Nanterre.

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Mais lors de ses vœux 2024, le président du Conseil, Laurent Fabius, a mis en garde l'exécutif sur cette pratique : « Monsieur le Président, le Conseil constitutionnel n'est pas une chambre d'écho des tendances de l'opinion publique, il n'est pas non plus une chambre d'appel des choix du Parlement, il est le juge de la constitutionnalité des lois ».

L'ancien ministre des Affaires étrangères sous François Hollande a regretté qu'« à l'occasion des débats sur les lois concernant deux questions très sensibles, les retraites et l'immigration, le Conseil constitutionnel s'est retrouvé au milieu de passions contradictoires et momentanément tumultueuses ».

 (Avec AFP)