Loi Travail : la surenchère du Sénat au secours du gouvernement

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1036  mots
Le Sénat va examiner jusq'au 24 juin une version totalement remaniée dans un sens très libéral du projet de loi travail. Une aubaine pour le gouvernement qui va utiliser le texte sénatorial comme un repoussoir.
Le projet de loi Travail arrive au Sénat totalement réécrit dans un sens très libéral par la majorité sénatoriale de droite. Du pain béni pour Myriam El Khomri qui pourra vanter la modération de la version du gouvernement, alors qu'elle va rencontrer la direction de la CGT.

Myriam El Khomri va de nouveau se retrouver en première ligne cette semaine avec l'arrivée du projet de loi Travail devant le Sénat. Mais la ministre devrait être nettement plus à l'aise que lors de l'examen du texte en mai devant l'Assemblée nationale où le gouvernement avait dû dégainer le « 49-3 » pour faire adopter un texte très contesté dans les rangs de gauche. Cette fois, au Palais du Luxembourg, où la majorité est tenue par le centre et la droite, Myriam El Khomri va pouvoir compter sur la surenchère des sénateurs « Les Républicains » pour démontrer à quel point son texte est « juste », pour reprendre l'expression de Nicole Bricq, la sénatrice PS chargée d'épauler la ministre et de mener le combat pour défendre le projet de loi initial.

Les sénateurs socialistes rangés derrière Myriam El Khomri

Car, à la différence de ce qui s'est passé il y a un mois à l'Assemblée nationale, les socialistes vont se présenter quasi unis. Pour Didier Guillaume, président du groupe socialiste au Sénat, les choses sont en effet très claires :

« C'est un texte de progrès social et favorable au développement économique. Il permet une nouvelle conception des rapports sociaux basés sur les discussions avec les syndicats, ce qui correspond totalement à notre vision social-démocrate(...). Ce qui se passe dans la rue, nous le regardons, nous le prenons en compte, mais notre conviction est arrêtée, la philosophie du texte ne doit pas changer ».

Tout est dit, au Sénat, donc, il n'y aura pas d'états d'âme chez les socialistes : c'est le texte porté par Myriam El Khomri, et notamment son fameux article 2 qui tend à favoriser les accords d'entreprise, qui sera défendu.

Et c'est peu de dire que, politiquement parlant, les sénateurs socialistes se réjouissent que la majorité sénatoriale de droite ait complètement réécrit le projet de loi El Khomri dans un sens très libéral : rétablissement du plafonnement des dommages et intérêts alloués par les prud'hommes en cas de licenciement abusif ; suppression de la durée légale du travail de 35 heures ; doublement des seuils sociaux; suppression du plancher de 24 heures pour les contrats à temps partiel; possibilité pour l'employeur de faire directement valider un accord par les salariés, etc. « Les sénateurs de droite sont les otages de la primaire de leur parti à l'automne. Ils sont dans la surenchère » estime Nicole Bricq.

L'effet repoussoir de la droite sénatoriale

Une attitude des sénateurs de droite qui fait bien le jeu du gouvernement. Manuel Valls n'a pas manqué l'occasion de se refaire une santé en dénonçant une réécriture « ultralibérale » du texte. Et Myriam El Khomri s'est également engouffrée dans la brèche en déclarant devant les sénateurs: "A ceux qui nient l'existence d'un clivage entre la gauche et droite, la majorité sénatoriale vient d'apporter un démenti explicite".

Le président du groupe sénatorial « Les Républicains » Bruno Retailleau a senti le danger. Intervenant sur RTL, il a estimé que les préconisations des sénateurs de droite étaient ni "caricaturales ni antisociales mais permettraient de lutter contre le chômage de masse (...). Ce n'est pas parce que François Hollande dit « Au secours, la droite revient » que la droite doit rentrer à la niche (...). Ce que nous allons proposer, ce n'est pas la caricature, c'est ce que d'autres pays européens, parfois dirigés d'ailleurs par des sociaux-démocrates, ont proposé".

Il n'empêche que d'ici au 24 juin, date limite pour l'examen du texte au Sénat, Myriam El Khomri va disposer d'un boulevard pour expliquer que sa version du texte est modérée... Reste à savoir si cela suffira à calmer les esprits.

La CGT amorce le repli... après la journée d'actions du 14 juin

L'intersyndicale appelle mardi 14 juin à une neuvième journée nationale de protestation contre le projet de loi. Et Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT a prévenu : « A ceux qui spéculent sur l'essoufflement du mouvement social, nous allons faire la démonstration d'une mobilisation comme nous n'en avons jamais connu depuis février »... Ce qui pourrait s'avérer exact car, à la différence des autres journées d'actions, cette fois, de gros bataillons de fonctionnaires, notamment de l'Education nationale, devraient descendre en renfort dans la rue. En outre, les leaders syndicaux ont essentiellement privilégié la manifestation parisienne -la plus médiatisée- aux dépens de celles en régions.

Mais les paroles de Philippe Martinez sont surtout destinées à galvaniser les troupes car, en réalité, la CGT a déjà fait un pas vers le gouvernement en ne demandant plus en préalable le rejet du texte mais seulement de son article 2. En outre, Philippe Martinez doit être reçu vendredi 17 juin par la ministre du Travail... Une première. En fait, on sent poindre l'issue du conflit et ce pour plusieurs raisons. L'opinion publique commence à se lasser et l'Euro de foot occupe les esprits. Ensuite, la CGT a obtenu certaines satisfactions sur des fronts annexes, notamment sur le temps de travail à la SNCF. Et puis les grèves ne peuvent pas perdurer éternellement. Pour une raison très simple : sauf protocole de fin de conflit le prévoyant, les journées de grève ne sont pas rémunérées. Or, huit à dix jours non payés commencent à peser lourd, même si les caisses de grève syndicales permettent de compenser en partie le manque à gagner...

Enfin, rattrapant en partie sa calamiteuse entrée en matière dans la gestion de la loi travail, le gouvernement a amélioré sa pédagogie sur le contenu du texte, par exemple sur la notion d'accord majoritaire d'entreprise qui évitera le risque de dumping social... Et, encore, un fois, il pourra remercier la majorité sénatoriale de lui avoir bien prêtée main forte.

Bref, comme disait Churchill si ce n'est pas déjà le commencement de la fin, c'est au moins déjà la fin du commencement...