Loi immigration : « Le gouvernement a tiré contre son camp » (Thierry Pech, Terra Nova)

ENTRETIEN - À la veille du verdict du Conseil constitutionnel sur la loi immigration, la pression monte pour le gouvernement de Gabriel Attal enlisé dans une crise agricole à rallonge. Le directeur général du think tank Terra Nova, Thierry Pech, affirme que l'adoption de cette loi apparaît comme « un naufrage pour la Macronie». « Sans les voix du RN, le gouvernement n'aurait pas obtenu de majorité », assure-t-il. En cas de censure sur le fond du texte, il pronostique une demande de la révision de la Constitution par l'extrême droite.
Grégoire Normand
Thierry Pech est directeur général du groupe de réflexion Terra Nova.
Thierry Pech est directeur général du groupe de réflexion Terra Nova. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Le Conseil constitutionnel doit rendre son avis ce jeudi sur le controversé projet de loi immigration. En cas de censure du texte, que pourrait-il se passer sur le plan politique ?

THIERRY PECH - Il existe plusieurs manières de censurer un texte de loi. Le Conseil constitutionnel peut considérer que certains articles sont contraires aux principes constitutionnels. Les magistrats peuvent également considérer certains articles comme des « cavaliers législatifs ». Dans ce cas, les conservateurs pourront considérer qu'il faut faire un nouveau texte de loi et reprendre le travail législatif sur les articles censurés.

Lire aussi« Loi immigration : trop de défauts de fabrication » (Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnement)

En cas de censure sur le fond, les conservateurs ou l'extrême droite pourraient demander une révision de la Constitution. Certains responsables l'ont déjà suggéré. Le débat pourrait également déboucher sur une contestation du pouvoir des juges constitutionnels, comme ce fut le cas ces dernières années en Hongrie ou en Pologne.

Le président de la République Emmanuel Macron a affirmé que le vote de cette loi est « un revers pour le Rassemblement national ». Pourtant, vous affirmez dans une récente note qu'il s'agit bien « d'une victoire idéologique du RN », comme a déclaré Marine Le Pen. Pourquoi ?

La comparaison du programme de Le Pen en 2022 avec le texte de loi adopté par le Parlement montre qu'il y a beaucoup de convergences. C'est un texte fortement coloré par les propositions de l'extrême droite. Ces propositions ont pour l'essentiel étaient recopiées par les députés et sénateurs Républicains. Ce n'est pas le texte du gouvernement. Mais l'exécutif a demandé à sa majorité de le voter en l'état et elle l'a fait.

Quels sont les principaux points de convergence entre le programme de Marine Le Pen et celui d'Emmanuel Macron sur l'immigration en 2022 ?

Il y avait d'abord une forte divergence au départ. Dans son programme, le candidat Macron souhaitait que la France puisse délivrer des titres de séjour au motif de l'insertion professionnelle. L'exercice d'un travail dans les métiers en tension devait faciliter l'accès à un titre de séjour. Mais cette proposition a été vidée de sa substance dans le texte adopté. Restent deux grands points de convergence. Marine Le Pen et Emmanuel Macron défendaient l'idée que les immigrés ne peuvent pas s'intégrer dans la société s'ils ne pratiquent pas la langue française de façon correcte. La loi adoptée par le Parlement donne suite à ces demandes.

L'autre point de convergence concerne la prise en compte de la commission éventuelle de crimes ou de délits pour la délivrance ou le retrait de titre de séjour. Plusieurs articles réalisent cette promesse. L'Etat pourrait même refuser un titre de séjour à une personne supposée avoir commis des faits qui l'exposent à une condamnation.

Pourquoi parlez-vous d'un « naufrage de la Macronie » ?

La Macronie a d'abord été associée au « en même temps ». C'était une recherche d'équilibre. Lors de sa récente conférence de presse, Emmanuel Macron a répondu que c'était « une double radicalité ». Il s'agit d'une nouvelle interprétation de ce principe. Le texte adopté en CMP [commission mixte paritaire, ndlr] est très déséquilibré. Marine Le Pen a eu raison de reconnaître une victoire idéologique.

La droite et l'extrême droite ont réussi à s'accorder sur ce texte de loi, et certains députés dans la majorité apportent leur soutien. Comment interprétez-vous ce tournant ?

La combinaison des voix du RN, de LR et d'une partie de la majorité est une rupture. Une ligne a été franchie. Il est encore difficile d'interpréter ce qu'il se peut se passer à long terme. L'idée de ne pas compter les voix du Rassemblement national, comme l'avait affirmé la Première ministre, Elisabeth Borne, est de la politique fiction. Sans les voix du RN, le gouvernement n'aurait pas obtenu de majorité.

