Après le vote chaotique de la loi immigration mardi dernier, Emmanuel Macron tente d'éteindre l'incendie. Avant les fêtes de fin d'année, le chef de l'Etat veut essayer de faire redescendre la colère et la stupéfaction avant la traditionnelle cérémonie des vœux de nouvelle année.
Cherchant à esquiver toute crise politique après la démission fracassante du ministre de la Santé Aurélien Rousseau, le chef de l'Etat va devoir trouver une issue à cette situation politique particulièrement instable. Pour tenter d'apaiser les tensions, l'Elysée a envoyé rapidement le texte au Conseil constitutionnel. Les sages de la rue Montpensier ont environ un mois pour rendre leur décision.
Malgré ces tentatives d'accalmie, le gouvernement doit faire face à une vague de critiques et de contestations toujours plus vives. Après les syndicats, le patronat, les associations, les ONG, les universités et les collectivités, c'est au tour d'une partie des économistes de mener la fronde sur la question particulièrement brûlante des étudiants étrangers.
«C'est complètement idiot. Dans les succès de notre pays, il y a l'idée qu'on a augmenté le nombre d'étudiants étrangers. 400.000, c'est une force inimaginable. C'est un soft power exceptionnel. Cette mesure donne l'impression de ne pas accepter la jeunesse du monde », a déclaré sur l'antenne de BFM Business ce jeudi soir Jean-Hervé Lorenzi, le président du Cercle des économistes, pourtant proche des milieux macronistes.
Une attractivité mise à mal
Parmi les mesures controversées du texte de loi figure la mise en œuvre d'une caution étudiante. La droite a obtenu l'instauration, sauf dans certains cas particuliers, de cette caution à déposer par les étrangers demandant un titre de séjour « étudiant », visant à couvrir le coût d'éventuels « frais d'éloignement ». Une partie de la majorité relative avait pourtant combattu cette mesure constituant à leurs yeux « une rupture d'égalité » entre étudiants et risquant de fragiliser les étudiants internationaux.
«La caution retour est un instrument de sélection très inefficace. La maîtrise du français pour obtenir un titre de séjour est un risque pour notre attractivité et envoie un signal inquiétant aux talents étrangers qui voudraient venir étudier ou enseigner en France », a déclaré l'économiste Christian Gollier, directeur général de Toulouse School of economics (TSE) dans un communiqué.
Dans une tribune, HEC Paris, l'Essec et l'ESCP, ont également dénoncé aussi des mesures qui « menacent gravement notre compétitivité internationale» et « anéantiraient l'objectif gouvernemental de doubler le nombre d'étudiants internationaux d'ici 2027 ». Cette loi « met en danger les institutions académiques françaises qui, pour le bénéfice de notre pays, se battent pour l'attractivité et l'excellence internationale de leur recherche et de leurs formations »
Piketty dénonce « les mensonges » de Borne sur la caution étudiante
Sur l'antenne de France inter, l'économiste Thomas Piketty a désavoué le vote de cette loi. « C'est le retour au code de nationalité de Charles Pasqua de 1993. Elisabeth Borne a justifié ce retour en arrière par des termes terribles [...] le gouvernement a jeté une suspicion sur plusieurs dizaines de milliers de jeunes ».
La première ministre Elisabeth Borne « a menti sur le système de caution en Allemagne ». « Avant d'arriver en Allemagne, pour obtenir son visa, les étudiants doivent montrer qu'ils ont des ressources et doivent avoir 11.000 euros sur leur compte. Les étudiants dépensent une partie de cette somme quand ils arrivent. Cela n'a rien à voir avec une caution ».
Face à ces craintes, la cheffe du gouvernement a affirmé que les présidents d'université et de grandes écoles « n'ont sans doute pas eu le temps de lire le texte dans lequel il est dit "très clairement que le ministre de l'Enseignement supérieur peut dispenser de cette caution des étudiants en fonction de leurs ressources, de leur parcours scolaire et universitaire" ».
« Les immigrés plus qualifiés que les Français », selon l'économiste Hippolyte d'Albis
La semaine dernière, le gouvernement avait organisé un conseil national de la refondation consacré au modèle productif et social de la France à Bercy. Invité à témoigner lors d'une table ronde, l'économiste spécialiste de la démographie Hippolyte d'Albis (CNR) a rappelé que face au vieillissement de la population active, l'immigration peut être un levier.
« Le solde naturel, c'est-à-dire la différence entre les naissances et les décès, est de 60.000 par an. Le solde migratoire, c'est à dire la différence entre les départs et les arrivées, est d'environ 160.000. Le Japon a refusé l'immigration et les Japonais sont dans une situation catastrophique ».
Par ailleurs, il considère que « l'avantage de la France est que contrairement à ce qui est répété, les immigrés ne sont pas mal qualifiés. Les immigrés sont en moyenne plus qualifiés que les Français ». « Les immigrés vont venir s'il y a des bonnes écoles mais aussi s'il n'y pas de partis racistes au pouvoir », a prévenu l'économiste. En attendant le verdict du conseil constitutionnel en janvier prochain, le gouvernement risque de devoir encore faire face à des vagues de critiques pendant la trêve des confiseurs.