Après l'adoption de la loi immigration au Parlement, le chef de l'Etat Emmanuel Macron a gagné une première bataille. Mais le texte de loi doit encore passer l'épreuve du conseil constitutionnel. La Première ministre Elisabeth Borne a d'ailleurs reconnu que certains articles risquaient d'être retoqués par les Sages de la rue Montpensier. Cherchant à nier toute crise politique après la démission fracassante du ministre de la Santé Aurélien Rousseau, la cheffe du gouvernement va devoir trouver une issue à cette situation politique particulièrement chaotique. Dans ce contexte éruptif, les organisations patronales s'inquiètent des conséquences économiques et sociales du passage de cette réforme migratoire au Parlement. « Je trouve que le volet économique de ce débat a été occulté ou surfocalisé sur la régularisation des sans papier », a déclaré Patrick Martin à l'antenne de Radio Classique ce mardi 19 décembre.
Restée discrete pendant des mois, l'organisation patronale a décidé de sortir du bois à la fin des débats. Vendredi dernier, Patrick Martin s'est exprimé sur ce sujet explosif à l'occasion du conseil national de la refondation organisé à Bercy sur le modèle productif et social de la France. « La France doit s'interroger sur l'immigration choisie dont le pays aura besoin dans les prochaines années », a-t-il affirmé devant un parterre de fonctionnaires, experts et économistes à l'hôtel des ministres.
Au printemps son prédécesseur, Geoffroy Roux de Bézieux déclarait à La Tribune que les patrons demandaient « des textes clairs qui complètent la circulaire Valls afin de pouvoir embaucher davantage de travailleurs étrangers sans être instrumentalisés par ceux qui nous reprochent une vision immigrationniste ou ceux qui nous traitent d'esclavagistes. »
De son côté, la CPME appelle « à savoir garder raison ». Interrogé par La Tribune, François Asselin, responsable du syndicat, considère que « la politique migratoire est d'abord un choix politique. Est-ce que la France est capable d'ouvrir les portes en grand comme l'a fait l'Allemagne ? La France cherche le plein emploi. Il existe d'abord d'autres leviers sur les personnes dans le halo du chômage ». Le patron des dirigeants de PME considère « qu'il y a un enjeu sur la régularisation des apprentis dans les entreprises. Lorsqu'un apprenti répond aux besoins de l'entreprise et ne pose pas de difficultés de recrutement, il doit pouvoir être régularisé par les préfectures ». Enfin, le mouvement Impact a regretté dans un communiqué « l'adoption du projet de loi immigration dans sa forme actuelle qui ne répond ni aux enjeux d'attractivité de la France, ni aux enjeux d'intégration et de cohésion sociale ».
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La France aura besoin de 3,9 millions de salariés étrangers d'ici à 2050 selon le Medef
Face à la baisse de la population active en France, le patronat redoute une montée des tensions sur le marché du travail. Confronté à un vieillissement de la population en âge de travailler, l'Hexagone pourrait se retrouver en manque de bras dans les années à venir. « Les données démographiques de l'Ined (Institut national d'études démographiques) montrent que d'ici 2050, nous aurions besoin de 3,9 millions de salariés étrangers », a prévenu le patron des patrons. « La population active va baisser à partir de 2036. Or, il y a des régimes sociaux, les retraites, l'assurance-chômage et la santé qui sont assis sur les revenus du travail et de l'emploi », a poursuivi Patrick Martin.
En effet, une grande partie du financement de la sécurité sociale et organismes de gestion paritaire reposent sur les cotisations patronales et salariales. Pressés par des tensions financières, le système des retraites et celui de l'assurance-chômage ont été fortement remaniés ces dernières années. Une diminution de la population active pourrait à nouveau remettre en question l'équilibre financier de tous ces régimes.
Des tensions dans 8 métiers sur 10
La plupart des enquêtes de conjoncture montrent en effet des tensions accrues sur le marché du travail. Dans une récente enquête de la Banque de France, près d'une entreprise sur deux déclare avoir encore des difficultés de recrutement malgré le coup de frein de l'économie tricolore. En 2022, 8 métiers sur 10 étaient en forte tension ou très forte tension selon une récente étude de la Dares. Ces métiers représentaient 87% de l'emploi. « Le marché du travail est marqué par les départs à la retraite des dernières générations du baby-boom et un contexte économique plus propice aux démissions pour les salariés recherchant de meilleures opportunités », expliquent les statisticiens.
Des besoins immenses dans l'industrie ou les services à la personne
Depuis la fin 2022, les tensions sont certes retombées dans quelques secteurs. Mais demeurent à un niveau élevé dans la restauration et l'hôtellerie, l'industrie ou encore les services à la personne. « Dans les métiers d'aides à la personne, on a d'énormes tensions de recrutement [...] 800.000 postes sont à pourvoir d'ici 2030 », a déclaré Patrick Martin. Dans l'industrie, plus de 1 million de postes seront à pourvoir dans les dix prochaines années en raison notamment du départ massif de seniors à la retraite et des embauches prévues dans le cadre de la réindustrialisation. Le gouvernement compte attirer des jeunes vers l'industrie. Et le recours à la main d'œuvre étrangère sera inévitable.
« Je n'ai pas dit qu'il fallait ouvrir grandes les vannes de l'immigration économique », déclarait fin novembre Roland Lescure, le ministre de l'Industrie. Mais « si on arrive à former dans l'industrie 800 à 900.000 jeunes et moins jeunes dans les dix ans qui viennent, franchement, ce sera exceptionnel » et « il en manquera encore 100.000 à 200.000 (travailleurs) qu'il faudra sans doute aller chercher ailleurs ».
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La marche à gravir s'annonce colossale. A cela s'ajoutent les besoins impérieux de main d'œuvre très qualifiée dans l'ingénierie. « Ces tensions concernent les métiers à très forte qualification. C'est par exemple le cas des chercheurs et des ingénieurs. Beaucoup de diplômés français vont travailler dans le digital, les biotechnologies. En réciproque, la France a beaucoup de mal à faire venir des ingénieurs de pays en dehors de l'Union européenne », a déploré Patrick Martin. Autant dire que les débats sur le projet de loi sur l'immigration sont loin d'être achevés.