Quel pourrait être l'impact de l'application de la loi immigration avec le durcissement des conditions pour travailleurs sans papiers sur l'économie ?

Le dispositif qui prévoyait un canal pour faciliter l'immigration économique ne sera quasiment pas ouvert. L'économie française ne fait pas exception en Europe. La société française commence à vieillir. Les taux de natalité dévoilés par l'Insee viennent corroborer cette situation de la France en Europe. L'économie française va avoir besoin de main-d'œuvre dans de nombreux domaines. Dans le domaine des services à la personne et du BTP, près de 20% des travailleurs sont d'origine étrangère.

Si la France n'arrive pas à faire rentrer de la main d'œuvre dans ces métiers que les nationaux ne veulent le plus souvent pas faire, la population aura des difficultés à trouver des nourrices pour les enfants, des aides soignantes pour les plus âgées. Il y aura des tensions de recrutement dans ces secteurs. Mais aussi des effets sur le coût de la main-d'œuvre.

D'autres effets sont encore difficiles à mesurer. Actuellement, 40% des doctorants sont de nationalité étrangère. La recherche est en grande partie réalisée par des étrangers. Si le pays ferme ses portes, la France risque de perdre de l'attractivité. Depuis 10 ans, nous avons fait des efforts pour être plus attractif pour les travailleurs, les étudiants. L'attractivité du site France est diminuée avec cette loi. Je pense que le gouvernement a tout simplement tiré contre son camp.

L'article 19 met fin à l'universalité du versement de certaines prestations sociales. Quelles pourraient être les répercussions d'une telle décision ?

Cet article concerne principalement des prestations familiales (soutien pour les jeunes enfants, allocations familiales). Elles ne seront plus accessibles qu'aux étrangers justifiant d'au moins cinq ans de résidence sur le territoire ou 30 mois d'affiliation au titre d'une activité professionnelle. Cet article aura des conséquences dans le futur sur les personnes étrangères qui s'installent régulièrement sur notre sol.

Le collectif Nos Services Publics a chiffré le nombre de personnes touchées à 110.000. Le plus troublant est le nombre d'enfants qui pourraient être touchés, soit environ 30.000. Ces prestations existent avant tout pour les familles, c'est-à-dire les parents et les enfants. C'est un grave problème pour l'avenir, car ces enfants auront vocation pour la plupart d'entre eux à devenir français.

Pourquoi l'immigration est-elle encore jugée comme une menace pour l'Etat-providence ?

Certains groupes de réflexion comme la Fondapol ont conclu que l'immigration menaçait l'Etat-providence à partir de quelques résultats isolés d'une enquête de l'OCDE. Il serait trop généreux avec l'immigration, disent-ils. En réalité, la plupart des travaux académiques soulignent que l'impact de l'immigration sur les comptes de la nation et le marché du travail est très faible, et peut-être positif. Il y a une falsification du consensus scientifique sur cette question. La plupart des immigrés versent leur contribution à l'équilibre des comptes sociaux. On se pose bien mal les questions.

L'Aide médicale d'Etat (AME), par exemple, représente certes un coût. Mais il faut mettre ce coût en regard du développement potentiel des pathologies. Si notre système de santé ne soigne que les situations d'urgence avec l'AMU, les soins vont coûter beaucoup plus cher en réalité, car on les traitera beaucoup plus tard.

Propos recueillis par Grégoire Normand

Grégoire Normand
Commentaires 4
à écrit le 24/01/2024 à 18:07
Signaler
La loi sera peu ou pas aplliquée: manque de moyens humains, financiers ( personnel administratif et judiciaire)

à écrit le 24/01/2024 à 14:50
Signaler
Terra Nova ceux qui poussaient la gauche à changer ses priorités pour de simple raisons électoraliste : ne plus soucier de la classe ouvrière et des problèmes sociaux pour se focaliser sur les immigrés et les problèmes sociétaux. Ils devraient se ca...

à écrit le 24/01/2024 à 12:27
Signaler
Cela fait des années que le FN assène des "contre vérités" (mensonges) sur le sujet. Jamais les politiques, républicains, ne le confrontent au "fact checking". Alors qu'ils ont, sous la main, l'éclatante vérité de G Meloni...

à écrit le 24/01/2024 à 10:03
Signaler
Après il faut les comprendre, ils auront passé 10 ans à servir servilement les intérêts des marchés financiers ils doivent être complètement rincés souhaitant passer à la main à d'autres serviteurs qui n'ont pas encore servis eux qui n'ont même jamai...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.